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Un peu de rudoiement est bon dans l’épouvante. Cela rassure. Les deux enfants se rapprochèrent de Gavroche.

Gavroche, paternellement attendri de cette confiance, passa «du grave au doux [69]» et s’adressant au plus petit:

– Bêta, lui dit-il en accentuant l’injure d’une nuance caressante, c’est dehors que c’est noir. Dehors il pleut, ici il ne pleut pas; dehors il fait froid, ici il n’y a pas une miette de vent; dehors il y a des tas de monde, ici il n’y a personne; dehors il n’y a pas même la lune, ici il y a ma chandelle, nom d’unch!

Les deux enfants commençaient à regarder l’appartement avec moins d’effroi; mais Gavroche ne leur laissa pas plus longtemps le loisir de la contemplation.

– Vite, dit-il.

Et il les poussa vers ce que nous sommes très heureux de pouvoir appeler le fond de la chambre.

Là était son lit.

Le lit de Gavroche était complet. C’est-à-dire qu’il y avait un matelas, une couverture et une alcôve avec rideaux.

Le matelas était une natte de paille, la couverture un assez vaste pagne de grosse laine grise fort chaud et presque neuf. Voici ce que c’était que l’alcôve:

Trois échalas assez longs enfoncés et consolidés dans les gravois du sol, c’est-à-dire du ventre de l’éléphant, deux en avant, un en arrière, et réunis par une corde à leur sommet, de manière à former un faisceau pyramidal. Ce faisceau supportait un treillage de fil de laiton qui était simplement posé dessus, mais artistement appliqué et maintenu par des attaches de fil de fer, de sorte qu’il enveloppait entièrement les trois échalas. Un cordon de grosses pierres fixait tout autour ce treillage sur le sol, de manière à ne rien laisser passer. Ce treillage n’était autre chose qu’un morceau de ces grillages de cuivre dont on revêt les volières dans les ménageries. Le lit de Gavroche était sous ce grillage comme dans une cage. L’ensemble ressemblait à une tente d’Esquimau.

C’est ce grillage qui tenait lieu de rideaux.

Gavroche dérangea un peu les pierres qui assujettissaient le grillage par devant; les deux pans du treillage qui retombaient l’un sur l’autre s’écartèrent.

– Mômes, à quatre pattes! dit Gavroche.

Il fit entrer avec précaution ses hôtes dans la cage, puis il y entra après eux, en rampant, rapprocha les pierres et referma hermétiquement l’ouverture.

Ils s’étaient étendus tous trois sur la natte.

Si petits qu’ils fussent, aucun d’eux n’eût pu se tenir debout dans l’alcôve. Gavroche avait toujours le rat de cave à sa main.

– Maintenant, dit-il, pioncez! Je vas supprimer le candélabre.

– Monsieur, demanda l’aîné des deux frères à Gavroche en montrant le grillage, qu’est-ce que c’est donc que ça?

– Ça, dit Gavroche gravement, c’est pour les rats. – Pioncez!

Cependant il se crut obligé d’ajouter quelques paroles pour l’instruction de ces êtres en bas âge, et il continua:

– C’est des choses du Jardin des plantes. Ça sert aux animaux féroces. Gniena (il y en a) plein un magasin. Gnia (il n’y a) qu’à monter par-dessus un mur, qu’à grimper par une fenêtre et qu’à passer sous une porte. On en a tant qu’on veut.

Tout en parlant, il enveloppait d’un pan de la couverture le tout petit qui murmura:

– Oh! c’est bon! c’est chaud!

Gavroche fixa un œil satisfait sur la couverture.

– C’est encore du Jardin des plantes, dit-il. J’ai pris ça aux singes.

Et montrant à l’aîné la natte sur laquelle il était couché, natte fort épaisse et admirablement travaillée, il ajouta:

– Ça, c’était à la girafe.

Après une pause, il poursuivit:

– Les bêtes avaient tout ça. Je le leur ai pris. Ça ne les a pas fâchées. Je leur ai dit: C’est pour l’éléphant.

