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L’échelle servit à franchir le mur mitoyen à peu près à égale distance des angles de la maison, de façon à être hors de vue des gardiens. Adalbert passa le premier, sauta à terre sans faire le moindre bruit. Martin le suivit courageusement étant donné sa tendance au vertige et, pour le combattre, se laissa tomber bravement les yeux fermés. Théobald ferma la marche plus calmement en prenant soin de tirer l’échelle côté La Tronchère. Après quoi chacun s’en alla, en prenant mille précautions et sur la pointe des pieds, vers l’objectif qui lui était assigné. Du haut du mur, Adalbert avait déjà examiné le versant de la maison qu’il voulait escalader, repéré au-dessus des grosses pierres en relief qui formaient la base, ici une corniche, là un balcon, qui lui simplifieraient la tâche, sans compter un superbe tuyau de descente des eaux. Mais, une fois à pied d’œuvre, il vit les choses autrement et se demanda si ce serait aussi facile qu’il l’avait imaginé. Pourtant un atout supplémentaire se présentait : au second étage – le premier était très élevé – une tourelle vitrée venait de s’allumer. Elle lui éclairait du même coup le chemin. Après avoir enfilé des gants de daim qui protégeraient ses doigts, il s’élança à l’assaut de la maison.

Le début fut encourageant : les parpaings de la base se montrèrent conciliants et le grimpeur atteignit sans difficultés majeures le premier balcon d’une large fenêtre obscure qui devait donner sur une pièce de réception quelconque, mais au-dessus le mur était lisse en dépit des tarabiscotages prétendument médiévaux qui ornaient ladite fenêtre. Heureusement, il découvrit une haute colonne proche du tuyau de descente, destinée sans doute à le rendre moins laid en l’aidant à se fondre dans l’ensemble. Alors il enjamba la colonne, s’arc-bouta entre les deux « ornements » et, conscient qu’un faux mouvement pouvait le précipiter à terre, il reprit son ascension. Elle se fit plus lente, plus pénible aussi parce que la peur s’y mêlait. Il devait choisir soigneusement les points d’appui de ses mains et de ses pieds. Il eut l’impression que cela allait durer l’éternité avant d’atteindre le second balcon orné de trèfles évidés comme sur les rambardes de Notre-Dame de Paris. Il voyait de mieux en mieux à mesure qu’il approchait de la tourelle éclairée mais cet avantage présentait l’inconvénient qu’il devenait, de ce fait, beaucoup plus visible. Enfin son calvaire prit fin. Il atteignit la corniche où reposait le petit balcon et s’y laissa tomber avec un soupir de soulagement. Le plus dur était fait. Atteindre le toit n’occasionnerait guère de difficultés grâce à la surabondance de galbes, de pignons, de sculptures dont certaines n’avaient d’ailleurs pas grand-chose à voir avec le Moyen Âge : tel l’angelot joufflu qui le regardait en rigolant et en agitant une trompette. Il se trouvait à présent à la hauteur de la tourelle – plutôt une échauguette en forme de lanterne – bâtie en surplomb et dont le séparait seulement quelque deux mètres de corniche.

Reposé, il allait reprendre son ascension quand il aperçut une silhouette de femme : celle qui était arrivée tout à l’heure sans doute et qui, maintenant, jetait un coup d’œil à l’extérieur, essayait d’ouvrir la fenêtre de façade puis, n’y parvenant pas, reculait dans la pièce avec un haussement d’épaules découragé.

D’où il était, Adalbert la distinguait mal, surtout à cause de la saleté qui couvrait les carreaux, mais dans cette silhouette entrevue, quelque chose accrocha son attention et il pensa que cette femme était peut-être prisonnière. Le mieux étant, selon lui, d’y aller voir, il enjamba le balcon et, le dos au vide, progressa sur la corniche. Il atteignit celui des trois panneaux vitrés qui était le plus proche de lui, nettoya un morceau de carreau avec son mouchoir et, en se tordant le cou, réussit à voir l’intérieur de la chambre. Ce qu’il vit alors le sidéra tellement qu’il faillit dégringoler en bas de la maison. C’était bien une femme qui était assise là, presque en face de lui, dans un fauteuil et une attitude découragée, mais cette femme c’était Marie-Angéline du Plan-Crépin.

