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Et voilà que tout d’un coup François la vit toute jeune et la trouva belle comme la bonne dame, et que le cœur lui sauta comme s’il avait monté au faîte d’un clocher. Et il s’en alla coucher dans son moulin où il avait son lit bien propre dans un carré de planches emmi les saches de farine. Et quand il fut là tout seul, il se mit à trembler et à étouffer comme de fièvre. Et si, il n’était malade que d’amour, car il venait de se sentir brûlé pour la première fois par une grande bouffée de flamme, ayant toute sa vie chauffé doucement sous la cendre.

XXV

Depuis ce moment-là, le champi fut si triste que c’était pitié de le voir. Il travaillait comme quatre, mais il n’avait plus ni joie ni repos, et Madeleine ne pouvait pas lui faire dire ce qu’il avait. Il avait beau jurer qu’il n’avait amitié ni regret pour Mariette, Madeleine ne le voulait croire et ne trouvait nulle autre raison à sa peine. Elle s’affligeait de le voir souffrir et de n’avoir plus sa confiance, et c’était un grand étonnement pour elle que de trouver ce jeune homme si obstiné et si fier dans son dépit.

Comme elle n’était point tourmentante dans son naturel, elle prit son parti de ne plus lui en parler. Elle essaya encore un peu de faire revenir Mariette, mais elle en fut si mal reçue qu’elle en perdit courage, et se tint coi, bien angoissée de cœur, mais ne voulant en rien faire paraître, crainte d’augmenter le mal d’autrui.

François la servait et l’assistait toujours avec le même courage et la même honnêteté que devant. Comme au temps passé, il lui tenait compagnie le plus qu’il pouvait, mais il ne lui parlait plus de la même manière. Il était toujours dans une confusion auprès d’elle. Il devenait rouge comme feu et blanc comme neige dans la même minute, si bien qu’elle le croyait malade et lui prenait le poignet pour voir s’il n’avait pas la fièvre; mais il se retirait d’elle comme si elle lui avait fait mal en le touchant, et quelquefois il lui disait des paroles de reproche qu’elle ne comprenait pas.

Et tous les jours cette peine augmentait entre eux. Pendant ce temps-là le mariage de Mariette avec Jean Aubard allait grand train, et le jour en fut fixé pour celui qui finissait le deuil de mademoiselle Blanchet. Madeleine avait peur de ce jour-là; elle pensait que François en deviendrait fou et elle voulait l’envoyer passer un peu de temps à Aigurande, chez son ancien maître Jean Vertaud, pour se dissiper. Mais François ne voulait point que la Mariette pût croire ce que Madeleine s’obstinait à penser. Il ne montrait nul ennui devant elle. Il parlait de bonne amitié avec son prétendu, et quand il rencontrait la Sévère par les chemins, il plaisantait en paroles avec elle, pour lui montrer qu’il ne la craignait pas. Le jour du mariage, il voulut y assister; et comme il était tout de bon content de voir cette petite fille quitter la maison et débarrasser Madeleine de sa mauvaise amitié, il ne vint à l’idée de personne qu’il s’en fût jamais coiffé. Madeleine mêmement commença à croire la vérité là-dessus, ou à penser tout au moins qu’il était consolé. Elle reçut les adieux de Mariette avec son bon cœur accoutumé, mais comme cette jeunesse avait gardé une pique contre elle à cause du champi, elle vit bien qu’elle en était quittée sans regret ni bonté. Coutumière de chagrin qu’elle était, la bonne Madeleine pleura de sa méchanceté et pria le bon Dieu pour elle.

Et quand ce fut au bout d’une huitaine, François lui dit tout d’un coup qu’il avait affaire à Aigurande, et qu’il s’en allait y passer cinq ou six jours, de quoi elle ne s’étonna point et se réjouit même, pensant que ce changement ferait du bien à sa santé, car elle le jugeait malade pour avoir trop étouffé sa peine.

