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– Je n’ai rien à blâmer là-dessus, reprit la Mariette, et je vois que je n’ai rien de mieux à faire que de vous prendre en estime à cette heure et en bonne amitié avec le temps.

– Ça me va, dit François, donnez-moi une poignée de main.

Et il s’avança à elle en lui tendant sa grande main, point gauchement du tout. Mais cette enfant de Mariette fut tout à coup piquée de la mouche de la coquetterie et, retirant sa main, elle lui dit que ce n’était pas convenant à une jeune fille de donner comme cela la main à un garçon.

Dont François se mit à rire et la laissa, voyant bien qu’elle n’allait pas franchement, et qu’avant tout elle voulait donner dans l’œil. «Or, ma belle, pensa-t-il, vous n’y êtes point, et nous ne serons pas amis comme vous l’entendriez.»

Il alla vers Madeleine qui venait de s’éveiller, et qui lui dit, en lui prenant ses deux mains:

– J’ai bien dormi, mon fils, et le bon Dieu me bénit de me montrer ta figure première à mon éveil. D’où vient que mon Jeannie n’est point avec toi?

Puis, quand la chose lui fut expliquée, elle dit aussi des paroles d’amitié à Mariette, s’inquiétant qu’elle eût passé la nuit à la veiller, et l’assurant qu’elle n’avait pas besoin de tant d’égards pour son mal. Mariette s’attendait que François allait dire qu’elle s’était même levée bien tard; mais Francois ne dit rien et la laissa avec Madeleine, qui voulait essayer de se lever ne sentant plus de fièvre.

Au bout de trois jours, elle se trouva même si bien, qu’elle put causer de ses affaires avec François.

– Tenez-vous en repos, ma chère mère, lui dit-il. Je me suis un peu déniaisé là-bas et j’entends assez bien les affaires. Je veux vous tirer de là, et j’en verrai le bout. Laissez-moi faire, ne démentez rien de ce que je dirai, et signez tout ce que je vous présenterai. De ce pas, puisque me voilà tranquillisé sur votre santé, je m’en vas à la ville consulter les hommes de la loi. C’est jour de marché, je trouverai là du monde que je veux voir, et je compte que je ne perdrai pas mon temps.

Il fit comme il disait; et quand il eut pris conseil et renseignement des hommes de loi, il vit bien que les derniers billets que Blanchet avait souscrits à la Sévère pouvaient être matière à un bon procès; car il les avait signés ayant la tête à l’envers, de fièvre, de vin et de bêtise. La Sévère s’imaginait que Madeleine n’oserait plaider, crainte des dépens. François ne voulait pas donner à madame Blanchet le conseil de s’en remettre au sort des procès, mais il pensa raisonnablement terminer la chose par un arrangement en lui faisant faire d’abord bonne contenance; et, comme il lui fallait quelqu’un pour porter la parole à l’ennemi, il s’avisa d’un plan qui réussit au mieux.

Depuis trois jours il avait assez observé la petite Mariette pour voir qu’elle allait tous les jours se promener du côté des Dollins, où résidait la Sévère, et qu’elle était en meilleure amitié qu’il n’eût souhaité avec cette femme, à cause surtout qu’elle y rencontrait du jeune monde de sa connaissance et des bourgeois qui lui contaient fleurette. Ce n’est pas qu’elle voulût les écouter; elle était fille innocente encore, et ne croyait pas le loup si près de la bergerie. Mais elle se plaisait aux compliments et en avait soif comme une mouche du lait. Elle se cachait grandement de Madeleine pour faire ses promenades, et comme Madeleine n’était point jaseuse avec les autres femmes et ne quittait pas encore la chambre, elle ne voyait rien et ne soupçonnait point de faute. La grosse Catherine n’était point fille à deviner ni à observer la moindre chose. Si bien que la petite mettait son callot sur l’oreille et, sous couleur de conduire les ouailles aux champs, elle les laissait sous la garde de quelque petit pastour et allait faire la belle en mauvaise compagnie.

