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— Celui qui était à la maison des Palmes et qu’on a kidnappé ?

— Tu en sais, des choses ! constata Aldo, surpris.

— C’est une petite ville, ici. Il suffit de savoir écouter et d’ouvrir ses yeux. Je connais le garçon qui est allé chercher ton ami.

— Il t’a dit qui l’avait envoyé ?

— Non. Un Arabe dans une voiture noire lui a donné un message à porter en disant qu’il devait ramener quelqu’un. Le quelqu’un est venu. Il est monté dans la voiture et elle est partie en direction du fleuve. Il ne sait rien de plus… sinon que le bakchich a été généreux.

— Le tien le sera aussi si tu nous donnes un coup de main.

— Je voudrais bien, mais entrer chez le prince quand il est là, c’est difficile… très difficile parce que tout le monde a peur de lui… à moins qu’il ne manque un serviteur.

— Si on en enlevait un, suggéra Marie-Angéline, tu pourrais peut-être prendre sa place ?

— Non. Moi, je ne sais pas servir, se cabra Hakim, sa dignité offensée. Et puis je suis trop jeune. Ali Assouari n’engage que des gens auxquels il fait confiance. Ce que je peux faire, c’est dire comment est la maison à l’intérieur.

— Donc, tu y es déjà entré ?

— Quand le maître est absent et que c’est fermé ? Bien sûr. Ce n’est pas compliqué…

— Tout ce que je veux savoir, reprit Morosini, c’est s’il y a des endroits où l’on peut cacher quelqu’un ? Des caves, par exemple ?

— Oui… (Puis se tournant vers Marie-Angéline :) Toi qui dessines si joliment, tu pourrais faire un… plan ? C’est comme ça qu’on dit ?

— Absolument. Si tu m’expliques, ce sera facile… Évidemment cela ne nous fera pas entrer, mais ce serait toujours une assurance et on ne sait jamais ? Une occasion pourrait se présenter… On ira cet après-midi au temple ? Je connais dans un coin une dalle lisse qui peut servir de table…

L’arrivée de Mme de Sommières et de lady Clémentine dans une calèche encombrée de paquets mit fin à la conversation. Aldo offrit à Hakim une pièce d’argent à titre d’encouragement, ce qui le fit rougir de bonheur avant de s’en retourner en courant, non sans lui avoir déclaré, en guise de remerciement sans doute :

— Tu as de la chance d’être son ami, dit-il en désignant Plan-Crépin : C’est une fille chouette…

— Parce que tu crois que je ne le sais pas ?

En allant au-devant des deux dames, Aldo aperçut M. Lassalle qui, une canne à la main, se dirigeait vers l’hôtel. Aussi, après avoir baisé la main de l’Anglaise, le rejoignit-il.

— J’avais l’intention de passer chez vous tantôt pour savoir si vous aviez des nouvelles, dit-il en lui serrant la main. Mais puisque vous voilà, voulez-vous déjeuner avec nous ?

— Non. C’est vous qui venez déjeuner avec moi. Entre hommes. Je ne veux pas « encombrer » ces dames plus qu’il ne convient…

— Est-ce que vous n’allez pas un peu trop loin sur le chemin de la repentance ? Le faux pas de Monte-Carlo est effacé depuis longtemps !

— Peut-être… encore que je n’en sois pas persuadé ! Quoi qu’il en soit, je me sens mal à l’aise en leur présence… D’ailleurs, le mieux serait d’aller dans l’un des restaurants de la Corniche et, pour en revenir à votre question initiale, je n’ai reçu aucun avis des ravisseurs, à moins que vous n’en ayez…

— Je vous l’aurais dit tout de suite !

— Donc il est préférable que nous soyons seuls tous les deux. Je me fais trop de bile pour être un compagnon de table agréable pour des dames…

9

Une soirée mouvementée…

Du geste machinal – et idiot ! – de qui cherche une explication, Aldo retourna l’élégant vélin gravé qui l’invitait aux fiançailles du prince Ali Assouari avec Mlle Salima Hayoun. Celle-ci y avait ajouté quelques mots de sa main, disant qu’elle serait heureuse de recevoir les « derniers amis d’Ibrahim Bey ». Ce carton n’avait aucun sens, étant donné la fraîcheur de ses relations avec la jeune fille, sans compter le fait qu’il ne connaissait officiellement le futur époux que sous l’identité usurpée d’El-Kouari. Dans l’art de créer les fausses situations, ces deux-là semblaient exceller…

Évidemment, on lui offrait là l’occasion rêvée de visiter la demeure qui l’intriguait tant – rien de plus pratique qu’une foule pour s’y perdre et aller en exploration ! –, mais ce pouvait être aussi bien un piège : rien de mieux en effet qu’une foule pour escamoter quelqu’un et le faire disparaître.

