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A
A

— Qu’elle réponde à une question.

— Laquelle ?

— Inutile, Madame ! Cela ne concerne qu’elle seule.

— Mais je puis transmettre et revenir…

— Non, Madame. Veuillez m’excuser !

Il esquissait un salut avant de tourner les talons. Elle le retint :

— En revanche et puisque vous voici, vous pouvez peut-être me dire comment il se fait que vous soyez encore à Assouan après l’attitude scandaleuse que vous avez eue envers moi ?

— Vous tenez vraiment à ce que nous y revenions ? soupira-t-il. Il me semble pourtant qu’il n’y a plus rien à dire ? Vous m’avez pris pour un imbécile en me faisant venir chez vous dans l’intention de me vendre… ou de me confier les perles de Saladin, un trésor national qui m’aurait mené droit en prison si le premier douanier venu avait ouvert mes bagages.

— Ridicule ! Ces pauvres gens sont nuls en la matière !

— Seulement, ce n’est pas le cas des douaniers anglais qui les… assistent et ceux-ci ne m’auraient pas raté !

— Mais enfin, je vous jure que ces perles sont à moi ! Vous permettrez que je fasse ce que je veux de ce qui m’appartient ? Et j’ai besoin d’argent !

Aldo la regarda avec stupeur : au bord des larmes, elle paraissait sincère.

— Vous ne vouliez cependant pas que le roi ait vent de l’histoire ?

— Naturellement ! Quel homme accepterait que l’on vende un présent fait par amour… même s’il l’a regretté par la suite !

— Bon. Admettons ! Alors expliquez-moi le pourquoi de la présence des perles fausses dans mes bagages ?

— Vous m’aviez offensée ! Il était normal de vous le faire payer ! N’oubliez pas que j’étais reine d’Égypte !

Mais c’est qu’elle avait l’air d’y croire avec sa mine boudeuse ? Aldo abandonna la partie. On n’en sortirait jamais !

— N’en parlons plus, si vous le voulez bien ! J’ai refusé de conclure cette « affaire » et vous avez tenté de me faire passer pour un voleur. Je vous offre mes excuses et j’aimerais entendre les vôtres, mais je vous en tiens quitte ! Disons que nous sommes à égalité et finissons-en, princesse ! ajouta-t-il en saluant de nouveau, et cette fois elle le laissa partir.

Il allait atteindre la porte quand il entendit :

— Quelle question vouliez-vous me poser ?

Il se retourna. Shakiar avait disparu et c’était Salima qui se tenait à sa place. Immobile dans sa robe blanche, elle le fixait de ses yeux clairs. Il sentit alors une bizarre angoisse lui serrer la poitrine en mesurant, mieux qu’il ne l’avait fait jusque-là, l’incroyable beauté de cette fille. Qu’elle eût asservi Adalbert n’était guère surprenant et il remercia mentalement le Ciel de lui avoir donné Lisa qui le mettait à l’abri de ce genre d’enchantement, même si elle n’avait pas empêché un autre visage de prendre une petite place dans son cœur. Mais Adalbert ? Qu’avait-il pour le protéger du sortilège ? Aldo comprenait que l’arracher à elle serait une rude bataille. En admettant qu’une victoire soit possible…

Il revint lentement vers la jeune fille sans qu’elle fît un pas pour le rejoindre. Ce n’est que quand il fut devant elle qu’elle proposa d’aller s’asseoir au jardin que l’on venait de réhabiliter, et elle le précéda dans les étroites allées retracées autour des carrés de plantes odorantes. Au milieu, deux bancs de pierre surveillaient une fontaine muette pour le moment. Salima s’assit sur l’un d’eux en indiquant à son visiteur d’en faire autant. Alors seulement, elle répéta :

— Quelle question vouliez-vous me poser ?

— Elle est brève : où est Adalbert ?

Les beaux sourcils se relevèrent sous l’effet d’une surprise qui ne paraissait pas feinte :

— Suis-je censée le savoir ?

— Je ne vois personne d’autre pour me répondre. Il y a deux jours – deux soirs plus exactement ! – un gamin est venu lui porter une lettre émanant d’une dame sans prononcer de nom, mais au reçu de ce billet il s’est montré soudain si joyeux que le message ne pouvait émaner que de vous. Il a aussitôt décidé de suivre le garçon, se contentant de dire à l’ami qui l’héberge de ne pas se tourmenter s’il rentrait un peu tard…

— M. Lassalle, si je ne me trompe ?

