Литмир - Электронная Библиотека
A
A

XXIV

Madeleine était encore plus confondue que François, et elle aurait voulu aller le questionner encore et le consoler; mais elle en fut empêchée par Mariette, qui s’en vint, d’un air étrange, lui parler de Jean Aubard et lui annoncer sa demande. Madeleine, ne pouvant s’ôter de l’idée que tout cela était le produit d’une dispute d’amoureux, s’essaya à lui parler de François; à quoi Mariette répondit, d’un ton qui lui fit bien de la peine et qu’elle ne put comprendre:

– Que celles qui aiment les champis les gardent pour leur amusement; tant qu’à moi, je suis une honnête fille, et ce n’est pas parce que mon pauvre frère est mort que je laisserai offenser mon honneur. Je ne dépends que de moi, Madeleine, et si la loi me force à vous demander conseil, elle ne me force pas de vous écouter quand vous me conseillez mal. Je vous prie donc de ne pas me contrarier maintenant, car je pourrais vous contrarier plus tard.

– Je ne sais point ce que vous avez, ma pauvre enfant, lui dit Madeleine en grande douceur et tristesse; vous me parlez comme si vous n’aviez pour moi estime ni amitié. Je pense que vous avez une contrariété qui vous embrouille l’esprit à cette heure; je vous prie donc de prendre trois ou quatre jours pour vous décider. Je dirai à Jean Aubard de revenir, et si vous pensez de même après avoir pris un peu de réflexion et de tranquillité, comme il est honnête homme et assez riche, je vous laisserai libre de l’épouser. Mais vous voilà dans un coup de feu qui vous empêche de vous connaître et qui ferme votre jugement à l’amitié que je vous porte. J’en ai du chagrin, mais comme je vois que vous en avez aussi, je vous le pardonne.

La Mariette hocha de la tête pour faire croire qu’elle méprisait ce pardon-là, et elle s’en fut mettre son tablier de soie pour recevoir Jean Aubard, qui arriva une heure après avec la grosse Sévère tout endimanchée.

Madeleine, pour le coup, commença de penser qu’en vérité Mariette était mal portée pour elle, d’amener dans sa maison, pour une affaire de famille, une femme qui était son ennemie et qu’elle ne pouvait voir sans rougir. Elle fut cependant honnête à son encontre et lui servit à rafraîchir sans marquer ni dépit ni rancune. Elle aurait craint de pousser Mariette hors de son bon sens en la contrariant. Elle dit qu’elle ne faisait point d’opposition aux volontés de sa belle-sœur, mais qu’elle demandait trois jours pour donner réponse.

Sur quoi la Sévère lui dit avec insolence que c’était bien long. Et Madeleine répondit tranquillement que c’était bien court. Et là-dessus Jean Aubard se retira, bête comme souche, et riant comme un nigaud; car il ne doutait point que la Mariette ne fût folle de lui. Il avait payé pour le croire, et la Sévère lui en donnait pour son argent.

Et en s’en allant, celle-là dit à Mariette qu’elle avait fait faire une galette et des crêpes chez elle pour les accordailles, et que, quand même madame Blanchet retarderait les accords, il fallait manger le ragoût. Madeleine voulut dire qu’il ne convenait point à une jeune fille d’aller avec un garçon qui n’avait point encore reçu parole de sa parenté.

– En ce cas-là je n’irai point, dit la Mariette toute courroucée.

– Si fait, si fait, vous devez venir, fit la Sévère; n’êtes-vous point maîtresse de vous?

– Non, non, riposta la Mariette; vous voyez bien que ma belle-sœur me commande de rester.

Et elle entra dans sa chambre en jetant la porte; mais elle ne fit qu’y passer, et sortant par l’autre huisserie de la maison, elle s’en alla rejoindre la Sévère et le galant au bout du pré, en riant et en faisant insolence contre Madeleine.

La pauvre meunière ne put se retenir de pleurer en voyant le train des choses.