Sans s’interroger davantage, il décida d’aller poser le problème à Henri Lassalle et fourra le carton dans sa poche. Mais, en traversant le hall de l’hôtel, il rencontra le colonel qui tenait le même au bout des doigts.

— Vous avez reçu une invitation, vous aussi ? demanda-t-il en lui montrant la sienne.

— Comme vous voyez. Et je me demande bien pourquoi. Certes, ma femme et moi sommes des habitués d’Assouan, mais nous ne faisons pas partie des relations de ce type, même s’il nous est arrivé de le rencontrer chez le gouverneur ou chez le général commandant la région. Si nous avons échangé vingt mots, c’est bien le bout du monde…

— Vous n’en faites pas moins partie de la gentry. Ceci explique cela, mais moi ?

— Pas tant de modestie ! Non seulement vous appartenez à la haute noblesse européenne, mais vous avez une réputation, je dirais, internationale. Cela dit, j’en suis personnellement ravi : ce serait le diable si à nous deux nous ne parvenons pas à en tirer des renseignements !

— Qu’en pense lady Clémentine ?

— Elle ? Oh, elle est enchantée. Elle adore les fêtes, surtout quand elles exhalent les parfums de l’Orient. Elle en est encore aux Mille et Une Nuits. Par conséquent nous acceptons et je vous conseille d’en faire autant ! À tout à l’heure !

En arrivant à la maison des Palmes, Morosini fut encore plus surpris. Non parce que le vieux monsieur, étant une notabilité du pays, était convié : un deuxième bristol était adressé à Adalbert, agrémenté comme celui d’Aldo de quelques lignes manuscrites, disant combien Salima serait heureuse de la présence de son cher maître en égyptologie.

S’il n’avait été aussi inquiet, Aldo eût trouvé la situation plutôt amusante : c’était à peine si l’on ne les intronisait pas membres de la famille !

— Ce type se fout de nous ! Oser inviter Adalbert alors qu’il doit savoir mieux que personne pourquoi il ne sera pas là, c’est de la provocation !

— … ou ce que l’on croit un habile écran de fumée ! Vous irez, j’espère ?

— Plutôt deux fois qu’une ! Et vous ?

— La question ne se pose pas !

On se sépara sur ces fortes paroles. Tout le monde irait donc à la fête. Tout le monde sauf Mme de Sommières et son factotum que l’on avait ignorées. Or, si la première ne s’en formalisa pas, la seconde jeta feu et flammes :

— Ils ont invité la moitié du Cataract ! Et pas nous ? C’est inconcevable ! Qu’est-ce que cela signifie ?

— Qu’on ne nous connaît pas, ma fille ! fit la vieille dame d’une voix apaisante. Ce que vous pouvez être snob, quand vous vous y mettez ! Voulez-vous me dire combien il se donne en ce moment – rien qu’à Paris – de réceptions où nous ne sommes pas invitées ? Ici nous sommes des touristes anonymes et c’est beaucoup mieux ainsi ! Ah ! Puisque vous m’y faites penser, n’allez pas faire « du plat » à lady Clémentine pour qu’elle vous emmène à je ne sais quel titre de nièce provisoire ? Est-ce clair ? D’ailleurs, j’ai besoin de vous !

— Oh ! J’ai compris ! Qu’allons-nous faire en attendant le retour d’Aldo ? Une interminable partie d’échecs ? Relire Les  Misérables in  extenso ?

— Vous devenez insolente, Plan-Crépin ! Pourquoi pas dormir ? Cela se fait, la nuit, vous savez ?

— Nous savons très bien que nous ne fermerons l’œil ni l’une ni l’autre tant qu’Aldo ne sera pas rentré.

— Dans ce cas, nous noierons notre énervement dans du champagne en lisant un roman de Mme Agatha Christie ? Elle m’en a offert un cet après-midi et d’après lady Clémentine c’est passionnant. Le héros en est, paraît-il, un drôle de petit détective belge nommé Hercule Poirot, follement perspicace et intelligent. C’est intitulé :  Le Meurtre de Roger Ackroyd, un de ses succès, et j’ai posé le bouquin sur le secrétaire !

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