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— Je ne crois pas, mon garçon ! Pourquoi cette question ?

— Un, je ne suis pas votre garçon ! Deux, je suis le prince Morosini, de Venise, expert international en joyaux anciens, et ce monsieur que vous arrêtez est un archéologue français réputé, M. Vidal-Pellicorne. Quant à ce jeune homme…

— C’est un Juif… visiblement !

— Vous avez beaucoup d’esprit, n’est-ce pas ?… J’ajoute que si vous désirez en savoir plus sur nous, vous avez tout intérêt à vous adresser à notre ami, le chef-superintendant Warren, de Scotland Yard…

— Nous sommes en terre occupée et ne dépendons pas de Scotland Yard… Et j’ai vu ce que j’ai vu !

— Mais apparemment vous n’avez rien entendu ? Voilà pourquoi je vous ai demandé si vous êtes sourd ! J’ai accusé cet homme d’avoir fait assassiner le rabbin Abner Goldberg, bras droit du Grand Rabbin de Palestine, à la piscine de Siloé la nuit dernière…

— Si un quelconque rabbin avait été assassiné à Siloé, ça se saurait. Les Juifs auraient crié comme des chats écorchés…

— Je suis juif comme l’avez si bien remarqué, s’écria Ézéchiel, et je crierai plus fort encore qu’un chat écorché contre votre justice à vous les Anglais ! Cet homme est un meurtrier…

— … cette femme une voleuse internationale connue sous le nom de Margot la Pie, enchaîna Adalbert, et j’ajoute que tous deux retiennent captive la princesse Lisa Morosini, épouse de mon ami et fille d’un richissime banquier suisse. Or, nous avons tout lieu de craindre pour la vie de Lisa Morosini si on ne la retrouve pas très vite !

Cette pluie de précisions parut entamer la couche de certitude du capitaine. Surtout, apparemment, la dernière partie :

— Un richissime banquier suisse ? Qui donc ?

— Moritz Kledermann, de Zurich. Ça vous dit quelque chose ? fit Aldo avec un haussement d’épaules.

Il voyait mal ce qui, chez un citoyen des Cantons, pouvait intéresser un Anglais qui venait de balayer superbement la caution d’une des têtes pensantes de Scotland Yard. Celui-ci daigna le renseigner :

— J’ai une grand-mère à Zurich et je vais quelquefois la voir. Là-bas on connaît bien cet homme. Ainsi, il est votre beau-père ?

— On ne saurait mieux résumer la question. J’ajoute…

Cependant cet échange sur un ton plus amène parut impatienter sir Percy qui coupa sèchement :

— Quelle que soit la famille de ce Morosini, capitaine Harding, il n’en constitue pas moins une grave menace pour moi ainsi que vous venez de vous en convaincre en suivant, de votre cachette, la scène qui vient de se dérouler. Je vous rappelle que c’est pour m’en défendre que je vous ai appelé. Alors ne changeons pas de sujet, s’il vous plaît… et commencez par libérer miss Dawson !

— Sans doute, sir Percy, fit le capitaine en s’exécutant mais comprenez qu’il me faut éclaircir certains points. Les accusations qui viennent d’être portées sont graves et je ne doute pas de leur stupidité en ce qui vous concerne, mais j’aimerais en savoir un peu plus sur cette jeune dame.

— C’est une amie chère et j’en réponds !

— Bien entendu. Malgré tout je voudrais savoir pourquoi l’on vient de l’accuser d’être une voleuse internationale ? Cet homme a même prétendu qu’il y avait ici une preuve. Or on peut toujours être abusé… même par ses meilleurs amis… et je désire voir cette preuve.

— Oh, ce sera vite fait, assura Adalbert qui commençait à se demander si ce capitaine Harding avec ses révérences et ses ménagements n’était pas plus malin que son entrée en matière ne le laissait supposer. La référence à Moritz Kledermann avait fait vibrer une corde cachée sous sa cuirasse de morgue britannique – le sang suisse peut-être, joint à une certaine nostalgie de vacances enfantines, de chocolat au lait et de ranz des vaches ? Voulez-vous prier notre hôte de vous confier les clefs de cette vitrine ? ajouta-t-il en désignant celle qui se trouvait la plus éloignée de la grande fenêtre.

