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— Ne me prenez pas pour un imbécile ! L’histoire que vous m’avez racontée – avec talent d’ailleurs – sur la mort d’El-Kouari était passionnante mais vous en avez escamoté un passage. Les mots qu’il a prononcés en mourant étaient la conclusion logique du fait qu’il vous l’avait confié. Les assassins ne pouvaient l’avoir remis à celui qui le convoitait, sinon je me demande pourquoi on aurait pris la peine de vous assommer et de mettre vos chambres au pillage le soir de la fête du gouverneur ? Ensuite Ibrahim Bey a été assassiné et sa maison saccagée presque immédiatement après votre visite. On ne se donne pas tant de mal pour obtenir ce que l’on a déjà.

— C’est bien raisonné et, en admettant que vous soyez dans le vrai, je ne vois pas à quoi il pourrait vous servir, aussi longtemps que vous ne saurez pas où se situe la tombe ?

— Qui vous dit que je n’en aie pas une idée ?

— Rien. Si ce n’est peut-être qu’ayant Adalbert sous la main il serait plus logique de l’embaucher ? Ce n’est pas moi qui vous apprendrai sa valeur ni l’affection qu’il vous porte…

— Il ne doit en rester que des lambeaux aujourd’hui ? fit le vieil homme avec un demi-sourire amer. Et j’espérais qu’il ne saurait pas. Mais pourquoi aussi ne m’a-t-il pas fait confiance ? lâcha-t-il avec une sorte de rage. Nous aurions alors travaillé ensemble… Ou peut-être n’est-il pas trop tard ?

Le ton avait baissé et une lueur d’espoir apparaissait dans le regard qu’il glissait vers Morosini.

— Je lui fais des excuses, on oublie tout, vous me le ramenez et on se met à l’ouvrage ?

Décidément, il régnait une joyeuse inconscience dans cette curieuse confrérie des explorateurs de nécropoles ! Celui-là, en tout cas, en possédait une sacrée dose. Quoi qu’il en soit, il était temps de calmer cette poussée d’enthousiasme :

— Vous allez un peu vite ! Un : je n’ai pas mandat pour parler en son nom et j’ignore s’il est prêt à vous pardonner ! Deux : Adalbert doit rester caché. Vous oubliez les gens qui ont tué Ibrahim Bey et fouillé votre maison. Trois : il n’a pas l’Anneau en sa possession… et moi non plus ! ajouta-t-il plein de l’agréable sensation de ne pas entièrement tordre le cou à la vérité puisque c’était Plan-Crépin la détentrice.

En dépit des fautes avouées et du côté burlesque du plan échafaudé, il ne parvenait pas à rendre au vieux Lassalle la confiance que, sur la parole d’Adalbert, il lui avait si spontanément accordée. Il y avait, enfin, le flair de fin limier de Marie-Angéline qui, elle, s’était méfiée dudit Lassalle dès la première rencontre.

Mais celui-ci revenait à la charge.

— Vous avez peut-être raison ! Dites-moi au moins où il s’est réfugié ? Je vais préparer ses bagages et les lui apporterai ?

— … ce qui ne manquerait pas de le faire repérer sans tarder, et par des gens qui ne font pas de quartier. Aussi vais-je me contenter de prendre le strict nécessaire et le lui faire parvenir discrètement. Je n’ai nulle envie que votre enlèvement « pour rire » recommence en plus brutal… Et soyez tranquille, je vous tiendrai au courant !

— Merci ! Et vous comptez prolonger votre séjour longtemps ?

La naïveté de la question lui donna envie de rire. Un de plus à brûler d’envie de lui voir tourner les talons !

— Rien ne presse ! Je respire une atmosphère de suspense ! Je suis aux aguets ! Le sens de l’intuition, si vous voulez, et nous le possédons, Adalbert et moi. Aussi ne prendrons-nous jamais la fuite la veille d’une bataille. Nous faisons équipe depuis trop d’années, lui et moi, pour que ce soit seulement imaginable. On n’y peut rien ! C’est ainsi !… À présent, je vais aller préparer une valise…

— Une minute, s’il vous plaît ! Auriez-vous une idée de l’endroit où peut se trouver l’Anneau ?

Fidèle à son vieux principe de répondre à une question par une autre, Aldo haussa les épaules :

— Et vous-même ? Qui soupçonnez-vous de la mort d’El-Kouari ?

