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– Éveillez-vous, Havard! lui dit-il.

Le jeune homme ouvrit les yeux avec effort et regarda avec une profonde surprise tous les assistants, devenus pour lui inoffensifs, de menaçants qu’ils étaient.

– Eh bien! dit-il douloureusement, on ne m’a donc pas encore opéré? On va donc encore me faire souffrir?

Balsamo prit vivement la parole. Il craignait l’émotion du malade. Il n’était pas besoin qu’il se hâtât.

Nul ne l’eût devancé; la surprise des assistants était trop grande.

– Mon ami, lui dit-il, tranquillisez-vous. M. le chirurgien en chef a pratiqué sur votre jambe une opération qui satisfait à toutes les exigences de votre position. Il paraît, mon pauvre garçon, que vous êtes un peu faible d’esprit, car vous vous êtes évanoui devant la première attaque.

– Oh! tant mieux, dit gaiement le Breton, je n’ai rien senti; mon sommeil a même été doux et réparateur. Quel bonheur! on ne me coupera pas la jambe.

Mais, en ce moment, le malheureux porta ses regards sur lui-même; il vit le lit plein de sang, il vit sa jambe mutilée.

Il jeta un cri et, cette fois, s’évanouit véritablement.

– Interrogez-le maintenant, dit froidement Balsamo à Marat, et vous verrez s’il répond.

Puis, entraînant le chirurgien en chef dans un coin de la chambre, tandis que les infirmiers reportaient le malheureux jeune homme dans son lit:

– Monsieur, dit Balsamo, vous avez entendu ce qu’a dit votre pauvre malade?

– Oui, monsieur, qu’il guérirait.

– Il a dit encore autre chose: il a dit que Dieu le prendrait en pitié, et lui enverrait de quoi nourrir sa femme et ses enfants.

– Eh bien?

– Eh bien, monsieur, il a dit la vérité, sur ce point comme sur l’autre; seulement, chargez-vous d’être un intermédiaire de charité entre votre malade et Dieu: voici un diamant qui vaut vingt mille livres, à peu près; quand vous verrez votre malade guéri, vous le vendrez et vous lui en remettrez l’argent; en attendant, comme l’âme, ainsi que me le disait fort judicieusement votre élève, M. Marat, comme l’âme a une grande influence sur le corps, dites bien à Havard, aussitôt que la connaissance sera revenue, dites-lui bien que son avenir et celui de ses enfants est assuré.

– Mais, monsieur, dit le chirurgien hésitant à prendre la bague que lui offrait Balsamo, s’il ne guérit point?

– Il guérira!

– Encore faut-il que je vous en donne un reçu.

– Monsieur!…

– Ce n’est qu’à cette condition que je prendrai un bijou d’une pareille valeur.

– Faites comme il vous plaira, monsieur.

– Votre nom, s’il vous plaît?

– Le comte de Fœnix.

Le chirurgien passa dans la chambre voisine, tandis que Marat, anéanti, confondu, mais luttant encore contre l’évidence, se rapprochait de Balsamo.

Au bout de cinq minutes, le chirurgien rentra, tenant à la main un papier qu’il remit à Balsamo.

C’était un reçu conçu en ces termes:

«J’ai reçu de M. le comte de Fœnix un diamant qu’il a déclaré lui-même être d’une valeur de vingt mille livres, pour le prix en être remis au nommé Havard, le jour où il sortira de l’Hôtel-Dieu.

«GUILLOTIN, D. M.»

«Le 15 septembre 1771.»

Balsamo salua le docteur, prit le reçu et sortit suivi de Marat.

– Vous oubliez votre tête, dit Balsamo, pour lequel la distraction du jeune élève en chirurgie était un triomphe.

– Ah! c’est vrai, dit celui-ci.

Et il ramassa son funèbre fardeau.

Une fois dans la rue, tous deux marchèrent fort vite et sans se dire un seul mot; puis, arrivés à la rue des Cordeliers, ils remontèrent ensemble le rude escalier qui conduisait à la mansarde.

Devant la loge de la portière, si toutefois le trou qu’elle habitait méritait le nom de loge, Marat, qui n’avait pas oublié la disparition de sa montre, s’était arrêté et avait demandé dame Grivette.

Un enfant de sept à huit ans, maigre, chétif et étiolé, lui avait répondu de sa voix criarde:

– Maman, elle est sortie; elle a dit que, si monsieur rentrait, on lui donnât cette lettre.

– Non, mon petit ami, dit Marat, tu lui diras qu’elle me l’apporte elle même.

– Bien, monsieur.

Marat et Balsamo avaient continué leur chemin.

– Ah! dit Marat en indiquant une chaise à Balsamo et en tombant lui même sur un escabeau, je vois que le maître a de beaux secrets.

– C’est que je suis entré plus avant qu’un autre, peut-être, dans la confidence de la nature et de Dieu, répondit Balsamo.

– Oh! s’écria Marat, comme la science prouve l’omnipotence de l’homme, et qu’on doit être fier d’être homme!

– C’est vrai, et médecin, devriez-vous ajouter.

– Aussi, je suis fier de vous, maître, dit Marat.

– Et cependant, répliqua en souriant Balsamo, je ne suis qu’un pauvre médecin des âmes.

– Oh! ne parlons pas de cela, monsieur, vous qui avez arrêté le sang du blessé par des moyens matériels.

– Je croyais que ma plus belle cure était de l’avoir empêché de souffrir; il est vrai que vous m’avez assuré qu’il était fou.

– Il l’a été un moment, certes.

– Qu’appelez-vous folie? N’est-ce point une abstraction de l’âme?

– Ou de l’esprit, dit Marat.

– Nous ne discuterons pas là-dessus; l’âme me sert à nommer le mot que je cherche. Du moment que la chose est trouvée, peu m’importe comment vous l’appelez.

– Ah! voilà où nous différons d’opinion, monsieur; vous prétendez avoir trouvé la chose et ne plus chercher que le mot; moi, je soutiens que vous cherchez tout ensemble le mot et la chose.

– Nous reviendrons là-dessus tout à l’heure. Vous disiez donc que la folie était une abstraction momentanée de l’esprit?

– Assurément.

– Involontaire, n’est-il pas vrai?

– Oui… J’ai vu un fou à Bicêtre qui mordait ses barreaux de fer en criant: «Cuisinier, tes faisans sont tendres, mais ils sont mal accommodés.»

– Mais, enfin, admettez-vous que cette folie passe comme un nuage sur l’esprit, et que, le nuage passé, l’esprit reprenne sa limpidité première?

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