– Ici! s’écria-t-elle, derrière ces barreaux, derrière ces portes inexorables, derrière ces portes d’airain? Une compagne de prison? Oh! vous n’y pensez pas, monsieur, ce n’est point là ce que je vous demande.
– Lorenza, c’est cependant tout ce que je puis accorder.
La jeune femme fit un geste d’impatience plus prononcé.
– Mon amie! mon amie! reprit Balsamo avec douceur, réfléchissez-y bien, à deux vous porterez plus facilement le poids de ce malheur nécessaire.
– Vous vous trompez, monsieur; je n’ai jusqu’à présent souffert que de ma propre douleur et non de la douleur d’autrui. Cette épreuve me manque et je comprends que vous vouliez me la faire subir. Oui, vous mettrez auprès de moi une victime comme moi, que je verrai maigrir, pâlir, expirer de douleur comme moi; que j’entendrai battre, comme je l’ai fait, cette muraille, porte odieuse que j’interroge mille fois le jour, pour savoir où elle s’ouvre quand elle vous donne passage; et, quand la victime, ma compagne, aura comme moi usé ses ongles sur le bois et le marbre en essayant de l’enfoncer ou de le disjoindre; quand elle aura, comme moi, usé ses paupières avec ses pleurs; quand elle sera morte comme je suis morte et que vous aurez deux cadavres au lieu d’un, dans votre bonté infernale vous direz: «Ces deux enfants se divertissent; elles se font société; elles sont heureuses.» Oh! non, non, mille fois non!
Et elle frappa violemment du pied le parquet.
Balsamo essaya encore de la calmer.
– Voyons, dit-il, Lorenza, de la douceur, du calme; raisonnons, je vous en supplie.
– Il me demande du calme! il me demande de la raison! Le bourreau demande de la douceur au patient qu’il torture, du calme à l’innocent qu’il martyrise.
– Oui, je vous demande du calme et de la douceur; car vos colères, Lorenza, ne changent rien à notre destinée, elles l’endolorissent, voilà tout. Acceptez ce que je vous offre, Lorenza; je vous donnerai une compagne, une compagne qui chérira l’esclavage, parce que cet esclavage lui aura donné votre amitié. Vous ne verrez pas un visage triste et larmoyant comme vous le craignez, mais, au contraire, un sourire et une gaieté qui dérideront votre front. Voyons, ma bonne Lorenza, acceptez ce que je vous offre; car, je vous le jure, je ne puis vous offrir davantage.
– C’est-à-dire que vous mettrez près de moi une mercenaire à laquelle vous aurez dit qu’il y a là-haut une folle, une pauvre femme malade et condamnée à mourir; vous inventerez la maladie. «Renfermez-vous près de cette folle, consentez au dévouement, et je vous payerai vos soins aussitôt que la folle sera morte.»
– Oh! Lorenza, Lorenza! murmura Balsamo.
– Non, ce n’est point cela et je me trompe, n’est-ce pas? poursuivit ironiquement Lorenza, et je devine mal; que voulez-vous! je suis ignorante, moi; je connais si mal le monde et le cœur du monde. Allons, allons, vous lui direz à cette femme: «Veillez, la folle est dangereuse; prévenez-moi de toutes ses actions, de toutes ses pensées, veillez sur sa vie, veillez sur son sommeil.» Et vous lui donnerez de l’or tant qu’elle voudra; l’or ne vous coûte rien, à vous, vous en faites.
– Lorenza, vous vous égarez; au nom du Ciel, Lorenza, lisez mieux dans mon cœur. Vous donner une compagne, mon amie, c’est compromettre des intérêts si grands, que vous frémiriez si vous ne me haïssiez pas… Vous donner une compagne, je vous l’ai dit, c’est risquer ma sûreté, ma liberté, ma vie: et tout cela, cependant, je le risque pour vous épargner quelques ennuis.
– Des ennuis! s’écria Lorenza en riant de ce rire sauvage et effrayant qui faisait frémir Balsamo. Il appelle cela des ennuis!
– Eh bien, des douleurs; oui, vous avez raison, Lorenza, ce sont de poignantes douleurs. Oui, Lorenza; eh bien, je te le répète, aie patience, et un jour viendra où toutes ces douleurs prendront fin; un jour viendra où tu seras libre, un jour viendra où tu seras heureuse.
– Voyons, dit-elle, voulez-vous m’accorder de me retirer dans un couvent? J’y ferai des vœux.
– Dans un couvent!
– Je prierai, je prierai pour vous d’abord, et pour moi ensuite. Je serai bien enfermée, c’est vrai, mais j’aurai un jardin, de l’air, de l’espace, un cimetière pour me promener parmi les tombes, en cherchant d’avance la place de la mienne. J’aurai des compagnes qui seront malheureuses de leur propre malheur et non du mien. Laissez-moi me retirer dans un couvent, et je vous ferai tous les serments que vous voudrez. Un couvent, Balsamo, un couvent, je vous le demande à mains jointes!
– Lorenza, Lorenza, nous ne pouvons nous séparer. Liés, liés, nous somme liés dans ce monde, entendez-vous bien? Tout ce qui excédera les limites de cette maison, ne me le demandez pas.
Et Balsamo prononça ces mots d’une voix si nette, et en même temps si réservée dans son absolutisme, que Lorenza ne continua pas même d’insister.
– Ainsi, vous ne le voulez pas? dit-elle abattue.
– Je ne le puis.
– C’est irrévocable?
– Irrévocable, Lorenza.
– Eh bien, autre chose, dit-elle avec un sourire.
– Oh! ma bonne Lorenza, souriez encore, encore ainsi et, avec un pareil sourire, vous me ferez faire tout ce que vous voudrez.
– Oui, n’est-ce pas, je vous ferai faire tout ce que je voudrai, pourvu que, moi, je fasse tout ce qu’il vous plaira? Eh bien, soit. Je serai raisonnable autant que possible.
– Parle, Lorenza, parle.
– Tout à l’heure vous m’avez dit: «Un jour, Lorenza, tu ne souffriras plus; un jour, tu seras libre; un jour, tu seras heureuse.»
– Oh! je l’ai dit et je jure le Ciel que j’attends ce jour avec la même impatience que toi.
– Eh bien, ce jour peut arriver tout de suite, Balsamo, dit la jeune femme avec une expression caressante que son mari ne lui avait jamais vue que pendant son sommeil. Je suis lasse, voyez-vous, oh! bien lasse; vous comprendrez cela, si jeune encore, j’ai déjà tant souffert! Eh bien, mon ami – car vous dites que vous êtes mon ami – écoutez-moi donc: ce jour heureux, donnez-le-moi tout de suite.
– J’écoute, dit Balsamo avec un trouble inexprimable.
– J’achève mon discours par la demande que j’eusse dû vous faire en commençant, Acharat.
La jeune femme frissonna.
– Parlez, mon amie.
– Eh bien, j’ai remarqué souvent, quand vous faisiez des expériences sur de malheureux animaux, et vous me disiez que ces expériences étaient nécessaires à l’humanité; j’ai remarqué que souvent vous aviez le secret de la mort, soit par une goutte de poison, soit par une veine ouverte, et que cette mort était douce, et que cette mort avait la rapidité de la foudre, et que ces malheureuses et innocentes créatures, condamnées comme moi au malheur de la captivité, étaient libérées tout à coup par la mort, premier bienfait qu’elles eussent reçu depuis leur naissance. Eh bien…