Tant qu’à François, cette peine dont il paraissait revenu lui augmentait tous les jours dans le cœur. Il ne pouvait penser à autre chose, et qu’il dormît ou qu’il veillât, qu’il fût loin ou près, Madeleine était toujours dans son sang et devant ses yeux. Il est bien vrai que toute sa vie s’était passée à l’aimer et à songer d’elle. Mais jusqu’à ces temps derniers, ce pensement avait été son plaisir et sa consolation au lieu que c’était devenu d’un coup tout malheur et tout désarroi. Tant qu’il s’était contenté d’être son fils et son ami, il n’avait rien souhaité de mieux sur la terre. Mais l’amour changeant son idée, il était malheureux comme une pierre. Il s’imaginait qu’elle ne pourrait jamais changer comme lui. Il se reprochait d’être trop jeune, d’avoir été connu trop malheureux et trop enfant, d’avoir donné trop de peine et d’ennui à cette pauvre femme, de ne lui être point un sujet de fierté, mais de souci et de compassion. Enfin, elle était si belle et si aimable dans son idée, si au-dessus de lui et si à désirer, que, quand elle disait qu’elle était hors d’âge et de beauté, il pensait qu’elle se posait comme cela pour l’empêcher de prétendre à elle.

Cependant la Sévère et la Mariette, avec leur clique, commençaient à la déchirer hautement à cause de lui, et il avait grand’peur que, le scandale lui en revenant aux oreilles, elle n’en prît de l’ennui et souhaitât de le voir partir. Il se disait qu’elle avait trop de bonté pour le lui demander, mais qu’elle souffrirait encore pour lui comme elle en avait déjà souffert, et il pensa à aller demander conseil sur tout cela à M. le curé d’Aigurande, qu’il avait reconnu pour un homme juste et craignant Dieu.

Il y alla, mais ne le trouva point. Il s’était absenté pour aller voir son évêque, et François s’en revint coucher au moulin de Jean Vertaud, acceptant d’y passer deux ou trois jours à leur faire visite, en attendant que M. le curé fût de retour.

Il trouva son brave maître toujours aussi galant homme et bon ami qu’il l’avait laissé, et il trouva aussi son honnête fille jeannette en train de se marier avec un bon sujet qu’elle prenait un peu plus par raison que par folleté, mais pour qui elle avait heureusement plus d’estime que de répugnance. Cela mit François plus à l’aise avec elle qu’il n’avait encore été et, comme le lendemain était un dimanche, il causa longuement avec elle et lui marqua la confiance de lui raconter toutes les peines dont il avait eu contentement de sauver madame Blanchet.

Et de fil en aiguille, Jeannette, qui était assez clairvoyante, devina bien que cette amitié-là secouait le champi plus fort qu’il ne le disait. Et tout d’un coup elle lui prit le bras et lui dit:

– François, vous ne devez plus rien me cacher. À présent, je suis raisonnable, et vous voyez, je n’ai pas honte de vous dire que j’ai pensé à vous plus que vous n’avez pensé à moi. Vous le saviez et vous n’y avez pas répondu. Mais vous ne m’avez pas voulu tromper, et l’intérêt ne vous a pas fait faire ce que bien d’autres eussent fait en votre place. Pour cette conduite-là, et pour la fidélité que vous avez gardée à une femme que vous aimiez mieux que tout, je vous estime, et au lieu de renier ce que j’ai senti pour vous, je suis contente de m’en ressouvenir. Je compte que vous me considérerez d’autant mieux que je vous le dis et que vous me rendrez cette justice de reconnaître que je n’ai eu dépit ni rancune de votre sagesse. Je veux vous en donner une plus grande marque, et voilà comme je l’entends. Vous aimez Madeleine Blanchet, non pas tout bonnement comme une mère, mais bien bellement comme une femme qui a de la jeunesse et de l’agrément, et dont vous souhaiteriez d’être le mari.

– Oh! dit François, rougissant comme une fille, je l’aime comme ma mère, et j’ai du respect plein le cœur.

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