– Non, monsieur, dit Lorenza, non, vous ne me ferez point arrêter, car ma vengeance est d’une grande utilité pour vous, pour le roi, pour la France. Je me venge en révélant les secrets de cet homme.
– Ah! ah! cet homme a des secrets? dit M. de Sartine intéressé malgré lui.
– De grands secrets, monsieur.
– De quelle sorte?
– Politiques.
– Dites.
– Mais, enfin, me protégerez-vous, voyons?
– Quelle espèce de protection me demandez-vous? fit le magistrat avec un froid sourire: argent ou affection?
– Je demande, monsieur, à entrer dans un couvent; à y vivre ignorée, ensevelie. Je demande à ce que ce couvent devienne une tombe, mais que ma tombe ne soit jamais violée par qui que ce soit au monde.
– Ah! dit le magistrat, ce n’est pas d’une exigence bien grande. Vous aurez le couvent; parlez.
– Ainsi, j’ai votre parole, monsieur?
– Je crois vous l’avoir donnée, ce me semble.
– Alors, dit Lorenza, prenez ce coffret; il renferme des mystères qui vous feront trembler pour la sûreté du roi et du royaume.
– Ces mystères, vous les connaissez donc?
– Superficiellement; mais je sais qu’ils existent.
– Et qu’ils sont importants?
– Qu’ils sont terribles.
– Des mystères politiques, dites-vous?
– N’avez-vous jamais entendu dire qu’il existait une société secrète?
– Ah! celle des maçons?
– Celle des invisibles.
– Oui; mais je n’y crois pas.
– Quand vous aurez ouvert ce coffret, vous y croirez.
– Ah! s’écria M. de Sartine vivement, voyons.
Et il prit le coffret des mains de Lorenza.
Mais tout à coup, ayant réfléchi, il le posa sur le bureau.
– Non, dit-il avec défiance, ouvrez le coffret vous-même.
– Mais, moi, je n’en ai point la clef.
– Comment n’en avez-vous point la clef? Vous m’apportez un coffret qui renferme le repos d’un royaume et vous en oubliez la clef!
– Est-il donc si difficile d’ouvrir une serrure?
– Non, quand on la connaît.
Puis, après un instant:
– Nous avons ici, continua-t-il, des clefs pour toutes les serrures; on va vous en donner un trousseau – il regarda fixement Lorenza – et vous ouvrirez vous-même, continua-t-il.
– Donnez, dit simplement Lorenza.
M. de Sartine tendit à la jeune femme un trousseau de petites clefs ayant toutes les formes.
Elle le prit.
M. de Sartine toucha sa main, elle était froide comme une main de marbre.
– Mais, dit-il, pourquoi n’avez-vous pas apporté la clef du coffre?
– Parce que le maître du coffre ne s’en sépare jamais.
– Et le maître du coffre, cet homme plus puissant qu’un roi, quel est-il?
– Ce qu’il est, personne ne peut le dire; le temps qu’il a vécu, l’éternité seul le sait; les faits qu’il accomplit, nul ne les voit que Dieu.
– Mais son nom, son nom?
– Je l’en ai vu changer dix fois, de nom.
– Enfin, celui sous lequel vous le connaissez, vous?
– Acharat.
– Et il demeure?
– Rue Saint…
Tout à coup, Lorenza tressaillit, frissonna, laissa tomber le coffret qu’elle tenait d’une main et les clefs qu’elle tenait de l’autre; elle fit un effort pour répondre, sa bouche se tordit dans une convulsion douloureuse; elle porta ses deux mains à sa gorge, comme si les mots près de sortir l’eussent étranglée; puis, levant au ciel ses deux bras tremblants, sans avoir pu articuler un son, elle tomba de sa hauteur sur le tapis du cabinet.
– Pauvre petite! murmura M. de Sartine; que diable lui arrive-t-il donc? C’est qu’elle est vraiment fort jolie. Allons, allons, il y a de l’amour jaloux dans cette vengeance-là!
Il sonna aussitôt et releva lui-même la jeune femme qui, les yeux étonnés, les lèvres immobiles, semblait morte et déjà détachée de ce monde.
Deux valets entrèrent.
– Enlevez avec précaution cette jeune dame, dit le lieutenant de police, et portez-la dans la chambre voisine. Tachez qu’elle reprenne ses sens; surtout pas de violence. Allez.
Les valets obéissants emportèrent Lorenza.
Fin de la troisième partie.
1846 – 1848