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— Si Adalbert est là-dedans, il doit être mieux gardé que la Banque d’Angleterre ! soupira Morosini. Et je suppose que, la nuit, les domestiques y couchent un peu partout à la mode du pays ?

— Certains viennent d’une bourgade nubienne située à proximité, côté sud, mais il doit en rester un bon paquet à la maison. L’ex-beau-frère du roi a toujours tenu à affirmer sa puissance, apparente, parce que je ne suis pas certain que la fortune suive. Il aime jouer gros jeu et l’on parle, sous le manteau, de « culottes » retentissantes. Ce qui ne l’empêche pas de regarder le gouverneur comme quantité négligeable.

— Il se considère comme au-dessus des lois ?

— Absolument ! Je vous l’ai dit, c’est un forban et s’il tient votre ami, comme tout le laisse supposer, il ne le lâchera pas sans marchander.

— Comment se fait-il alors qu’aucune demande de rançon ne nous soit parvenue ?

— Si vous me permettez un terme de pêcheur, je dirai qu’il fatigue le poisson !

— Et c’est moi, le poisson ?

— Depuis l’affaire des perles, je pense que vous n’en doutez pas ? Ce que c’est que d’avoir une réputation internationale !

Aldo garda le silence avant de demander :

— Pourquoi m’avoir amené ici ?

— Pour que vous jugiez par vous-même de l’ampleur de la tâche. Si je m’étais contenté de décrire, vous ne m’auriez sans doute pas cru !

— Peut-être pas ! C’est possible… En fait je ne sais plus trop où j’en suis…

Il se demandait aussi comment l’aimable ex-colonel du 17e Gurkhas, dont il pensait qu’il était un touriste parmi les autres, pouvait être détenteur d’une telle quantité d’informations, mais il se garda bien de le formuler. Il est vrai que, selon son épouse, on ne pouvait s’étonner de rien venant du beau-frère de Gordon Warren !

— Ce qui est certain, reprit-il, c’est que je veux retrouver Vidal-Pellicorne, et en bon état. Que me conseillez-vous de faire ?

— Attendre !… Je sais, c’est irritant, en particulier quand on est loin de ses bases habituelles, mais il viendra forcément un jour où le ravisseur fera connaître ses exigences. À ce moment-là seulement il sera loisible d’agir !

— Seul contre un bandit qui, de par sa position, dispose sans doute de toutes les forces du pays ? fit Aldo avec amertume.

— Et moi, vous m’oubliez ? En outre, je peux vous dire ceci : Assouari dédaigne Mahmud Pacha, le gouverneur, mais celui-ci le déteste en proportions. Ce n’est certes pas une lumière, pourtant je crois sincèrement que si l’on faisait appel à lui – lui permettant de s’en débarrasser –, il pourrait trouver ça… très amusant ! Et il adore qu’on le divertisse, cet homme !

Le « Et moi vous m’oubliez ? » parti si spontanément avait frappé Aldo au passage :

— L’Angleterre est très puissante ici, n’est-ce pas ?

— On pourrait même dire toute-puissante, s’il ne s’agissait pas pour elle d’essayer de mettre de l’ordre dans un pays travaillé par des courants contraires dont certains, pour être larvés, n’en sont pas moins inquiétants.

— Et vous possédez un peu de cette puissance ?

Le teint recuit au soleil des Indes – et d’ailleurs ! – du colonel vira au rouge brique :

— Moi ? Je ne suis qu’un vieux soldat à la retraite qui a conservé le goût des voyages. Ainsi, ma femme et moi passons toujours au minimum un mois d’hiver ici. Clémentine raffole d’Assouan et je n’ai aucune raison de lui refuser ce plaisir. Alors, à la longue, on finit par connaître tout le monde, se faire des relations et Mahmud Pacha en fait partie.

« Ben voyons ! », pensa irrévérencieusement Morosini, intrigué de plus en plus par ce compagnon tombé du ciel qui semblait avoir réponse à tout et qui pour le moment était vraiment le bienvenu. Il l’entendit poursuivre :

— Que feriez-vous si vous vous trouviez sur l’un de vos terrains habituels au lieu d’avoir l’impression d’évoluer au milieu de nulle part ?

