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Les poings sur les hanches, Martin examinait les lieux :

— C’est drôlement calme pour un endroit où un drame vient de se dérouler ! remarqua-t-il.

— J’ai de plus l’impression qu’il n’y a personne fit Adalbert qui, la mine sombre, était en train d’entrer dans le salon.

L’éclairage révéla une bien banale réalité : pas la moindre trace de désordre. Même le vase d’iris posé sur un guéridon léger était en place et n’avait pas perdu une goutte d’eau. La pendule sur la cheminée égrenait imperturbablement des heures tranquilles.

— Ou bien votre bonhomme est un pur esprit, dit Martin qui le rejoignait, ou bien c’est la fée du logis. Étes-vous sûr qu’il s’est passé quelque chose ici ?

— Je suis sûr de ce que j’ai entendu au téléphone, sûr du lieu – ici même ! – où l’on convoquait Morosini. Que voulez-vous que je vous dise plus ? Continuons la visite !

— Histoire de voir s’il n’y a pas un cadavre dans salle de bains, un pied encore mal brûlé dans la tisanière ou un grand couteau abandonné sur table pleine de sang ?

— Vous êtes trop jeune pour avoir connu Landru, grogna Adalbert, sinon je penserais que c’est l’une de vos références préférées. Quelle imagination !

— Dans mon métier c’est indispensable !… Oh ! Venez voir !

Ouvrant une porte après l’autre, le journaliste venait de pénétrer dans la chambre principale qu’il n’eut pas besoin d’allumer parce qu’une petite lampe de chevet emballée de soie rose la baignait d’une douce lueur. À la faveur de laquelle apparut la comtesse Abrasimoff. Draps de soie blanche, chemise de nuit d’indiscrète dentelle, masse luxuriante de noirs cheveux dénoués, Tania dormait, immobilisée par le sommeil dans une pose infiniment gracieuse. Martin jura entre ses dents :

— Cré nom d’un chien ! La belle poupée !... On dirait que j’ai eu une bonne idée de m’annoncer comme docteur ! L’auscultation va être un vrai bonheur ! Eh bien, que faites-vous ?

— Vous le voyez : je la réveille ! Cette jolie poupée comme vous dites a des comptes à nous rendre !… Ou plutôt j’essaie de la réveiller.

En effet, il avait d’abord posé une main légère sur l’épaule de la jeune femme, mais n’obtenant aucun résultat il accentuait sa pression jusqu’à la secouer carrément.

— Rien à faire ! dit-il en laissant Tania retomber dans ses oreillers soyeux. Elle a dû prendre un somnifère…

— Costaud, alors ! fit Martin en se penchant pour soulever l’une des douces paupières. Elle est droguée, oui ! ajouta-t-il en se redressant. Et je parierais qu’elle en a encore pour un bout de temps ! Que faisons-nous ?

— Je n’en sais rien, mais je voudrais tout de même qu’elle me dise où est passé Morosini.

— Ce n’est pas ici qu’on le trouvera !

— Où alors ? émit Adalbert partagé entre la colère et l’inquiétude.

Le journaliste haussa les épaules :

— Comment voulez-vous que je le sache ? Dans la Seine peut-être, comme le pauvre Vassilievich… Ou ailleurs. Qui peut le dire ?

— Ça vous est facile à vous ces suppositions ridicules ! gronda Adalbert atteint soudain d’une furieuse envie de boxer le journaliste. Moi, c’est mon ami… et j’ai besoin, vous entendez, besoin de savoir où il est !

— Calmez-vous ! Je m’en doute bien, mais il ne sert à rien de rester ici. Il vaudrait même mieux filer. Demain, sous un prétexte quelconque, je viendrai enquêter dans la rue, interroger les gens de l’immeuble, ceux d’en face…

Adalbert passa sur ses yeux une main lasse, insistant sur la racine du nez comme il le faisait quand quelque chose le tourmentait :

— Vous avez raison. Pardonnez-moi !

— Je n’ai rien à vous pardonner…

Par acquit de conscience, ils visitèrent une fois de plus l’appartement de fond en comble, essayèrent de nouveau de réveiller Tania, mais, comme disait Martin, elle en avait encore pour un bout de temps. Ils ressortirent, refermèrent la porte soigneusement. Et se figèrent. En bas quelqu’un entrait dans l’ascenseur qui se mit en marche aussitôt… Quelqu’un qui devait bien connaître la maison parce qu’il ne jugea pas utile d’éclairer l’escalier. Quelqu’un enfin qui devait être de bonne humeur car à mesure que progressait l’appareil élévateur, l’écho d’une chanson montait avec lui. Un cantique plutôt et en russe. Martin agrippa la manche d’Adalbert :

— C’est la servante ! chuchota-t-il. Montons un demi-étage !