«François a raison, pensa-t-elle, cette fille ne m’aime point et son cœur est ingrat. Elle ne veut point entendre que j’agis pour son bien, que je souhaite son bonheur et que je veux l’empêcher de faire une chose dont elle aura regret. Elle a écouté les mauvais conseils et je suis condamnée à voir cette malheureuse Sévère porter le chagrin et la malice dans ma famille. Je n’ai pas mérité toutes ces peines et je dois me rendre à la volonté de Dieu. Il est heureux pour mon pauvre François qu’il y ait vu plus clair que moi. Il aurait bien souffert avec une pareille femme!»

Elle le chercha pour lui dire ce qu’elle en pensait; mais elle le trouva pleurant auprès de la fontaine et, s’imaginant qu’il avait regret de Mariette, elle lui dit tout ce qu’elle put pour le consoler. Mais tant plus elle s’y efforçait, tant plus elle lui faisait de la peine, parce qu’il voyait là dedans qu’elle ne voulait pas comprendre la vérité et que son cœur ne pourrait pas se tourner pour lui en la manière qu’il l’entendait.

Sur le soir, Jeannie étant couché et endormi dans la chambre, François resta un peu avec Madeleine, essayant de s’expliquer. Et il commença par lui dire que Mariette avait une jalousie contre elle, que la Sévère disait des propos et des menteries abominables.

Mais Madeleine n’y entendait malice aucune.

– Et quel propos peut-on faire sur moi? dit-elle simplement; quelle jalousie peut-on mettre dans la tête de cette pauvre petite folle de Mariette? On t’a trompé, François, il y a autre chose: quelque raison d’intérêt que nous saurons plus tard. Tant qu’à la jalousie, cela ne se peut; je ne suis plus d’âge à inquiéter une jeune et jolie fille. J’ai quasi trente ans, et pour une femme de campagne qui a eu beaucoup de peine et de fatigue, c’est un âge à être ta mère. Le diable seul oserait dire que je te regarde autrement que mon fils, et Mariette doit bien voir que je souhaitais de vous marier ensemble. Non, non, ne crois pas qu’elle ait si mauvaise idée, ou ne me le dis pas, mon enfant. Ce serait trop de honte et de peine pour moi.

– Et cependant, dit François en s’efforçant pour en parler encore, et en baissant la tête sur le foyer pour empêcher Madeleine de voir sa confusion, monsieur Blanchet avait une mauvaise idée comme ça quand il a voulu que je quitte la maison!

– Tu sais donc cela, à présent, François? dit Madeleine. Comment le sais-tu? je ne te l’avais pas dit, et je ne te l’aurais dit jamais. Si Catherine t’en a parlé, elle a mal fait. Une pareille idée doit te choquer et te peiner autant que moi. Mais n’y pensons plus, et pardonnons cela à mon défunt mari. L’abomination en retourne à la Sévère. Mais à présent la Sévère ne peut plus être jalouse de moi. Je n’ai plus de mari, je suis vieille et laide autant qu’elle pouvait le souhaiter dans ce temps-là, et je n’en suis pas fâchée, car cela me donne le droit d’être respectée, de te traiter comme mon fils, et de te chercher une belle et jeune femme qui soit contente de vivre auprès de moi et qui m’aime comme sa mère. C’est toute mon envie, François, et nous la trouverons bien, sois tranquille. Tant pis pour Mariette si elle méconnaît le bonheur que je lui aurais donné. Allons, va coucher, et prends courage, mon enfant. Si je croyais être un empêchement à ton mariage, je te dirais de me quitter tout de suite. Mais sois assuré que je ne peux pas inquiéter le monde, et qu’on ne supposera jamais l’impossible.

François, écoutant Madeleine, pensait qu’elle avait raison, tant il avait l’accoutumance de la croire. Il se leva pour lui dire bonsoir, et s’en alla; mais en lui prenant la main, voilà que pour la première fois de sa vie il s’avisa de la regarder avec l’idée de savoir si elle était vieille et laide. Vrai est, qu’à force d’être sage et triste, elle se faisait une fausse idée là-dessus, et qu’elle était encore jolie femme autant qu’elle l’avait été.

35
{"b":"100295","o":1}