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— Ce que nous avons fait, le colonel et moi, n’en mérite pas tant. C’était normal… mais pourquoi n’osiez-vous pas ? Je vous fais peur ?

— Non, mais vous n’étiez pas souvent dans la solitude. M. Pellicorne était toujours là et je n’avais pas l’envie de secouer les mains avec lui. On a sa self respect mais dans l’autre nuit je crois que je vois…

— Parlez anglais, mon vieux ! conseilla Sargent, ce sera plus clair et notre ami l’entend à la perfection !

— Merci ! Tard dans la soirée il y a trois jours, je me promenais par là (il désignait d’un geste vague la partie haute de la ville), quand j’ai vu votre ami courant derrière un jeune garçon vers une automobile qui attendait tous feux éteints dans un coin sombre. Il est monté. Aussitôt je l’ai entendu crier, puis la voiture a fait une manœuvre pour changer de direction et est partie vers le Nil, tandis que le garçon s’en retournait par où il était venu.

— Habillé comment, le gamin ?

— Une robe sombre, si mes souvenirs sont exacts et je ne sais quoi sur la tête ! Ça s’est passé très vite !

— Et la voiture est descendue vers le fleuve ?

— Oui ! Mais où est-elle allée, ça, je l’ignore !

— C’est déjà précieux comme renseignements… mais pourquoi n’avoir pas parlé plus tôt au colonel ?

L’air gêné, Duckworth renifla une fois ou deux, hésita puis finit par déclarer qu’il n’était pas mécontent que son ennemi eût quelques ennuis – les deux raclées qu’il en avait encaissées étaient encore fraîches dans sa mémoire – mais en constatant qu’Aldo était revenu seul à l’hôtel et qu’il ne paraissait pas cultiver la gaieté, il s’était interrogé et, comme ce n’était pas un garçon rancunier, il avait fini par s’en ouvrir à son compatriote.

— Moi, je ne vous remercierai jamais assez, en tout cas, dit Morosini. Quand je l’aurai retrouvé, mon ami Adalbert vous offrira ses excuses… même si le tour que vous lui avez joué était « pendable ».

Il avait exprimé le mot en français et Freddy buta dessus :

— Pendable ? Vous voulez dire que je mérite la potence ?

— Non, c’est une façon de parler. Cela signifie pas très fair-play. Et à ce propos, je voudrais vous poser une question, pourquoi faites-vous ça ?

— Ça, quoi ?

— Chiper les concessions de fouilles des autres ? Vous êtes égyptologue, que diable ! Vous ne pouvez pas les chercher tout seul ?

Freddy hocha la tête et prit une mine désolée :

— Non. J’ai fait les études mais je n’ai pas le flair ! Et puis je suis paresseux ! C’est extrêmement fatigant de creuser la terre, de remuer des tonnes de pierres et de se faufiler dans des trous à peine plus évasés que ceux d’un renard. En plus, j’ai mal au dos !

— Dans ce cas, pourquoi avoir choisi l’archéologie ? Vous n’aviez pas d’autre corde à votre arc ?

— Non. C’était le désir de mon oncle.

— Votre oncle ? Lord Ribblesdale ?

— Vous le connaissez ?

— Non ! En revanche, je connais trop bien votre tante Ava.

Une intense expression de soulagement se répandit sur les nombreuses taches de rousseur de l’Anglais.

— Alors, s’il en est ainsi, je n’ai pas besoin d’expliquer !

— Tout de même un peu. Ce n’est certainement pas pour lui faire plaisir que vous avez opté pour la pelle et la pioche ? C’est une enragée chercheuse de joyaux mais ceux de l’Égypte ne l’intéressent pas.

— On dirait que vous la connaissez à la perfection ? Alors vous allez comprendre : c’est seulement pour embêter sa fille qui…

Aldo éclata de rire :

— N’allez pas plus loin, je suis au courant ! Il suffit de connaître la fille en question, Alice Astor, qui se prend pour la réincarnation de Néfertari ou d’une de ses consœurs ! Vous devriez en parler à mon ami Adalbert quand on l’aura récupéré ! Vous aurez de quoi discuter ! En attendant, merci pour lui (13) !

— Oh, c’est rien… et si je peux encore aider ?

Décidément il débordait de bonne volonté, mais pour Aldo il ne fallait jamais abuser des bons sentiments. À présent, un nouveau problème se posait : comment explorer la demeure ancestrale des princes Assouari ? Surtout dans la plus totale discrétion !

