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Le maréchal se renversa dans son fauteuil en riant aux éclats.

– Il est charmant! s’écria-t-il; il ne doute de rien! Trouver M. de Choiseul en flagrant délit de trahison!… voilà tout!… pas davantage!

Balsamo demeura impassible et attendit que l’accès d’hilarité du maréchal fût bien passé.

– Voyons, dit alors Balsamo, parlons sérieusement et récapitulons.

– Soit.

– M. de Choiseul n’est-il pas soupçonné de soutenir la rébellion du parlement?

– C’est convenu; mais la preuve?

– M. de Choiseul ne passe-t-il pas, continua Balsamo, pour ménager une guerre avec l’Angleterre, afin de se conserver un rôle d’homme indispensable?

– On le croit; mais la preuve?…

– Enfin, M. de Choiseul n’est-il pas l’ennemi déclaré de madame la comtesse que voici et ne cherche-t-il pas par tous les moyens possibles à la renverser du trône que je lui ai promis?

– Ah! pour cela, c’est bien vrai, dit la comtesse; mais encore faudrait-il le prouver… Oh! si je le pouvais!

– Que faut-il pour cela? Une misère.

Le maréchal se mit à souffler sur ses ongles.

– Oui, une misère, dit-il ironiquement.

– Une lettre confidentielle, par exemple, dit Balsamo.

– Voilà tout… peu de chose.

– Une lettre de madame de Grammont, n’est-ce pas, monsieur le maréchal? continua le comte.

– Sorcier, mon bon sorcier, trouvez-en donc une! s’écria madame du Barry. Voilà cinq ans que j’y tâche, moi; j’y ai dépensé cent mille livres par an, et je ne l’ai jamais pu.

– Parce que vous ne vous êtes pas adressée à moi, madame, dit Balsamo.

– Comment cela? fit la comtesse.

– Sans doute, si vous vous fussiez adressée à moi…

– Eh bien?

– Je vous eusse tirée d’embarras.

– Vous?

– Oui, moi.

– Comte, est-il trop tard?

Le comte sourit.

– Jamais.

– Oh! mon cher comte…, dit madame du Barry en joignant les mains.

– Donc, vous voulez une lettre?

– Oui.

– De madame de Grammont?

– Si c’est possible.

– Qui compromette M. de Choiseul sur les trois points que j’ai dits.

– C’est-à-dire que je donnerais… un de mes yeux pour l’avoir.

– Oh! comtesse, ce serait trop cher; d’autant plus que cette lettre…

– Cette lettre?

– Je vous la donnerai pour rien, moi.

Et Balsamo tira de sa poche un papier plié en quatre.

– Qu’est cela? demanda la comtesse dévorant le papier des yeux.

– Oui, qu’est cela? interrogea le duc.

– La lettre que vous désirez.

Et le comte, au milieu du plus profond silence, lut aux deux auditeurs émerveillés la lettre que nos lecteurs connaissent déjà.

Au fur et à mesure qu’il lisait, la comtesse ouvrait de grands yeux et commençait à perdre contenance.

– C’est une calomnie, diable! prenons garde! murmura Richelieu, quand Balsamo eut achevé.

– C’est, monsieur le duc, la copie, pure, simple et littérale, d’une lettre de madame la duchesse de Grammont, qu’un courrier expédié ce matin de Rouen est en train de porter à M. le duc de Choiseul, à Versailles.

– Oh! mon Dieu! s’écria le maréchal, dites-vous vrai, monsieur Balsamo?

– Je dis toujours vrai, monsieur le maréchal.

– La duchesse aurait écrit une semblable lettre?

– Oui, monsieur le maréchal.

– Elle aurait eu cette imprudence?

– C’est incroyable, je l’avoue; mais cela est.

Le vieux duc regarda la comtesse, qui n’avait plus la force d’articuler un seul mot.

– Eh bien, dit-elle enfin, je suis comme le duc, j’ai peine à croire, pardonnez-moi, monsieur le comte, que madame de Grammont, une femme de tête, ait compromis toute sa position et celle de son frère par une lettre de cette force… D’ailleurs… pour connaître une semblable lettre, il faut l’avoir lue.

– Et puis, se hâta de dire le maréchal, si M. le comte avait lu cette lettre, il l’aurait gardée: c’est un trésor précieux.

Balsamo secoua doucement la tête.

– Oh! monsieur, dit-il, ce moyen est bon pour ceux qui décachètent les lettres afin de connaître des secrets… et non pour ceux qui, comme moi, lisent à travers les enveloppes… Fi donc!… Quel intérêt, d’ailleurs, aurais-je, moi, à perdre M. de Choiseul et madame de Grammont? Vous venez me consulter… en amis, je suppose; je vous réponds de même. Vous désirez que je vous rende un service, je vous le rends. Vous ne venez pas, j’imagine, me proposer le prix de ma consultation comme aux devineurs du quai de la Ferraille?

– Oh! comte, fit madame du Barry.

– Eh bien, je vous donne un conseil et vous ne me paraissez pas le comprendre. Vous m’annoncez le désir de renverser M. de Choiseul, et vous en cherchez les moyens; je vous en cite un, vous l’approuvez; je vous le mets en main, vous n’y croyez pas!

– C’est que… c’est que… comte, écoutez donc…

– La lettre existe, vous dis-je, puisque j’en ai la copie.

– Mais enfin, qui vous a averti, monsieur le comte? s’écria Richelieu.

– Ah! voilà le grand mot… qui m’a averti? En une minute, vous voulez en savoir aussi long que moi, le travailleur, le savant, l’adepte, qui ai vécu trois mille sept cents ans.

– Oh! oh! dit Richelieu avec découragement, vous allez me gâter la bonne opinion que j’avais de vous, comte.

– Je ne vous prie pas de me croire, monsieur le duc, et ce n’est pas moi qui ai été vous chercher à la chasse du roi.

– Duc, il a raison, dit la comtesse. Monsieur de Balsamo, je vous en supplie, pas d’impatience.

– Jamais celui qui a le temps ne s’impatiente, madame.

– Soyez assez bon… joignez cette faveur à toutes celles que vous m’avez faites, pour me dire comment vous avez la révélation de pareils secrets?

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