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– Mais il ne faut pas perdre le fer. Ça coûte! Descends, je te dis, et cherche-le.

– Pardine, je le chercherais bien deux heures sans le trouver, dans ces fougères! Et mes yeux ne sont pas des lanternes.

– Si fait, François, dit la Sévère d’un ton moitié sornette, moitié amitié; tes yeux brillent comme des vers luisants.

– C’est donc que vous les voyez derrière mon chapeau? répondit François pas du tout content de ce qu’il prenait pour des moqueries.

– Je ne les vois pas à cette heure, dit la Sévère avec un soupir aussi gros qu’elle; mais je les ai vus d’autres fois!

– Ils ne vous ont jamais rien dit, reprit l’innocent champi. Vous pourriez bien les laisser tranquilles car ils ne vous ont pas fait d’insolence et ne vous en feront mie.

– Je crois, dit en cet endroit la servante du curé, que vous pourriez passer un bout de l’histoire. Ce n’est pas bien intéressant de savoir toutes les mauvaises raisons que chercha cette mauvaise femme pour surprendre la religion de notre champi.

– Soyez tranquille, mère Monique, répondit le chanvreur, j’en passerai tout ce qu’il faudra. Je sais que je parle devant des jeunesses et je ne dirai parole de trop.

Nous en étions restés aux yeux de François, que la Sévère aurait voulu rendre moins honnêtes qu’il ne se vantait de les avoir avec elle.

– Quel âge avez-vous donc, François? qu’elle lui dit, essayant de lui donner du vous, pour lui faire comprendre qu’elle ne voulait plus le traiter comme un gamin.

– Oh! ma foi! je n’en sais rien au juste, répondit le champi qui commençait à la voir venir avec ses gros sabots. Je ne m’amuse pas souvent à faire le compte de mes jours.

– On dit que vous n’avez que dix-sept ans, reprit-elle; mais moi, je gage que vous en avez vingt car vous voilà grand et bientôt vous aurez de la barbe.

– Ça m’est très égal, dit François en bâillant.

– Oui-da! vous allez trop vite, mon garçon. Voilà que j’ai perdu ma bourse!

– Diantre! dit François, qui ne la supposait pas encore si madrée qu’elle était, il faut donc que vous descendiez pour la chercher, car c’est peut-être de conséquence?

Il descendit et l’aida à dévaler; elle ne se fit point faute de s’appuyer sur lui, et il la trouva plus lourde qu’un sac de blé.

Elle fit mine de chercher sa bourse, qu’elle avait dans sa poche, et il s’en alla à cinq ou six pas d’elle, tenant la jument par la bride.

– Eh! vous ne m’aidez point à chercher? Fit-elle.

– Il faut bien que je tienne la jument, fit-il, car elle pense à son poulain et elle se sauverait si on la lâchait.

La Sévère chercha sous les pieds de la jument, tout à côté de François, et à cela il vit bien qu’elle n’avait rien perdu si ce n’est l’esprit.

– Nous n’étions pas encore là, dit-il, quand vous avez crié après votre boursicot. Il ne se peut donc guère que vous le retrouviez par ici.

– Tu crois donc que c’est une frime, malin? répondit-elle en voulant lui tirer l’oreille; car je crois que tu fais le malin…

Mais François se recula et ne voulut point batifoler.

– Non, non, dit-il, si vous avez retrouvé vos écus, partons, car j’ai plus envie de dormir que de plaisanter.

– Alors nous deviserons, dit la Sévère quand elle fut rejuchée derrière lui; ça charme, comme on dit, l’ennui du chemin.

– Je n’ai pas besoin de charme, répliqua le champi; je n’ai point d’ennuis.

– Voilà la première parole aimable que tu me dis, François!

– Si c’est une jolie parole, elle m’est donc venue malgré moi, car je n’en sais pas dire.

La Sévère commença d’enrager; mais elle ne se rendit pas encore à la vérité. «Il faut que ce garçon soit aussi simple qu’un linot, se dit-elle. Si je lui faisais perdre son chemin, il faudrait bien qu’il s’attardât un peu avec moi.»

Et la voilà d’essayer de le tromper et de le pousser sur la gauche quand il voulait prendre sur la droite.

– Vous nous égarez, lui disait-elle; c’est la première fois que vous passez par ces endroits-là. Je les connais mieux que vous. Écoutez-moi donc, ou vous me ferez passer la nuit dans les bois, jeune homme!

Mais François, quand il avait passé seulement une petite fois par un chemin, il en avait si bonne connaissance qu’il s’y serait retrouvé au bout d’un an.

– Non pas, non pas, fit-il, c’est par là et je ne suis pas toqué, moi. La jument se reconnaît bien aussi et je n’ai pas envie de passer la nuit à trimer dans les bois.

Si bien qu’il arriva au domaine des Dollins, où demeurait la Sévère, sans s’être laissé détempcer d’un quart d’heure, et sans avoir ouvert l’oreille grand comme un pertuis d’aiguille à ses honnêtetés. Quand ce fut là, elle voulut le retenir, exposant que la nuit était trop noire, que l’eau avait monté et que les gués étaient couverts. Mais le champi n’avait cure de ces dangers-là, et ennuyé de tant de sottes paroles, il serra les chevilles des pieds, mit la jument au galop sans demander son reste et s’en revint vitement au moulin où Madeleine Blanchet l’attendait, chagrinée de le voir si attardé.

lX

Le champi ne raconta point à Madeleine les choses que la Sévère lui avait donné à entendre; il n’eût osé, et il n’osait y penser lui-même. Je ne dis point que j’eusse été aussi sage que lui dans la rencontre; mais enfin sagesse ne nuit point, et puis je dis les choses comme elles sont. Ce gars était aussi comme il faut qu’une fille de bien.

Mais, en songeant la nuit, madame Sévère se choqua contre lui et s’avisa qu’il n’était peut-être pas si benêt que méprisant. Sur ce penser, sa cervelle s’échauffa et sa bile aussi, et grands soucis de revengement lui passèrent par la tête.

À telles enseignes que le lendemain, lorsque Cadet Blanchet fut de retour auprès d’elle, à moitié dégrisé, elle lui fit entendre que son garçon de moulin était un petit insolent, qu’elle avait été obligée de le tenir en bride et de lui essuyer le bec d’un coup de coude, parce qu’il avait eu idée de lui chanter fleurette et de l’embrasser en revenant de nuit par les bois avec elle.

Il n’en fallait pas tant pour déranger les esprits de Blanchet; mais elle trouva qu’il n’y en avait pas encore assez, et elle se gaussa de lui pour ce qu’il laissait dans sa maison, auprès de sa femme, un valet en âge et en humeur de la désennuyer.

Voilà, d’un coup, Blanchet jaloux de sa maîtresse et de sa femme. Il prend son bâton de courza, enfonce son chapeau sur ses yeux comme un éteignoir sur un cierge, et il court au moulin sans prendre vent.

Par bonheur qu’il n’y trouva pas le champi. Il avait été abattre et débiter un arbre que Blanchet avait acheté à Blanchard de Guérin, et il ne devait rentrer que le soir. Blanchet aurait bien été le trouver à son ouvrage, mais il craignait, s’il montrait du dépit, que les jeunes meuniers de Guérin ne vinssent à se gausser de lui et de sa jalousie, qui n’était guère de saison après l’abandon et le mépris qu’il faisait de sa femme.

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