Plongé en lui-même, il regardait fixement sa tasse à café vide, ayant complètement oublié le colonel Sargent. Mais celui-ci, après s’être éloigné un instant, revenait équipé de deux verres de whisky dont il posa l’un sous le nez d’Aldo qui le remercia machinalement :

— Un penny pour vos pensées ! fit-il, jovial. Vous me faites l’effet d’être parti bien loin, mon cher prince ?

— Pas à ce point ! Merci pour le verre ! ajouta-t-il en s’y attaquant aussitôt.

— Disons : moins loin que vous ne l’espériez ! Cette voiture qui s’en est allée vers le Nil ne fait pas votre affaire. Vous pensiez que les ravisseurs étaient envoyés par la belle demoiselle ? Ce qui aurait eu l’avantage d’offrir un aspect agréable à votre ami ? Mais peut-être possède-t-elle un logis sur une rive du fleuve ?

— Elle non, mais elle y a des amis… Encore que je me demande s’ils sont aussi fiables qu’elle le prétend ?

— Si vous faites allusion à la princesse Shakiar, c’est non sans hésiter ! Ce n’est pas qu’elle soit méchante, mais elle est trop en pâmoison devant son frère Ali Assouari pour ne pas se laisser mener par le bout du nez.

— D’où la connaissez-vous si bien ?

Le colonel eut un geste évasif :

— Oh, j’ai été un moment en poste au Caire auprès du gouverneur militaire ! Une belle femme malgré tout – et il faut lui accorder ça ! – qui donne de magnifiques réceptions !

Aldo ne retint pas un éclat de rire et Sargent s’étonna :

— Qu’ai-je dit de si drôle ?

— Je vous prie de me pardonner, mais je me demandais s’il existe un coin au monde où vous n’avez pas été en poste ? Je n’aurais jamais cru l’armée des Indes aussi itinérante.

Le colonel accepta la remarque avec bonne humeur :

— Elle non, mais moi oui ! Au cours d’une longue carrière, il faut avoir le goût des déménagements. On va où l’empire vous envoie… selon les compétences !

— D’où vos vastes connaissances linguistiques ?

— Ce serait plutôt mon péché mignon ! J’adore décrypter le langage des pays lointains ! Par exemple, j’ai appris le mandarin… bien que je n’aie jamais mis les pieds en Chine !

— Bravo ! Mais pour en revenir à la famille Assouari, que savez-vous sur elle ?

— Ali ? Un grand seigneur… dans le style médiéval. C’est-à-dire capable de tout et de n’importe quoi. Maintenant, si vous désirez savoir où se trouve sa maison dans l’île Éléphantine, je peux vous y conduire ? Demain ?

Il n’était pas facile de surprendre Morosini. Le vieux militaire y réussit cependant car il demanda :

— Vous pratiquez la transmission de pensée ou quoi ?

— Oh, que non, et je ne lis pas davantage dans les lignes de la main. Simplement – ma femme vous l’a dit ! – je m’ennuie. Alors je m’intéresse aux gens que je rencontre. Et il se trouve que vous êtes bougrement intéressants, vous et votre copain, mon cher prince !

Aldo aurait pu lui renvoyer le compliment. Aussi saisit-il sans hésiter la main qui se tendit vers lui.

— Demain, d’accord ! À condition – faute de cheval ! – de ne pas m’obliger à y aller à la nage !

Il croyait plaisanter mais l’autre, sérieux comme un pape, lâcha :

— Selon les circonstances, ce n’est peut-être pas à exclure à un moment ou à un autre.

Dire que la propriété était imposante eût été un euphémisme. En fait, c’était la plus belle de l’île : un petit palais rappelant un peu l’Alhambra de Grenade, niché dans la verdure en retrait de la pointe nord et à la hauteur de l’île Kitchener (14), desservie en outre par un bac privé rejoignant la Corniche. Arrivés avec celui-ci, les deux hommes purent en faire le tour délimité par des murets sans que quiconque s’y oppose mais en se convainquant qu’il était visiblement d’une extrême facilité de s’y introduire. Cependant, le faire sans l’aval du propriétaire devait relever de l’impossible, si l’on en jugeait au nombre de serviteurs vêtus de blanc et de rouge qu’on pouvait voir évoluer.

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