— Je m’arrangerais pour introduire un « sous-marin » dans le camp de l’ennemi, répondit-il, évoquant non sans nostalgie Théobald et Romuald, les si précieux jumeaux d’Adalbert. Rien de plus utile qu’un serviteur dûment instruit. Mais dans le coin, je ne vois personne à qui confier cette mission… À moins que…

— Vous pensez à quelqu’un ?

— À M. Lassalle évidemment ! Il est ici depuis longtemps, tout ce qui compte lui est familier…

— … et je vous arrête ! C’est un Européen comme nous et aucun d’entre nous ne peut être sûr à cent pour cent de ses domestiques. D’ailleurs, encore faudrait-il qu’on puisse en soudoyer un chez Assouari et il n’est pas homme à engager n’importe qui. En outre, dans le village nubien d’à côté, il a un réservoir inépuisable !

— C’est décourageant ! soupira Aldo. Je donnerais cher pour savoir ce qui se passe au juste entre les murs de cette maison. Mon instinct me souffle que Vidal-Pellicorne n’est pas loin ! Mais comment en avoir la certitude ? Cette inaction me tue !

— Ce que vous pouvez être lyriques, vous, les Latins ! Dites-vous bien qu’à tout problème il existe une solution. Il faut seulement la trouver. Et pour cela : réfléchir encore !

En rentrant à l’hôtel, Aldo laissa le colonel à la recherche de sa femme et rejoignit Marie-Angéline qui lisait sur la terrasse. Elle le reçut plutôt fraîchement.

— On a fait une bonne promenade ? s’informa-t-elle sans lever les yeux de son livre.

— On peut l’appeler ainsi !

— C’est un homme fort sympathique, le colonel !

— Très ! Où voulez-vous en venir ? Et d’abord, comment se fait-il que vous soyez seule ? Où est Tante Amélie ?

— Partie faire des courses avec lady Clémentine.

— Et vous ? Pas d’aquarelle, ce matin ?

Elle referma son livre en le claquant avant de braquer sur lui un regard furibond :

— Non ! Pas de dessin ni quelque occupation que ce soit ! Et vous, je n’arrive pas à comprendre comment vous pouvez avoir le cœur à jouer les touristes alors que notre Adalbert…

Un sanglot lui coupa la parole tandis que les larmes montaient à ses yeux. Elle était si visiblement malheureuse qu’Aldo oublia de se mettre en colère. Il lui enleva le livre des mains et les retint dans les siennes :

— Qu’êtes-vous allée imaginer ? Que j’allais faire un tour en bateau ou disputer une partie de golf avec Sargent ?

En guise de réponse, elle se contenta de hausser les épaules. Ce que voyant, il lui sourit :

— Pour vous mettre dans cet état, il faut que vous me connaissiez bien mal, Angelina ! C’est précisément de lui dont nous nous occupions. Le colonel pense comme moi que c’est Assouari qui a enlevé Adalbert et il a voulu me montrer sa résidence ancestrale dans l’île Éléphantine. Nous avons cherché ensemble un moyen de la « visiter ». Vainement : c’est bourré de domestiques.

Du moment que l’on parlait action, le chagrin s’envola. Plan-Crépin redevint Plan-Crépin :

— Peut-être en introduisant un domestique supplémentaire ? S’il y en a une telle multitude, il pourrait passer inaperçu ?

— Un à nous ? Dans ce patelin où l’on ne peut être sûr de rien ? Nous ne sommes pas en France et les jumeaux d’Adalbert sont loin…

— On peut toujours essayer !

Se levant, elle agita les bras à la manière d’un sémaphore en direction d’un groupe de gamins assis sur un muret ombragé par un tamaris en bas des jardins de l’hôtel. L’un d’eux s’en détacha en courant, parlementa un instant avec le voiturier en indiquant celle qu’il l’appelait et finalement la rejoignit :

— Tu as besoin de moi ? demanda-t-il dans un sabir où tentaient de cohabiter l’anglais et l’arabe. Nous allons là-bas ?

— Non, pas aujourd’hui. Aldo, je vous présente Hakim, mon jeune guide. C’est un garçon honnête et courageux. Hakim, nous voudrions savoir s’il y a une possibilité de s’introduire dans le palais du prince Assouari pour l’inspecter à fond.

— Qu’est-ce que tu veux savoir ?

— S’il n’y retiendrait pas prisonnier un ami… un ami très cher !

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