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– Il y a fort longtemps qu’on n’a vu de lit de justice, dit Louis XV avec une nonchalance affectée.

– Depuis votre enfance, sire, dit madame de Béarn; le souvenir de votre resplendissante beauté est resté dans tous les cœurs.

– Et puis, ajouta madame du Barry, ce serait une bonne occasion pour M. le chancelier de déployer sa rude et concise éloquence, pour écraser ces gens là sous la vérité, sous la dignité, sous l’autorité.

– Il faudra que j’attende le premier méfait du parlement, dit Louis XV; alors je verrai.

– Qu’attendriez-vous donc, sire, de plus énorme que ce qu’il vient de faire?

– Et qu’a-t-il donc fait? Voyons.

– Vous ne le savez pas?

– Il a un peu taquiné M. d’Aiguillon, ce n’est pas un cas pendable… bien que, fit le roi en regardant madame du Barry, bien que ce cher duc soit de mes amis. Or, si les parlements ont taquiné le duc, j’ai réparé leur méchanceté par mon arrêté d’hier ou d’avant-hier, je ne me souviens plus. Nous voilà donc manche à manche.

– Eh bien, sire, dit vivement madame du Barry, madame la comtesse venait nous annoncer que, ce matin, ces messieurs noirs prennent la belle.

– Comment cela? dit le roi en fronçant le sourcil.

– Parlez, madame, le roi le permet, dit la favorite.

– Sire, MM. les conseillers ont résolu de ne plus tenir la cour du parlement jusqu’à ce que Votre Majesté leur ait donné gain de cause.

– Plaît-il? dit le roi. Vous vous trompez, madame, ce serait un acte de rébellion et mon parlement n’osera pas se révolter, j’espère.

– Sire, je vous assure…

– Oh! madame, ce sont des bruits.

– Votre Majesté veut-elle m’entendre?

– Parlez, comtesse.

– Eh bien, mon procureur m’a rendu ce matin le dossier de mon procès… Il ne plaide plus, parce qu’on ne juge plus.

– Bruits, vous dis-je; essai, épouvantail.

Et, tout en disant cela, le roi se promenait tout agité dans le boudoir.

– Sire, Votre Majesté croira-t-elle M. de Richelieu plus que moi? Eh bien, on a rendu en ma présence à M. de Richelieu les sacs du procès, comme à moi, et M. le duc s’est retiré bien courroucé.

– On gratte à la porte, dit le roi pour changer la conversation.

– C’est Zamore, sire.

Zamore entra.

– Maîtresse, une lettre, dit-il.

– Vous permettez, sire? demanda la comtesse. Ah! mon Dieu! dit-elle tout à coup.

– Quoi donc?

– De M. le chancelier, sire. M. de Maupeou, sachant que Votre Majesté a bien voulu me visiter, sollicite mon intervention pour obtenir un moment d’audience.

– Qu’y a-t-il encore?

– Faites entrer M. le chancelier, dit madame du Barry.

La comtesse de Béarn se leva et voulut prendre congé.

– Vous n’êtes pas de trop, madame, lui dit le roi. Bonjour, monsieur de Maupeou. Quoi de nouveau?

– Sire, dit en s’inclinant le chancelier, le parlement vous gênait: vous n’avez plus de parlement.

– Et comment cela? Sont-ils tous morts? ont-ils mangé de l’arsenic?

– Plût au ciel!… Non, sire, ils vivent; mais ils ne veulent plus siéger et donnent leurs démissions. Je viens de les recevoir en masse.

– Les conseillers?

– Non, sire, les démissions.

– Quand je vous disais, sire, que c’était sérieux, dit la comtesse à demi voix.

– Très sérieux, répondit Louis XV avec impatience. Eh bien, monsieur le chancelier, qu’avez-vous fait?

– Sire, je suis venu prendre les ordres de Votre Majesté.

– Exilons ces gens-là, Maupeou.

– Sire, ils ne jugeront pas davantage en exil.

– Enjoignons-leur de juger!… Bah! les injonctions sont usées… les lettres de jussion aussi…

– Ah! sire, il faut cette fois montrer de la volonté.

– Oui, vous avez raison.

– Courage! dit tout bas madame de Béarn à madame du Barry.

– Et montrer le maître, après avoir trop souvent montré le père! s’écria la comtesse.

– Chancelier, dit lentement le roi, je ne sais plus qu’un moyen: il est grave mais efficace. Je veux tenir un lit de justice; il faut que ces gens-là tremblent une bonne fois.

– Ah! sire, s’écria le chancelier, voilà parler; qu’ils plient ou qu’ils rompent!

– Madame, ajouta le roi en s’adressant à la plaideuse, si votre procès n’est pas jugé, vous le voyez, ce ne sera pas de ma faute.

– Sire, vous êtes le plus grand roi du monde.

– Oh! oui!… dirent en écho et la comtesse, et Chon, et le chancelier.

– Ce n’est cependant pas ce que le monde dit, murmura le roi.

Chapitre CI Le lit de justice

Il eut lieu, ce fameux lit de justice, avec tout le cérémonial qu’avaient exigé, d’une part l’orgueil royal, de l’autre les intrigues qui poussaient le maître à ce coup État

La maison du roi fut mise sous les armes, une profusion d’archers à courte robe, de soldats du guet et d’agents de police étaient destinés à protéger M. le chancelier, qui, comme un général en un jour décisif, devait exposer sa personne sacrée pour l’entreprise.

Il était bien exécré, M. le chancelier; il le savait et, si sa vanité lui pouvait faire redouter son assassinat, les gens mieux instruits des sentiments du public à son égard pouvaient lui prédire sans exagérer un bel et bon affront, ou tout au moins des huées.

Le même revenant bon était assuré à M. d’Aiguillon, que repoussait sourdement l’instinct populaire, un peu perfectionné par les débats des parlements. Le roi jouait la sérénité. Il n’était cependant pas tranquille. Mais on le vit s’admirer dans son magnifique habit royal, et faire immédiatement la réflexion que rien ne protège comme la majesté.

Il aurait pu ajouter: «Et l’amour des peuples.» Mais c’était une phrase qu’on lui avait tant répétée à Metz, lors de sa maladie, qu’il ne crut pas pouvoir la redire sans être taxé de plagiat.

Le matin, madame la dauphine, pour qui ce spectacle était nouveau, et qui, au fond peut-être, désirait le voir, prit son air plaintif, et le porta pendant tout le chemin à la cérémonie, ce qui disposa très favorablement l’opinion envers elle.

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