– Pardon, monseigneur, dit la comtesse au cardinal, mais Votre Éminence s’est donc raccommodée avec la chasse?
– Comment cela?
– C’est que je vous vois pour la première fois prendre part à cet amusement.
– Non pas, comtesse. Mais j’étais venu à Versailles pour avoir l’honneur de présenter mes hommages à Sa Majesté, quand j’ai appris qu’elle était en chasse; j’avais à lui parler d’une affaire pressée; je me suis mis à sa poursuite; mais, grâce à ce maudit cocher, je manquerai non seulement l’oreille du roi, mais encore mon rendez-vous en ville.
– Voyez-vous, madame, dit le duc en riant, monseigneur vous avoue nettement les choses…; monseigneur a un rendez-vous.
– Que je manquerai, je le répète, répliqua Éminence
– Est-ce qu’un Rohan, un prince, un cardinal, manque jamais quelque chose? dit la comtesse.
– Dame! fit le prince, à moins d’un miracle.
Le duc et la comtesse se regardèrent: ce mot leur rappelait un souvenir récent.
– Ma foi! prince, dit la comtesse, puisque vous parlez de miracle, je vous avouerai franchement une chose, c’est que je suis bien aise de rencontrer un prince de l’Église pour lui demander s’il y croit.
– À quoi, madame?
– Aux miracles, parbleu! dit le duc.
– Les Écritures nous en font un article de foi, madame, dit le cardinal essayant de prendre un air croyant.
– Oh! je ne parle pas des miracles anciens, repartit la comtesse.
– Et de quels miracles parlez-vous donc, madame?
– Des miracles modernes.
– Ceux-ci, je l’avoue, sont plus rares, dit le cardinal. Cependant…
– Cependant, quoi?
– Ma foi! j’ai vu des choses qui, si elles n’étaient pas miraculeuses, étaient au moins fort incroyables.
– Vous avez vu de ces choses-là, prince?
– Sur mon honneur.
– Mais vous savez bien, madame, dit Richelieu en riant, que Son Éminence passe pour être en relation avec les esprits, ce qui n’est peut-être pas fort orthodoxe.
– Non, mais ce qui doit être fort commode, dit la comtesse.
– Et qu’avez-vous vu, prince?
– J’ai juré le secret.
– Oh! oh! voilà qui devient plus grave.
– C’est ainsi, madame.
– Mais, si vous avez promis le secret sur la sorcellerie, peut-être ne l’avez vous point promis sur le sorcier?
– Non.
– Eh bien! prince, il faut vous dire que, le duc et moi, nous sommes sortis pour nous mettre en quête d’un magicien quelconque.
– Vraiment?
– D’honneur.
– Prenez le mien.
– Je ne demande pas mieux.
– Il est à votre service, comtesse.
– Et au mien aussi, prince?
– Et au vôtre aussi, duc.
– Comment s’appelle-t-il?
– Le comte de Fœnix.
Madame du Barry et le duc se regardèrent tous deux en pâlissant.
– Voilà qui est bizarre! dirent-ils ensemble.
– Est-ce que vous le connaissez? demanda le prince.
– Non. Et vous le tenez pour sorcier?
– Plutôt deux fois qu’une.
– Vous lui avez parlé?
– Sans doute.
– Et vous l’avez trouvé?…
– Parfait.
– À quelle occasion?
– Mais…
Le cardinal hésita.
– À l’occasion de ma bonne aventure, que je me suis fait dire par lui.
– Et a-t-il deviné juste?
– C’est-à-dire qu’il m’a raconté des choses de l’autre monde.
– Il n’a point un autre nom que celui de comte de Fœnix?
– Si fait: je l’ai entendu appeler encore…
– Dites, monseigneur, fit la comtesse avec impatience.
– Joseph Balsamo, madame.
La comtesse joignit les mains en regardant Richelieu. Richelieu se gratta le bout du nez en regardant la comtesse.
– Est-ce bien noir, le diable? demanda tout à coup madame du Barry.
– Le diable, comtesse? Mais je ne l’ai pas vu.
– Que lui dites-vous donc là, comtesse? s’écria Richelieu. Voilà, pardieu! une belle société pour un cardinal.
– Est-ce que l’on vous dit la bonne aventure sans vous montrer le diable? demanda la comtesse.
– Oh! certainement, dit le cardinal; on ne montre le diable qu’aux gens de peu; pour nous, on s’en passe.
– Enfin, dites ce que vous voudrez, prince, continua madame du Barry; il y a toujours un peu de diablerie là-dessous.
– Dame! je le crois.
– Des feux verts, n’est-ce pas? des spectres, des casseroles infernales qui puent le brûlé abominablement?
– Mais non, mais non; mon sorcier a d’excellentes manières; c’est un fort galant homme, et qui reçoit très bien, au contraire.
– Est-ce que vous ne vous ferez pas tirer votre horoscope par ce sorcier-là, comtesse? demanda Richelieu.
– J’en meurs d’envie, je l’avoue.
– Faites, madame.
– Mais où cela se passe-t-il, demanda madame du Barry espérant que le cardinal allait lui donner l’adresse qu’elle cherchait.
– Dans une belle chambre fort coquettement meublée.
La comtesse avait peine à cacher son impatience.
– Bon! dit-elle; mais la maison?
– Maison décente, quoique d’architecture singulière.
La comtesse trépignait de dépit d’être si peu comprise.
Richelieu vint à son secours.
– Mais vous ne voyez donc pas, monseigneur, dit-il, que madame enrage de ne point savoir encore où demeure votre sorcier?
– Où il demeure, avez-vous dit?