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Il se fit conscience pourtant de cette menterie, jusqu’à ce qu’il lui vint l’idée de faire à chacun des pauvres acquéreurs un petit avantage pour les compenser des intérêts qu’ils avaient déjà payés. Et de cette manière, il ferait rentrer Madeleine dans ses droits et jouissances, en même temps qu’il sauverait les acquéreurs de toute ruine et dommage. Tant qu’à la Sévère et au discrédit que son propos pourrait lui occasionner, il ne s’en fit conscience aucune. La poule peut bien essayer de tirer une plume à l’oiseau méchant qui lui a plumé ses poussins.

Là-dessus Jeannie s’éveilla et se leva bien doucement pour ne pas déranger le repos de sa mère; puis, ayant dit bonjour à François, il ne perdit temps pour aller avertir le restant des pratiques que le désarroi du moulin était raccommodé et qu’il y avait un beau meunier à la meule.

XX

Le jour était déjà grand quand Mariette Blanchet sortit du nid, bien attifée dans son deuil, avec du si beau noir et du si beau blanc qu’on aurait dit d’une petite pie. La pauvrette avait un grand souci. C’est que ce deuil l’empêcherait, pour un temps, d’aller danser dans les assemblées, et que tous ses galants allaient être en peine d’elle; elle avait si bon cœur qu’elle les en plaignait grandement.

– Comment! fit-elle en voyant François ranger des papiers dans la chambre de Madeleine, vous êtes donc à tout ici, monsieur le meunier! vous faites la farine, vous faites les affaires, vous faites la tisane; bientôt on vous verra coudre et filer…

– Et vous, demoiselle, dit François, qui vit bien qu’on le regardait d’un bon œil tout en le taquinant de la langue, je ne vous ai encore vue ni filer ni coudre; m’est avis que bientôt on vous verra dormir jusqu’à midi, et vous ferez bien. Ça conserve le teint frais.

– Oui-da, maître François, voilà déjà que nous nous disons des vérités… Prenez garde à ce jeu-là: j’en sais dire aussi.

– J’attends votre plaisir, demoiselle.

– Ça viendra; n’ayez peur, beau meunier. Mais où est donc passée la Catherine, que vous êtes là à garder la malade? Vous faudrait-il une coiffe et un jupon?

– Sans doute que vous demanderez, par suite, une blouse et un bonnet pour aller au moulin? Car, ne faisant point ouvrage de femme, qui serait de veiller un tantinet auprès de votre sœur, vous souhaitez de lever la paille et de tourner la meule. À votre commandement changeons d’habits.

– On dirait que vous me faites la leçon?

– Non, je l’ai reçue de vous d’abord, et c’est pourquoi, par honnêteté, je vous rends ce que vous m’avez prêté.

– Bon! bon! vous aimez à rire et à lutiner. Mais vous prenez mal votre temps; nous ne sommes point en joie ici. Il n’y a pas longtemps que nous étions au cimetière, et si vous jasez tant, vous ne donnerez guère de repos à ma belle-sœur, qui en aurait grand besoin.

– C’est pour cela que vous ne devriez pas tant lever la voix, demoiselle, car je vous parle bien doux, et vous ne parlez pas, à cette heure, comme il faudrait dans la chambre d’une malade.

– Assez, s’il vous plaît, maître François, dit la Mariette en baissant le ton, mais en devenant toute rouge de dépit; faites-moi l’amitié de voir si Catherine est par là, et pourquoi elle laisse ma belle-sœur à votre garde.

– Faites excuse, demoiselle, dit François sans s’échauffer autrement; ne pouvant la laisser à votre garde, puisque vous aimez la dormille, il lui était bien force de se fier à la mienne. Et, tant qu’à l’appeler, je ne le ferai point, car cette pauvre fille est esrenée de fatigue. Voilà quinze nuits qu’elle passe, sans vous offenser. Je l’ai envoyée coucher, et jusqu’à midi je prétends faire son ouvrage et le mien, car il est juste qu’un chacun s’entr’aide.

– écoutez, maître François, fit la petite, changeant de ton subitement, vous avez l’air de vouloir me dire que je ne pense qu’à moi et que je laisse toute la peine aux autres. Peut-être que, de vrai, j’aurais dû veiller à mon tour, si Catherine m’eût dit qu’elle était fatiguée. Mais elle disait qu’elle ne l’était point, et je ne voyais pas que ma belle-sœur fût en si grand danger. Tant y a que vous me jugez de mauvais cœur, et je ne sais point où vous avez pris cela. Vous ne me connaissez que d’hier, et nous n’avons pas encore assez de familiarité ensemble pour que vous me repreniez comme vous faites. Vous agissez trop comme si vous étiez le chef de famille, et pourtant…

– … Allons, dites, la belle Mariette, dites ce que vous avez au bout de la langue. Et pourtant, j’y ai été reçu et élevé par charité, pas vrai et je ne peux pas être de la famille, parce que je n’ai pas de famille; je n’y ai droit, étant champi! Est-ce tout ce que vous aviez envie de dire?

Et en répondant tout droit à la Mariette, François la regardait d’une manière qui la fit rougir jusqu’au blanc des yeux, car elle vit qu’il avait l’air d’un homme sévère et bien sérieux, en même temps qu’il montrait tant de tranquillité et de douceur qu’il n’y aurait moyen de le dépiter et de le faire penser ou parler injustement.

La pauvre jeunesse en ressentit comme un peu de peur, elle pourtant qui ne boudait point de la langue pour l’ordinaire, et cette sorte de peur n’empêchait point une certaine envie de plaire à ce beau gars, qui parlait si ferme et regardait si franchement. Si bien que, se trouvant toute confondue et embarrassée, elle eut peine à se retenir de pleurer et tourna vitement le nez d’un autre côté pour qu’il ne la vît dans cet émoi.

Mais il la vit bien et lui dit en manière amicale:

– Vous ne m’avez point fâché, Mariette, et vous n’avez pas sujet de l’être pour votre part. Je ne pense pas mal de vous. Seulement je vois que vous êtes jeune, que la maison est dans le malheur, que vous n’y faites point d’attention et qu’il faut bien que je vous dise comment je pense.

– Et comment pensez-vous? fit-elle; dites-le donc tout d’un coup, pour qu’on sache si vous êtes ami ou ennemi.

– Je pense que si vous n’aimez point le souci et le tracas qu’on se donne pour ceux qu’on aime et qui sont dans un mauvais charroi, il faut vous mettre à part, vous moquer du tout, songer à votre toilette, à vos amoureux, à votre futur mariage, et ne pas trouver mauvais qu’on s’emploie ici à votre place. Mais si vous avez du cœur, la belle enfant, si vous aimez votre belle-sœur et votre gentil neveu, et mêmement la pauvre servante fidèle qui est capable de mourir sous le collier comme un bon cheval, il faut vous réveiller un peu plus matin, soigner Madeleine, consoler Jeannie, soulager Catherine, et surtout fermer vos oreilles à l’ennemie de la maison, qui est madame Sévère, une mauvaise âme, croyez-moi. Voilà comment je pense, et rien de plus.

– Je suis contente de le savoir, dit la Mariette un peu sèchement, et à présent vous me direz de quel droit vous me souhaitez penser à votre mode.

– Oh! c’est ainsi! répondit François. Mon droit est le droit du champi, et pour que vous n’en ignoriez, de l’enfant reçu et élevé ici par la charité de madame Blanchet; ce qui est cause que j’ai le devoir de l’aimer comme ma mère et le droit d’agir à celle fin de la récompenser de son bon cœur.

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