— D’après ce que vous en avez dit, des sbires à la solde du prince Assouari, puisqu’il a eu l’audace de se rendre en personne chez vous pour vous interroger. Mais s’il avait eu l’Anneau, Ibrahim Bey serait toujours vivant…

— Possible mais pas sûr ! Il y a un fait que vous ignorez sans doute : peu de temps avant le vol chez Howard Carter, un autre a eu lieu, encore plus audacieux, puisqu’il a eu pour cadre le British Museum où l’on a dérobé une croix ansée… en orichalque. Le seul objet du musée provenant de l’Atlantide… Or, cet objet ne serait rien d’autre que la clef – ou l’une des clefs car il se pourrait qu’il en existe plusieurs – permettant d’accéder à la tombe de la Reine Inconnue. Les deux objets sont complémentaires pour pénétrer et vaincre une malédiction considérablement plus redoutable que celle protégeant la sépulture du jeune Tout-Ank-Amon…

— Comment le savez-vous ?

— Parce que l’homme chargé de l’affaire est le meilleur « nez » de Scotland Yard : le Superintendant Gordon Warren… qui est de nos amis à Adalbert et à moi !

La mise en garde était claire mais, emporté par sa passion pour la Reine Inconnue, Lassalle n’y prit pas garde :

— Assouari en serait le détenteur ?

— Si je le savais, Warren serait déjà ici ! Croyez-moi, il ne passe pas inaperçu ! Maintenant, je vous laisse tirer les conséquences.

— Qu’en concluez-vous, vous-même ?

— Moi ? Rien ! Je me contente de veiller au grain ! Vous devriez suivre mon exemple !

Et, allumant, cette fois, un large sourire, Aldo s’en alla remplir une valise dans la chambre d’Adalbert. Une surprise l’y attendait : en rassemblant nécessaire de toilette, pendulette de voyage et autres menus accessoires, il tomba sur un porte-cartes en crocodile dans lequel, au milieu des cartes de visite de son ami, il découvrit une photo de Salima en tenue de travail, la tête auréolée de son chapeau de paille et appuyée sur une bêche. Elle souriait et ce sourire, plein de confiance, était bien l’un des plus beaux qu’il lui ait été donné de voir.

Il la remit au milieu des petits vélins gravés en y ajoutant un soupir. Pauvre Adalbert !

10

L’attaque

Adalbert n’était pas chez Karim depuis quarante-huit heures qu’il regrettait sa prison flottante. Non que son hôte fût désagréable. Bien au contraire ! Il ne savait que faire pour rendre son séjour aussi plaisant que possible, s’enquérant de ce qu’il aimait manger, boire, lire, entendre en fait de musique, fumer, et lui tenant compagnie de son mieux. Seulement, il était trop bavard ! Et surtout, en dehors des digressions sur les événements extérieurs, le temps qu’il faisait, les nouvelles des journaux, et de quelques échanges sur leurs préférences littéraires respectives, il ne parlait que de Salima !

Un sujet qui, normalement, eût dû le passionner, et c’eût été le cas si le jeune homme s’était contenté de raconter ce qu’il pouvait savoir d’elle au besoin depuis l’enfance, mais il s’en tenait à l’histoire de leur amour, ce qui maintenait Adalbert dans un état second oscillant entre l’envie de pleurer et celle de l’étrangler. Il était déjà assez pénible de vivre chez son rival – inconscient sans doute, mais d’autant plus prolixe ! –, alors entendre le récit minutieux de leurs rencontres et l’épanouissement quasi instantané de leur romance !…

Adalbert savait à présent que Karim, jeune avocat au barreau du Caire suffisamment fortuné pour ne pas courir après le client et s’offrir toutes les vacances souhaitables, et la petite-fille d’Ibrahim Bey s’étaient rencontrés à l’une des fameuses soirées de la princesse Shakiar et que le double coup de foudre avait été immédiat. Ils avaient dansé ensemble, parlé ensemble auprès des fontaines lumineuses des jardins et promis de se revoir bientôt. Ce qu’ils n’avaient pas manqué de faire à plusieurs reprises. Salima, passionnée d’égyptologie, avait tenté d’initier son amoureux, mais comment attacher ses pensées à des reines mortes, eussent-elles été aussi belles que Néfertiti, Néfertari ou Cléopâtre, quand on avait devant soi la plus « éblouissante créature de la terre » ? Et que cette merveille lui disait qu’elle l’aimait ?

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