Il ne perdit pas de temps à se demander ce qu’elle faisait dans ce lieu et, envahi d’un espoir tout neuf, il se mit à tambouriner doucement, puis un peu plus fort, contre la vitre. Il la vit tressaillir, lever la tête puis se précipiter vers la fenêtre qui, d’ailleurs, était dépourvue d’ouverture, y coller son visage puis réprimer un cri de joie. Presque aussitôt suivi d’un geste d’impuissance affolée. Pour la calmer il appliqua sa main sur la vitre, paume à plat, puis fouilla dans ses poches où se trouvait un assortiment d’outils de petite taille fort utiles à qui souhaite s’introduire chez quelqu’un sans sa permission. Parmi eux, il y avait un diamant de vitrier à l’aide duquel il entreprit de découper le carreau sur son pourtour afin de se frayer un passage. Comprenant son idée, Marie-Angéline partit chercher un oreiller et l’appliqua sur la vitre pour diminuer le bruit. Ce fut un travail long et plutôt fatigant étant donné la position instable d’Adalbert mais, finalement, le carreau fut enlevé, déposé sur le tapis, et la fausse Mina put aider son ami à franchir l’ouverture. À l’intérieur de la maison rien n’avait bougé.

— Éteignez ! chuchota Adalbert. Ils croiront que vous dormez et on peut aussi bien causer dans l’obscurité. À présent, dites-moi ce que vous faites là ? ajouta-t-il en se laissant tomber sur le pied du lit pour éponger la sueur qui lui coulait du front et d’un peu partout.

— Je remplace Lisa. Elle devait apporter toute la collection de joyaux d’Aldo.

Elle apprit alors à Adalbert le chantage auquel Lisa avait été soumise et les ordres qui lui avaient été donnés par les ravisseurs, précis et féroces. Elle devait venir sous un nom d’emprunt et ne prévenir aucun des amis d’Aldo ni des siens propres sous peine de mort pour son époux. Elle était donc partie, emportant la collection et sous son ancienne apparence de Mina Van Zelden, la fidèle et peu attrayante secrétaire d’autrefois.

— Mais, continua la vieille fille, une fois qu’elle été embarquée sur le Simplon-Express, M. Buteau resté à Venise, n’a pas supporté l’idée de la savoir seule aux prises avec des gens aussi dangereux. Il fallait qu’il fasse quelque chose : alors, afin d’être certain que sa communication ne soit pas surprise, il est allé chez le pharmacien Franco Guardini l’ami d’enfance d’Aldo, et il a appelé chez nous. Ce qu’il voulait, c’est que la marquise prévienne son ami l’ancien commissaire Langevin, mais nous avons eu une autre idée. Connaissant le plan que devait suivre Lisa, je suis allée la rejoindre au Continental et j’ai réussi, non sans mal, à la convaincre de prendre sa place. Ce rôle-là je pouvais le jouer sans difficultés…

— Ce qui m’étonne, c’est que vous ayez réussi ! Telle que je la connais… Elle ne vous a pas flanquée à la porte ?

— Oh, elle a essayé, mais je suis plus forte qu’elle. En outre je crois qu’elle a éprouvé un soulagement à voir enfin devant elle un visage ami. Elle a relâché la tension en pleurant d’abord, puis en ne se faisant pas trop prier pour me dire ce qu’elle allait devoir faire. Seulement quand j’ai dit que je voulais y aller à sa place, elle est devenue intraitable c’était elle qui devait y aller et nulle autre. Alors j’ai employé les grands moyens…

— Et c’est quoi, les grands moyens ?

Marie-Angéline rougit furieusement – un spectacle qui se perdit dans l’obscurité ! – baissa la tête et soupira :

— Je lui ai envoyé un uppercut au menton.

— Un quoi ?

— Un coup de poing ! Il faut vous dire que je fais beaucoup de gymnastique et que j’ai un peu étudié la boxe… Avec un adversaire non prévenu je me débrouille assez bien.

— Je me demande s’il y a quelque chose au monde que vous n’ayez pas essayé ! exhala Adalbert sidéré. Et après ?

— Je l’ai déshabillée, ligotée avec les ceintures des peignoirs de bain, bâillonnée avec un mouchoir et enfermée dans la salle de bains. Rassurez-vous, elle ne manque pas d’air. Là-dessus j’ai pris ses vêtements… et sa place au rendez-vous. Seulement nous ne sommes pas au bout de nos peines : le démon que j’ai vu à l’étage en dessous veut Lisa sinon il ne relâchera pas Aldo.

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