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A
A

— Si ça peut le rendre heureux…

Cependant Plan-Crépin palpait l’enveloppe sans oser l’ouvrir :

— Qu’est-ce que c’est ?

— Un anneau… et la dernière cachotterie qu’on vous ait faite ! Justement parce que nous craignions que vous n’alliez la livrer tout droit à Adalbert !

— Mauvaise raison ! Si vous commenciez par m’en parler ? Je ne lui donnerai rien avant de savoir de quoi il retourne ! Étant donné que vous ne partez que demain, nous n’avons pas à nous presser !

Et elle alla s’installer dans un fauteuil, bras croisés, attendant la suite.

— Plan-Crépin ! reprocha Mme de Sommières. Vous trouvez qu’Aldo n’a pas suffisamment d’ennuis ? Pourquoi compliquer les choses ?

— Nous devrions me connaître mieux ! Je suis vexée qu’après tant d’aventures courues ensemble on ait jugé bon de me cacher quelque chose… de primordial peut-être ?

— Sans aucun doute ! rétorqua Aldo qui commençait à perdre patience. Alors vous m’écoutez ou vous me délivrez une mercuriale ? Si c’est ça, j’expédie l’Anneau à Henri Lassalle et…

— Non, non ! Surtout pas ! J’écoute !

En de courtes phrases il eut remis l’Anneau dans son contexte et, pour finir, décolla l’enveloppe afin de le lui montrer. Son mouvement de mauvaise humeur était déjà oublié et elle écarquillait des yeux de petite fille émerveillée :

— Une bague venue de si loin !… du fond des âges ! C’est inouï !

— Alors, vous allez la lui donner ou non ?

— Bien sûr… quoique je me demande si n’aviez pas un peu raison en pensant…

— On n’en sortira pas ! déplora Mme de Sommières. Donne-moi ça, Aldo, j’irai moi-même…

Elle n’acheva pas sa phrase. Le téléphone intérieur sonnait. Plan-Crépin se dépêcha de décrocher. Cela faisait partie de ses tâches, la marquise détestant l’idée que l’on pût la sonner comme une domestique. Les réponses furent concises :

— Oui !… Oui, il est là ! Entendu, je le préviens !

Elle reposa le combiné puis se tourna vers Aldo :

— M. Lassalle est en bas. Il désire vous parler !

— J’y vais ! Tenez, rangez ça ! ajouta-t-il en fourrant enveloppe et Anneau dans les mains de Marie-Angéline. J’en profiterai pour faire retenir mes places de retour à Venise le plus vite possible…

Il descendit l’escalier en courant et gagna le bar où le vieux chercheur l’attendait, assis à une table d’encoignure devant un verre déjà à moitié vide. Bien qu’il fût tiré à quatre épingles comme d’habitude, Aldo fut frappé par les plis soucieux marquant son visage. Aussi, avant même de lui serrer la main, demanda-t-il ce qui l’amenait.

— Oh, une vétille : Adalbert a disparu !

— Comment, disparu ? s’étonna Aldo en se glissant auprès de son visiteur sur la banquette de velours rouge.

— Comment, je n’en sais rien ! Tout ce que je peux dire est que je ne l’ai pas vu depuis deux jours. Il est sorti avant-hier soir après avoir reçu un billet porté par un gamin en disant qu’il n’en aurait pas pour longtemps…

— Et vous ne vous inquiétez que maintenant ? Vous avez prévenu la police ?

— Évidemment, oui, mais plutôt par acquit de conscience. Vous connaissez ses capacités.

— Vous auriez pu me prévenir, moi.

— C’est ce que je fais… bien que, je vous l’avoue, j’y aie mûrement réfléchi. D’abord, Adalbert est très monté contre vous. Ensuite, ce n’est pas la première fois qu’il me joue ce tour. Voilà cinq ou six ans, alors qu’il séjournait chez moi, il est parti un soir en prétextant le même motif et n’est réapparu que trois jours après, dégoulinant de contrition mais si visiblement content que je n’ai pas eu le courage de lui faire des reproches. Il est vrai que le « quelqu’un » était une femme…

— Qui vous dit que l’histoire ne se renouvelle pas ?

— Il n’y en a qu’une qui l’intéresse en ce moment, et vous savez qui. Étant donné la chaleur de leurs relations, je serais fort étonné qu’il passe tout ce temps entre ses bras…

— La meilleure façon de le savoir n’est-elle pas d’aller vérifier ?

Le sang d’Henri Lassalle ne fit qu’un tour :

— Moi ? Que j’aille chez ce chameau de princesse Shakiar où elle habite ? Je ne vois d’ailleurs pas ce qu’Adalbert fabriquerait là-bas.