Sans paraître autrement ému, Clark prit, dans un coffret de cèdre, une petite clef et la tendit sans mot dire à l’officier qui alla ouvrir le meuble, auprès duquel Adalbert le rejoignit.

— Connaissez-vous le musée de Syracuse, capitaine ?… Non ?… Cela ne m’étonne guère. En général on connaît… ou l’on croit connaître parce qu’on les a parcourus d’un œil fatigué par trop de beauté, et sur des jambes lasses, les musées de Rome, de Florence, de Venise ou de Naples. C’est pourtant l’un des plus importants d’Italie en ce qui concerne l’art grec. Les passionnés de cette période et les connaisseurs, eux, sont loin de l’ignorer et cette jeune dame fait partie des connaisseurs. Voyez cette boucle de ceinture en or figurant la tête d’Héraclès coiffée de la gueule du lion de Némée qui date du IVe siècle avant Jésus-Christ ! – et, plongeant la main dans la vitrine, Adalbert en tira le petit mais admirable objet qu’il mit sur la paume de Harding. Elle a été volée il y a trois ou quatre ans au musée, avec quelques autres babioles, par celle que la presse a surnommée Margot la Pie… et qui est en ce moment en face de vous !

— C’est un scandale ! clama la jeune femme. Comment osez-vous m’accuser avec un tel aplomb ? Je n’ai rien à voir avec celle dont vous parlez et quant à cet objet…

— Sir Percy nous dira peut-être alors où il se l’est procuré ? fit Vidal-Pellicorne en se tournant vers le vieil homme mais s’il espérait le décontenancer, il se trompait. L’autre lui offrit même un sourire un rien dédaigneux :

— Oh, c’est fort simple : je l’ai acheté. Très cher d’ailleurs, à un personnage bizarre qui est venu me voir un soir au Caire où je donnais une série de conférences. J’avoue ne pas m’être soucié de la provenance et en cela peut-être suis-je coupable mais j’ai été tellement séduit par la beauté de cette boucle que j’ai payé sans même marchander.

— Un homme, en vérité ? Et un homme « bizarre », ironisa Adalbert. Je ne doute pas que si l’on vous demandait de le décrire vous ne nous régaliez du plus pittoresque des portraits. Moi je crois qu’en fait de personnage mystérieux, c’est plutôt notre chère Hilary qui vous l’a apportée puisque c’était elle qui la possédait. Si l’on cherche bien, d’ailleurs, ajouta-t-il en se penchant de nouveau sur la vitrine, je suis persuadé que l’on trouverait ici d’autres produits de ses larcins. Sans compter les deux émeraudes, les « sorts sacrés » juifs que sir Percy s’est dépêché de fourrer dans sa poche quand vous les avez sorties de celles du prince. Des émeraudes qui cependant lui appartiennent bel et bien et que nous nous sommes donné un mal de chien pour ramener à Jérusalem…

— Et qui sont la rançon de ma femme ! explosa Aldo dont la patience était usée jusqu’à la corde. Pendant que nous palabrons ici elle est peut-être en train de mourir à l’endroit où cette misérable femme l’a cachée ! je vous somme – vous entendez capitaine ? – je vous somme de faire votre devoir d’honnête homme en arrêtant cette femme et en…

— Un instant ! un instant ! coupa Harding. « Cette femme » ! Je n’entends que ça ? Elle a bien un nom…

— Naturellement, elle a un nom, fit calmement sir Percy. C’est l’Honorable Hilary Dawson.

— Et ça, c’est un gros mensonge !

Contrairement à ceux qui l’avaient précédé, c’était par la porte et introduit par Farid, que le lieutenant Douglas Mac Intyre venait de faire son entrée juste à temps pour entendre la fin de la phrase.

— Comment ça, un mensonge ? tonna l’archéologue. Et d’abord qui êtes-vous ?

En rectifiant la position, l’Écossais déclina ses noms, grade et qualités mais, bien décidé à garder l’avantage causé par son arrivée inattendue, il ajouta aussitôt :

— Je connais très bien l’Honorable Hilary Dawson, attachée au British Muséum, parce que c’est une amie de ma tante Arabella depuis qu’elles étaient au collège ensemble. C’est une charmante personne avec des cheveux gris et un lorgnon qui doit avoir le même âge que ma tante : une bonne soixantaine d’années.

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