François, en allant et venant pour les affaires du moulin, vit la chose, n’en sonna mot à la maison, et s’en servit comme je vas vous le faire assavoir.

XXI

Il s’en alla se planter tout au droit de son chemin, au gué de la rivière, et comme elle prenait la passerelle, aux approches des Dollins, elle y trouva le champi à cheval sur la planche, chacune jambe pendante au-dessus de l’eau, et dans la figure d’un homme qui n’est point pressé d’affaires. Elle devint rouge comme une cenelle, et si elle n’eût manqué de temps pour faire la frime d’être là par hasard, elle aurait viré de côté.

Mais comme l’entrée de la passerelle était toute branchue, elle n’avisa le loup que quand elle fut sous sa dent. Il avait la figure tournée de son côté, et elle ne vit aucun moyen d’avancer ni de reculer sans être observée.

– Çà, monsieur le meunier, fit-elle, payant de hardiesse, ne vous rangeriez-vous pas un brin pour laisser passer le monde?

– Non, demoiselle, répondit François, car c’est moi qui suis le gardien de la passerelle pour à ce soir, et je réclame d’un chacun droit de péage.

– Est-ce que vous devenez fou, François? on ne paie pas dans nos pays, et vous n’avez droit sur passière, passerelle, passerette ou passerotte, comme on dit peut-être dans votre pays d’Aigurande. Mais parlez comme vous voudrez, et ôtez-vous de là un peu vite: ce n’est pas un endroit pour badiner; vous me feriez tomber dans l’eau.

– Vous croyez donc, dit François sans se déranger et en croisant ses bras sur son estomac, que j’ai envie de rire avec vous, et que mon droit de péage serait de vous conter fleurette? Ôtez cela de votre idée, demoiselle: je veux vous parler bien raisonnablement, et je vas vous laisser passage, si vous me donnez licence de vous suivre un bout de chemin pour causer avec vous.

– Ça ne convient pas du tout, dit la Mariette un peu échauffée par l’idée qu’elle avait que François voulait lui en conter. Qu’est-ce qu’on dirait de moi dans le pays, si on me rencontrait seule par les chemins avec un garçon qui n’est pas mon prétendu?

– C’est juste, dit François. La Sévère n’étant point là pour vous faire porter respect, il en serait parlé; voilà pourquoi vous allez chez elle, afin de vous promener dans son jardin avec tous vos prétendus. Eh bien! pour ne pas vous gêner, je m’en vas vous parler ici, et en deux mots, car c’est une affaire qui presse, et voilà ce que c’est: Vous êtes une bonne fille, vous avez donné votre cœur à votre belle-sœur Madeleine; vous la voyez dans l’embarras, et vous voudriez bien l’en retirer, pas vrai?

– Si c’est de cela que vous voulez me parler, je vous écoute, répondit la Mariette, car ce que vous dites est la vérité.

– Eh bien! ma bonne demoiselle, dit François en se levant et en s’accotant avec elle contre la berge du petit pont, vous pouvez rendre un grand office à madame Blanchet. Puisque pour son bonheur et dans son intérêt, je veux le croire, vous êtes bien avec la Sévère, il vous faut rendre cette femme consente d’un accommodement; elle veut deux choses qui ne se peuvent point à la fois par le fait: rendre la succession de maître Blanchet caution du paiement des terres qu’il avait vendues pour la payer; et, en second lieu, exiger paiement de billets souscrits à elle-même. Elle aura beau chicaner et tourmenter cette pauvre succession, elle ne fera point qu’il s’y trouve ce qui s’en manque. Faites-lui entendre que si elle n’exige point que nous garantissions le paiement des terres, nous pourrons payer les billets; mais que, si elle ne nous permet pas de nous libérer d’une dette, nous n’aurons pas de quoi lui payer l’autre, et qu’à faire des frais qui nous épuisent sans profit pour elle, elle risque de perdre le tout.

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