Au moment où il montait en carrosse, une femme de chambre de la dauphine s’approcha de lui et entra presque dans sa voiture.
– Voici, dit-elle.
Et elle lui mit dans la main un petit papier soyeux dont le contact fit frissonner le cardinal.
– Voici, répliqua-t-il vivement en mettant dans la main de cette femme une bourse lourde, et qui, vide, eût été un salaire honorable.
Le cardinal, sans perdre de temps, commanda au cocher de partir pour Paris, et de demander de nouveaux ordres à la barrière.
Pendant tout le chemin, dans l’obscurité de la voiture, il palpa et baisa comme un amant enivré le contenu de ce papier.
Une fois à la barrière:
– Rue Saint-Claude, dit-il.
Bientôt après, il traversait la cour mystérieuse et retrouvait ce petit salon où se tenait Fritz, l’introducteur aux silencieuses façons.
Balsamo se fit attendre un quart d’heure. Il parut enfin et donna au cardinal, pour cause de son retard, l’heure avancée, qui pouvait lui permettre de croire qu’aucune visite ne lui viendrait plus.
En effet, il était près de onze heures du soir.
– C’est vrai, monsieur le baron, dit le cardinal, et je vous demande pardon de ce dérangement. Mais vous souvenez-vous de m’avoir dit, un jour, que pour être assuré de certains secrets…?
– Il me fallait les cheveux de la personne dont nous parlions ce jour-là, interrompit Balsamo, qui avait vu déjà le petit papier aux mains du naïf prélat.
– Précisément, monsieur le baron.
– Et vous m’apportez ces cheveux, monseigneur? Très bien.
– Les voici.
– Croyez-vous qu’il sera possible de les ravoir après l’expérience?
– À moins que le feu n’ait été nécessaire… auquel cas…
– Sans doute, sans doute, dit le cardinal; mais alors je pourrai m’en procurer d’autres. Puis-je avoir une solution?
– Aujourd’hui?
– Je suis impatient, vous le savez.
– Il faut d’abord essayer, monseigneur.
Balsamo prit les cheveux et monta précipitamment chez Lorenza.
– Je vais donc savoir, se disait-il en chemin, le secret de cette monarchie; je vais donc savoir le dessein caché de Dieu.
Et, de l’autre côté de la muraille, avant même d’avoir ouvert la porte mystérieuse, il endormit Lorenza. La jeune femme le reçut donc avec un tendre embrassement.
Balsamo s’arracha avec peine de ses bras. Il eût été difficile de dire quelle chose était plus douloureuse au pauvre baron, ou des reproches de la belle Italienne quand elle était éveillée, ou de ses caresses quand elle dormait.
Enfin, étant parvenu à dénouer la chaîne que les deux beaux bras de la jeune femme avaient jetée à son cou:
– Ma Lorenza chérie, lui dit-il en lui mettant le papier dans la main, peux tu me dire à qui sont ces cheveux?
Lorenza les prit et les appuya sur sa poitrine, puis contre son front; quoique ses deux yeux fussent ouverts, c’était par la poitrine et le front qu’elle voyait pendant son sommeil.
– Oh! dit-elle, c’est une illustre tête que celle à qui on les a dérobés.
– N’est-ce pas?… Une tête heureuse? Dis!
– Elle peut l’être.
– Cherche bien, Lorenza.
– Oui, elle peut l’être; il n’y a pas d’ombre encore sur sa vie.
– Cependant elle est mariée…
– Oh! fit Lorenza avec un doux sourire.
– Eh bien quoi? et que veut dire ma Lorenza?
– Elle est mariée, cher Balsamo, ajouta la jeune femme, et cependant…
– Et cependant?
– Et cependant…
Lorenza sourit encore.
– Moi aussi, je suis mariée, dit-elle.
– Sans doute.
– Et cependant…
Balsamo regarda Lorenza avec un profond étonnement; malgré le sommeil de la jeune femme, une pudibonde rougeur s’étendait sur son visage.
– Et cependant? répéta Balsamo. Achève.
Elle jeta de nouveau ses bras autour du cou de son amant, et, cachant sa tête dans sa poitrine:
– Et cependant je suis vierge, dit-elle.
– Et cette femme, cette princesse, cette reine, s’écria Balsamo, toute mariée qu’elle est?…
– Cette femme, cette princesse, cette reine, répéta Lorenza, elle est aussi pure et aussi vierge que moi; plus pure, plus vierge même, car elle n’aime pas comme moi.
– Oh! fatalité! murmura Balsamo. Merci, Lorenza, je sais tout ce que je voulais savoir.
Il l’embrassa, serra précieusement les cheveux dans sa poche, et, coupant à Lorenza une petite mèche de ses cheveux noirs, il la brûla aux bougies et en recueillit la cendre dans le papier qui avait enveloppé les cheveux de la dauphine.
Alors il redescendit, et, tout en marchant, réveilla la jeune femme.
Le prélat, tout ému d’impatience, attendait, doutait.
– Eh bien, monsieur le comte? dit-il.
– Eh bien, monseigneur…
– L’oracle?…
– L’oracle a dit que vous pouviez espérer.
– Il a dit cela? s’écria le prince transporté.
– Concluez, du moins, comme il vous plaira, monseigneur, l’oracle ayant dit que cette femme n’aimait pas son mari.
– Oh! fit M. de Rohan avec un transport de joie.
– Quant aux cheveux, dit Balsamo, il m’a fallu les brûler pour obtenir la révélation par l’essence; en voici les cendres que je vous rends scrupuleusement après les avoir recueillies, comme si chaque parcelle valait un million.
– Merci, monsieur, merci, je ne pourrai jamais m’acquitter envers vous.
– Ne parlons pas de cela, monseigneur. Une seule recommandation, dit-il: n’allez pas avaler les cendres dans du vin, comme font quelquefois les amoureux; c’est d’une sympathie si dangereuse que votre amour deviendrait incurable, tandis que le cœur de l’amante se refroidirait!
– Ah! je n’aurai garde, dit le prélat presque épouvanté. Adieu, monsieur le comte, adieu.
Vingt minutes après, le carrosse de Son Éminence croisait au coin de la rue des Petits-Champs la voiture de M. de Richelieu, qu’elle faillit renverser dans un de ces trous énormes creusés par la construction d’une maison.