Il fit encore un silence et reprit:

– On passe par-dessus les murs et on se fiche du gouvernement. V’là.

Les deux enfants considéraient avec un respect craintif et stupéfait cet être intrépide et inventif, vagabond comme eux, isolé comme eux, chétif comme eux, qui avait quelque chose d’admirable et de tout-puissant, qui leur semblait surnaturel, et dont la physionomie se composait de toutes les grimaces d’un vieux saltimbanque mêlées au plus naïf et au plus charmant sourire.

– Monsieur, fit timidement l’aîné, vous n’avez donc pas peur des sergents de ville?

Gavroche se borna à répondre:

– Môme! on ne dit pas les sergents de ville, on dit les cognes.

Le tout petit avait les yeux ouverts, mais il ne disait rien. Comme il était au bord de la natte, l’aîné étant au milieu, Gavroche lui borda la couverture comme eût fait une mère et exhaussa la natte sous sa tête avec de vieux chiffons de manière à faire au môme un oreiller. Puis il se tourna vers l’aîné.

– Hein? on est joliment bien, ici!

– Ah oui! répondit l’aîné en regardant Gavroche avec une expression d’ange sauvé.

Les deux pauvres petits enfants tout mouillés commençaient à se réchauffer.

– Ah çà, continua Gavroche, pourquoi donc est-ce que vous pleuriez?

Et montrant le petit à son frère:

– Un mioche comme ça, je ne dis pas; mais un grand comme toi, pleurer, c’est crétin; on a l’air d’un veau.

– Dame, fit l’enfant, nous n’avions plus du tout de logement où aller.

– Moutard! reprit Gavroche, on ne dit pas un logement, on dit une piolle.

– Et puis nous avions peur d’être tout seuls comme ça la nuit.

– On ne dit pas la nuit, on dit la sorgue.

– Merci, monsieur, dit l’enfant.

– Écoute, repartit Gavroche, il ne faut plus geindre jamais pour rien. J’aurai soin de vous. Tu verras comme on s’amuse. L’été, nous irons à la Glacière avec Navet, un camarade à moi, nous nous baignerons à la Gare, nous courrons tout nus sur les trains devant le pont d’Austerlitz, ça fait rager les blanchisseuses. Elles crient, elles bisquent, si tu savais comme elles sont farces! Nous irons voir l’homme squelette. Il est en vie. Aux Champs-Élysées. Il est maigre comme tout, ce paroissien-là. Et puis je vous conduirai au spectacle. Je vous mènerai à Frédérick-Lemaître. J’ai des billets, je connais des acteurs, j’ai même joué une fois dans une pièce. Nous étions des mômes comme ça, on courait sous une toile, ça faisait la mer [70]. Je vous ferai engager à mon théâtre. Nous irons voir les sauvages. Ce n’est pas vrai, ces sauvages-là. Ils ont des maillots roses qui font des plis, et on leur voit aux coudes des reprises en fil blanc [71]. Après ça, nous irons à l’Opéra. Nous entrerons avec les claqueurs. La claque à l’Opéra est très bien composée. Je n’irais pas avec la claque sur les boulevards. À l’Opéra, figure-toi, il y en a qui payent vingt sous, mais c’est des bêtas. On les appelle des lavettes. – Et puis nous irons voir guillotiner. Je vous ferai voir le bourreau. Il demeure rue des Marais. Monsieur Sanson [72]. Il y a une boîte aux lettres à la porte. Ah! on s’amuse fameusement!

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[69] Souvenir de Boileau: «Passer du grave au doux, du plaisant au sévère.»

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[70] Tout un passage des Mômes développe cette image sous le titre: «Conversation des flots. – Sous l'eau» (éd. J. Massin, Fragments dramatiques, t. IX, p. 978).

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[71] Chose vue et racontée par Hugo, de façon moins décente, à l'automne 1846 – ouv. cit., 1830-1846, p. 480-481.

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[72] Lors de sa visite à la Conciergerie, Hugo s'était fait décrire par un ancien «valet de bourreau» la maison de M. Sanson en 1846 – Choses vues, ouv. cit., 1830-1846, p. 418-419.

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