— Vous savez pertinemment qu’elle n’y est plus, puisqu’elle s’est installée au château du Fleuve le jour des funérailles ?

M. Lassalle éclusa son verre et fit une grimace aussi affreuse que s’il avait avalé de l’huile de ricin. Qu’Aldo traduisit aussitôt :

— … Mais vous n’avez aucune envie d’y aller voir ! C’est pousser la misogynie un peu loin ! Non ?

— Cette fois, vous ne pouvez nier que vous êtes responsable !

— Bon ! Écoutez, nous n’allons pas ergoter plus longtemps. Je me charge de cette corvée. Si Adalbert y est, je le saurai tout de suite !

— Même s’il est retenu captif ?

— Pour quelle raison ? Ces derniers temps, la belle Salima montrait une propension marquée à l’écarter de sa route. C’est décidé, j’y vais ! Rassurez-vous, conclut-il plus doucement, je passerai vous voir en rentrant.

Il remonta quatre à quatre chez Mme de Sommières où, c’était à prévoir, sa nouvelle arracha un cri d’angoisse à Marie-Angéline. Ce qui fit sursauter la vieille dame :

— Qu’est-ce qui vous prend de hurler de la sorte, Plan-Crépin ? Il n’est pas mort, que je sache !

— Vous n’en savez rien ! riposta l’interpellée en oubliant sous le coup de l’émotion son pluriel de majesté. Je suis sûre que cette femme est dangereuse !

— Moi aussi, mais j’en ai vu d’autres, répondit Aldo. Aussi y vais-je sans tarder ! Si je ne revenais pas – sait-on jamais ? – allez prévenir M. Lassalle… Quel que soit le souvenir que vous gardez de lui !

Il était sur le point de sortir quand elle le rappela d’une voix timide :

— Vous partez toujours demain ?

En dépit de son inquiétude, il ne put retenir un sourire :

— Vous ne perdez jamais le nord, n’est-ce pas, Mademoiselle du Plan-Crépin ? Je vous laisse répondre vous-même à cette question idiote !

8

Ce qu’avait vu Freddy Duckworth

Quand son taxi s’arrêta devant l’ancienne demeure d’Ibrahim Bey et qu’il le pria de l’attendre, le bonhomme fit la grimace. Depuis le drame dont il avait été le cadre, le vieux castel n’avait plus bonne réputation. Pour le convaincre, Aldo ne lui paya que la moitié de ce qu’il lui devait, en promettant course double s’il le retrouvait en sortant.

— Et si ti ne ressors pas ?

— Alors tu iras où tu m’as pris, tu demanderas M. Lassalle…

— Ji connais !

— Parfait. En ce cas, tu lui diras où tu m’as déposé et il te donnera au moins ce que je t’ai promis…

On s’en tint là.

Cette fois, la porte médiévale était fermée et Aldo dut actionner la chaîne de la cloche à plusieurs reprises avant de faire apparaître, dans l’entrebâillement, la tête enturbannée d’un serviteur noir auquel il tendit une carte de visite en demandant si Mlle Hayoun voulait bien le recevoir. L’homme s’inclina et disparut, le laissant retrouver la jarre d’oranger qui lui avait donné asile le jour du massacre.

Il n’y resta pas longtemps. Deux minutes tout au plus avant que la princesse Shakiar ne fasse une de ces entrées théâtrales qu’elle semblait affectionner dans une longue tunique noire sur laquelle glissait une avalanche de sautoirs d’or dénués de pierres précieuses comme les bracelets qui cliquetaient à ses poignets. L’entretien commença mal :

— Que voulez-vous ? questionna-t-elle d’emblée sans s’encombrer de formules de politesse.

Lui retournant un sourire moqueur, il esquissa un salut :

— Je croyais avoir demandé Mlle Hayoun ? Vous ne lui ressemblez guère !

— Elle ne reçoit pas. Quant à moi, je suis ici pour veiller sur elle durant le deuil cruel qu’elle subit. Et elle ne veut voir personne. Qu’attendez-vous d’elle ?

De toute évidence, Aldo avait devant lui une espèce de dragon peu disposé à lâcher pied. Cependant il hésita à répondre, se souvenant du ton amer d’Ibrahim Bey faisant allusion à cette femme qui avait su attirer à elle l’unique membre de sa famille. Il ne pourrait être que très mécontent de la voir évoluer dans son domaine comme chez elle. C’est en pensant à lui qu’il choisit d’atermoyer :

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