Tapis dans l’escalier, les deux hommes virent en effet l’ascenseur s’arrêter au troisième et une forme ténébreuse en sortir. C’était bien Tamar, comme le leur révéla la minuterie que la femme fut obligée d’allumer pour glisser la clef dans la serrure. La porte se referma derrière elle avec un bruit sourd et la résonance du chant se perdit dans les profondeurs de l’appartement.

— Filons à présent ! fit Martin Walker. Je reviendrai demain l’interroger.

— Ça va être commode si elle ne parle que russe !

— J’en sais assez pour me débrouiller, les langues étrangères, moi, c’est ma passion ! Venez !

Dédaignant la cabine de verre arrêtée à l’étage ils descendirent sans faire de bruit, le tapis d’escalier assourdissant leurs pas, et, quelques instants plus tard, ils se retrouvaient dans la rue. Le jour n’était plus loin et les balayeurs faisaient leur apparition. Sans mot dire il gagnèrent la place du Trocadéro où ils se séparèrent :

— Je rentre au journal, dit Walker. Il faut que je finisse mon travail mais, si j’en apprends un peu plus, je vous téléphonerai. Donnez-moi votre numéro… et aussi votre adresse ! Appelez-moi si vous avez du nouveau.

Adalbert griffonna les renseignements demandés sur une page de son calepin, l’arracha et le remit au jeune homme.

— Entendu ! Je ne bougerai pas de chez moi de la journée !

Les deux hommes se serrèrent la main et se séparèrent après avoir hélé chacun un taxi.

Tandis que la voiture roulait vers la rue Jouffroy dans la grisaille de l’aube, Vidal-Pellicorne, fidèle à sa nature optimiste, laissait monter en lui un espoir qui prenait sa source dans le sommeil de la belle Tania. La lumière de la veilleuse ne révélait aucune trace de violence sur sa peau ni de larmes sur son visage. Il ne s’agissait peut-être que d’une comédie bien montée pour obliger Aldo à remettre enfin au pseudo-descendant de l’Empereur le joyau si ardemment convoité. Auquel cas, celui-ci pouvait fort bien être rentré et lui, Adalbert, allait le retrouver tout platement en train de fumer cigarette sur cigarette, assis dans le fauteuil qu’il affectionnait…

Saisi d’une hâte soudaine, il frappa au carreau de séparation pour prier son chauffeur de forcer l’allure. L’autre se contenta de hausser les épaules mais obtempéra et, en quelques minutes, Adalbert fut à destination. Le ciel était rose à présent et les fenêtres ouvertes sur l’aurore annonçaient que Théobald avait déjà commencé sa journée. Ce n’est pas ce qu’espérait Adalbert. Il paya généreusement son chauffeur soudain débordant d’amabilité et se dépêcha de rentrer chez lui.

En claquant la porte derrière lui, il fit sursauter Théobald qui, au bout de la galerie desservant les pièces de réception, transportait sur un plateau les objets nécessaires au petit déjeuner. Habitué cependant il n’accorda qu’un regard distrait à l’arrivant :

— Bonjour, Monsieur le Prince. Je ne vous savais pas sorti…

Adalbert se rappela alors qu’il portait les vêtements d’Aldo et suivit son serviteur dans la salle à manger :

— C’est moi, Théo ! dit-il. Cette nuit j’ai emprunté les habits du prince pour lui permettre de sortir sans traîner après lui la sentinelle dont le commissaire Langlois nous avait honorés. Est-ce qu’il est rentré ?

— Qui ? Son Excellence ?

— Qui d’autre, idiot ?

— Très juste ! admit Théobald sans s’émouvoir. Ma foi, je n’en sais rien… mais je peux aller voir.

— Inutile ! J’y vais…

Hélas, la chambre d’Aldo était exactement dans le même état que lorsqu’il l’avait quittée. Adalbert les jambes fauchées, se laissa choir sur le lit dont la couverture avait gardé le pli impeccable donné par Théobald. Celui-ci, qui le suivait, tira les rideaux :

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