— Vous le connaissez ?

— Comme le Tout-Assouan. Mais je vous ai interrompu, veuillez m’en excuser et continuer.

— Il ne me reste pas grand-chose à dire : il n’est pas rentré du tout.

— Ah !… Et vous pensez que la lettre venait de moi ?

— Pour qu’il soit aussi heureux ? Sans aucun doute ! Je ne sais si vous en avez conscience, Mademoiselle Hayoun, mais vous avez pris pour lui une importance disproportionnée en égard aux relations habituelles entre maître et élève. (Et sans lui laisser le temps de répondre, il précisa :) D’ailleurs, je crois que vous n’en ignorez rien, sinon comment expliquer le message verbal que vous m’avez confié au Caire : Dites-lui que je ne l’ai pas trahi !… Vous saviez déjà que vous aviez le pouvoir de lui faire du mal !

— Du mal ? Le mot est un peu exagéré ! J’étais devenue son assistante, son élève, et je vous assure que c’est un merveilleux professeur… et un très grand archéologue.

— Ça, je le sais !

L’ébauche d’un sourire joua un instant sur les lèvres de la jeune fille :

— Alors vous avez peut-être une idée de… l’émulation féroce qui oppose ces messieurs, surtout quand ils appartiennent à des nationalités différentes ?

— En effet. Si je n’ai pas assisté au premier round de son combat contre Freddy Duckworth, j’ai eu le privilège d’arbitrer en quelque sorte le second dans le bar du Winter Palace à Louqsor. Nous nous sommes mis à deux pour empêcher Adalbert de l’étrangler. La seule différence était qu’il ne s’agissait plus d’une concession mais d’une jeune fille que l’honorable Freddy était accusé d’avoir détournée de ses devoirs et enlevée !

— C’est stupide ! Vous avez vu à quoi il ressemble ?

— Alors pourquoi avoir choisi son camp lorsqu’il a spolié Adalbert ?

— Parce que, dès l’instant où il s’agissait de la tombe de Sebeknefrou, cela primait les autres considérations. Il fallait que j’y entre… quel que soit celui qui m’ouvrait la porte. Dans les documents de mon grand-père, j’avais découvert qu’il devait s’y trouver un très vieux papyrus capable d’apporter quelque lumière sur la plus ancienne légende de l’Égypte…

— Et, bien entendu, vous n’en avait jamais touché mot à Adalbert ? fît Morosini, méprisant. On dirait que vous n’avez pas perdu de temps pour intégrer la confrérie de ceux dont vous venez de parler ?

— Non, je voulais le document pour mon grand-père, pour lui montrer qu’une fille pouvait être digne de participer à ses travaux.

— Et vous avez été punie par où vous avez péché : la tombe avait été violée auparavant.

Salima détourna la tête sans répondre. D’où Aldo conclut qu’il avait visé juste et qu’elle ne tenait pas à s’étendre sur sa déconvenue… Pourtant elle n’avait pas terminé et, rendant mépris pour mépris, elle commenta :

— Votre jugement m’indiffère. Entre le grand Ibrahim Bey et M. Vidal-Pellicorne – quelle que soit l’admiration que je lui porte ! – il n’y a qu’un seul choix possible. Mais pour en revenir à votre question, et en admettant que je sois l’auteur du billet, me direz-vous pour quelle raison il serait encore ici ? Installer un infidèle dans la maison d’Ibrahim Bey serait offenser sa mémoire ! Et plus qu’inconvenant !

— Aussi ne l’ai-je pas pensé ! J’espérais qu’en vous quittant vous auriez pu lui confier où vous aviez l’intention de vous rendre et qu’il aurait voulu vous y précéder !

— Un rendez-vous ? Galant de préférence ? Monsieur, vous m’offensez et vous voudrez bien vous en tenir à ce que je viens de vous dire : je n’ai pas écrit à Adalbert et il n’est pas venu me voir ! Autre chose encore ? ajouta-t-elle, franchement acerbe, en se levant… ce qui obligea Aldo à en faire autant.

— Non. Il me reste à vous remercier de m’avoir reçu, à vous offrir mes condoléances et à vous souhaiter tout le bonheur du monde… dans vos recherches, se hâta-t-il de préciser en voyant se durcir davantage le visage de Salima.

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