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– Tu crois?

– J’en suis sûr, j’y aide. Tu sais que c’est à cause de cette drôlesse que j’ai refusé le portefeuille?

– On me l’a dit; mais, je l’avoue…

– Que tu n’y croyais pas. Allons, dis bravement.

– Eh bien, bravement, je l’avouerai…

– Cela veut dire que tu m’as connu sans scrupules, n’est-ce pas?

– Cela veut dire du moins que je t’ai connu sans préjugés.

– Mon cher, je vieillis, et je n’aime plus les jolies femmes que pour moi… Et puis j’ai encore d’autres idées… Revenons à ton fils, c’est un charmant garçon.

– Fort mal avec le du Barry, qui était chez toi quand j’ai eu la maladresse de m’y présenter.

– Je le sais, et voilà pourquoi je ne suis pas ministre.

– Bon!

– Sans doute, mon ami.

– Tu as refusé le portefeuille pour ne pas déplaire à mon fils?

– Si je te le disais, tu ne le croirais pas: il n’en est rien. J’ai refusé parce que les exigences des du Barry, qui commençaient par l’exclusion de ton fils, eussent abouti à des énormités en tout genre.

– Alors, tu es brouillé avec ces espèces?

– Oui et non: ils me craignent, je les méprise, c’est un prêté pour un rendu.

– C’est héroïque, mais c’est imprudent.

– Pourquoi donc?

– La comtesse a du crédit.

– Peuh! fit Richelieu.

– Comme tu dis cela!

– Je le dis comme un homme qui sent le faible de la position, et qui, s’il le fallait, attacherait le mineur au bon endroit pour faire sauter la place.

– Je vois la vérité: tu rends service à mon fils un peu pour piquer les du Barry.

– Beaucoup pour cela, et ta perspicacité n’est pas en défaut; ton fils me sert de grenade, j’incendie par son moyen… Mais, à propos, baron, est-ce que tu n’as pas aussi une fille?

– Oui.

– Jeune?

– Seize ans.

– Belle?

– Comme Vénus.

– Qui habite Trianon.

– Tu la connais donc?

– J’ai passé la soirée avec elle, et j’ai causé d’elle une heure avec le roi.

– Avec le roi? s’écria Taverney dont les joues s’empourprèrent.

– En personne.

– Le roi a parlé de ma fille, de mademoiselle Andrée de Taverney?

– Qu’il dévore des yeux, oui, mon cher.

– Ah! vraiment?

– Je te contrarie en te disant cela?

– Moi?… Non, certes… le roi m’honore en regardant ma fille… mais…

– Mais quoi?

– C’est que le roi…

– À de mauvaises mœurs; est-ce cela que tu veux dire?

– Dieu me préserve de parler mal de Sa Majesté; elle a bien le droit d’avoir les mœurs qu’il lui plaît d’avoir.

– Eh bien, alors, que signifie cet étonnement? As-tu la prétention de faire que mademoiselle Andrée ne soit pas une beauté accomplie, et que, par conséquent, le roi ne la regarde pas d’un œil amoureux?

Taverney ne répondit rien, il haussa seulement les épaules et tomba dans une rêverie où le poursuivit le regard impitoyablement inquisiteur de Richelieu.

– Bon! je devine ce que tu dirais si, au lieu de penser tout bas, tu parlais tout haut, poursuivit le vieux maréchal en rapprochant son fauteuil de celui du baron; tu dirais que le roi est habitué à la mauvaise société… qu’il s’encanaille, comme on dit aux Porcherons, et, par conséquent, qu’il se gardera bien de tourner les yeux vers cette noble fille, au maintien pudique, aux chastes amours, et ne remarquera pas ce trésor de grâces et de charmes de tout genre… lui qui ne se prend qu’aux propos licencieux, qu’aux œillades libertines et aux propos de grisette.

– Décidément tu es un grand homme, duc.

– Et pourquoi cela?

– Parce que tu as deviné juste, dit Taverney.

– Pourtant, avouez-le, baron, poursuivit Richelieu, il serait bien temps que notre maître ne nous forçât pas, nous autres gentilshommes, nous pairs et compagnons du roi de France, à baiser la main plate et avilie d’une courtisane de cette espèce. Il serait temps qu’il nous remît dans notre air, à nous, et qu’après être tombé de la Châteauroux, qui était marquise et d’un bois à faire des duchesses, à la Pompadour, fille et femme de traitant, puis de la Pompadour à la du Barry, qui s’appelle tout bonnement Jeanneton, il ne tombe pas de la du Barry à quelque Maritorne de cuisine ou à quelque Goton des champs. C’est humiliant pour nous, baron, qui avons une couronne au casque, de baisser la tête devant ces péronnelles.

– Oh! que voilà des vérités bien dites, murmura Taverney, et comme il est clair que le vide est fait à la cour par ces nouvelles façons!

– Plus de reine, plus de femmes; plus de femmes, plus de courtisans; le roi entretient une grisette, et le peuple est sur le trône, représenté par mademoiselle Jeanne Vaubernier, lingère à Paris.

– Et cela est ainsi cependant, et…

– Vois-tu, baron, interrompit le maréchal, il y aurait un bien beau rôle pour une femme d’esprit qui voudrait régner en France à l’heure qu’il est…

– Sans doute, dit Taverney, dont le cœur battait; mais malheureusement la place est prise.

– Pour une femme, continua le maréchal, qui sans avoir les vices de ces prostituées, en aurait là hardiesse, le calcul et les vues; pour une femme qui pousserait si haut sa fortune, que l’on en parlerait encore alors même que la monarchie n’existerait plus. Sais-tu si ta fille a de l’esprit, baron?

– Beaucoup, et du bon sens surtout.

– Elle est bien belle!

– N’est-ce pas?

– Belle de ce tour voluptueux et charmant qui plaît tant aux hommes, belle de cette candeur et de cette fleur de virginité qui impose le respect aux femmes mêmes… Il faut bien soigner ce trésor-là, mon vieil ami.

– Tu m’en parles avec un feu…

– Moi! c’est-à-dire que j’en suis amoureux fou, et que je l’épouserais demain sans mes soixante-quatorze ans. Mais est-elle bien placée là-bas? a-t-elle au moins ce luxe qui convient à une si belle fleur?… Songes-y, baron; ce soir, elle est rentrée seule chez elle, sans femme, sans chasseur, avec un laquais du dauphin portant une lanterne devant elle: cela ressemble à de la domesticité.

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