– Tu me l’as dit…
– Moi, je n’en ai pas dit un mot. J’ai annoncé que le roi m’avait ordonné de prendre chez lui un écrin pour mademoiselle de Taverney, dont la voix lui a plu; mais je n’ai pas dit une fois que Sa Majesté m’eut chargé de l’offrir à la jeune personne.
– Alors, vraiment, dit le baron au désespoir, je ne sais plus où donner de la tête. Je ne comprends pas un mot, tu parles par énigmes. Pourquoi donner ce collier, si ce n’est pour le donner? pourquoi t’en charger, si ce n’est pour que tu le remettes?
Richelieu poussa un grand cri, comme s’il apercevait une araignée.
– Ah! fit-il, pouah! pouah! le Huron! fi! la vilaine bête!
– Qui cela, donc?
– Mais toi, mon bon ami; toi, mon féal… Tu tombes de la lune, mon pauvre baron.
– Je ne sais plus…
– Non, tu ne sais rien. Mon cher, quand un roi fait un présent à une femme, et qu’il charge M. de Richelieu de cette commission, le présent est noble et la commission bien faite, rappelle-toi cela… Je ne remets pas les écrins, mon cher; c’était la charge de M. Lebel. As-tu connu M. Lebel?
– Qui donc charges-tu alors?
– Mon ami, dit Richelieu en frappant l’épaule de Taverney et en accompagnant ce geste amical d’un sourire diabolique, lorsque j’ai affaire à une aussi admirable vertu que mademoiselle Andrée, je suis moral comme pas un; lorsque j’approche une colombe, comme tu dis, rien en moi ne sent le corbeau; lorsque je suis député vers une demoiselle, je parle au père… Je te parle, Taverney, et te remets l’écrin pour que tu le donnes à ta fille… Maintenant, veux-tu?…
Il tendit l’écrin.
– Ou ne veux-tu pas?
Il retira sa main.
– Oh! mais, mais, s’écria le baron, dis donc cela tout de suite; dis que c’est moi qui suis chargé par Sa Majesté de remettre ce présent: il est tout légitime et devient tout paternel, il s’épure.
– Il faudrait pour cela que tu soupçonnasses Sa Majesté de mauvaises intentions, dit Richelieu sérieusement. Or, tu ne l’oserais, n’est-ce pas?
– Dieu m’en préserve! Mais le monde… c’est-à-dire ma fille…
Richelieu haussa les épaules.
– Prends-tu, oui ou non? dit-il.
Taverney allongea rapidement sa main.
– Comme cela, tu es moral? dit-il au duc avec un sourire jumeau de celui que Richelieu venait de lui adresser.
– Ne trouves-tu pas, baron, dit le maréchal, qu’il soit d’une moralité pure de faire entremettre le père, le père qui purifie tout, comme tu le disais, entre l’enchantement du monarque et le charme de ta fille?… Que M. Jean-Jacques Rousseau de Genève, qui rôdait par ici tout à l’heure, nous juge; il te dira que feu Joseph était impur auprès de moi.
Richelieu prononça ce peu de mots avec un flegme, une noblesse saccadée, un précieux qui imposèrent silence aux observations de Taverney, et l’aidèrent à croire qu’il devait être convaincu.
Il saisit donc la main de son illustre ami et la serrant:
– Grâce à ta délicatesse, dit-il, ma fille va pouvoir accepter ce présent.
– Source et origine de cette fortune dont je te parlais au début de notre ennuyeuse discussion sur la vertu.
– Merci, cher duc, merci de tout mon cœur.
– Un mot; cache bien soigneusement aux amis de du Barry là nouvelle de cette faveur. Madame du Barry serait capable de quitter le roi et de s’enfuir.
– Le roi nous en voudrait?
– Je ne sais, mais la comtesse ne nous en saurait pas gré. Quant à moi, je serais perdu… sois discret.
– Ne crains rien. Mais porte bien mes humbles remerciements au roi.
– Et ceux de ta fille, je n’y manquerai pas… Mais tu n’es pas au bout de la faveur… C’est toi qui remercieras le roi, mon cher; Sa Majesté t’invite à souper ce soir.
– Moi?
– Toi, Taverney; nous sommes en famille. Sa Majesté, toi, moi, nous causerons de la vertu de ta fille. Adieu, Taverney, je vois du Barry avec M. d’Aiguillon; il ne faut pas qu’on nous aperçoive ensemble.
Il dit et, léger comme un page, il disparut au bout de la galerie, laissant Taverney, avec son écrin, pareil à un enfant saxon qui se réveille avec les jouets que Noël lui a mis dans la main pendant qu’il dormait.
Chapitre CXIII Le petit souper du roi Louis XV
Le maréchal trouva Sa Majesté dans le petit salon, où quelques courtisans l’avaient suivi, aimant mieux se passer de souper que de laisser tomber sur d’autres que sur eux le regard distrait de leur souverain.
Mais Louis XV paraissait avoir autre chose à faire ce soir-là que de regarder ces messieurs. Il congédia tout le monde en annonçant qu’il ne souperait pas, ou que, s’il soupait, ce serait seul. Alors tous ses hôtes ayant reçu congé de lui et, craignant de déplaire à Monseigneur le dauphin s’ils n’assistaient pas à la fête qu’il donnait à la suite de la répétition, s’envolèrent aussitôt comme une nuée de pigeons parasites, et prirent leur course vers celui qu’on leur permettait de voir, prêts à affirmer qu’ils désertaient pour lui le salon de Sa Majesté.
Louis XV, qu’ils quittaient avec tant de rapidité, était loin de songer à eux. La petitesse de toute cette tourbe de courtisans l’eût fait sourire dans une autre circonstance; mais, cette fois, elle n’éveilla aucun sentiment chez le monarque, si railleur, qu’il n’épargnait aucune infirmité ni dans l’esprit ni dans le corps de son meilleur ami, en supposant que Louis XV eût jamais eu un ami.
Non, en ce moment, Louis XV donnait toute son attention à un carrosse qui stationnait devant la porte des communs de Trianon, et dont le cocher semblait attendre, pour fouetter ses chevaux, que le poids du maître se fît sentir dans la caisse dorée.
Ce carrosse était celui de madame du Barry, éclairé par des flambeaux. Zamore, assis près du cocher, faisait aller en avant et en arrière ses jambes, comme fait le siège d’une escarpolette.
Enfin madame du Barry, qui sans doute s’était attardée dans les corridors, dans l’espérance d’y recevoir quelque message du roi, alors madame du Barry parut au bras de M. d’Aiguillon. On sentait sa colère, ou du moins son désappointement, à la rapidité de sa démarche. Elle affectait trop de résolution pour n’avoir pas la tête perdue.
Jean, fort lugubre, et le chapeau tout aplati sous la pression distraite de son bras, venait après sa sœur; il n’avait point assisté à ce spectacle, Monseigneur le dauphin ayant oublié de l’inviter; mais il était entré un peu comme un laquais dans l’antichambre, pensif pour le moins autant qu’Hippolyte, laissant flotter son jabot sur une veste d’argent à fleurs roses, et ne regardant même pas ses manchettes en lambeaux qui semblaient se conformer à sa triste pensée.