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A
A

– Cette lettre, que j’ai écrite sous votre dictée, qu’est-elle devenue?

– Elle court.

– De quel côté?

– Du côté de l’occident.

– Est-elle loin?

– Oh! oui, bien loin, bien loin.

– Qui la porte?

– Un homme vêtu d’une veste verte, coiffé d’un bonnet de peau, chaussé de grandes bottes.

– Est-il à pied ou à cheval?

– Il est à cheval.

– Quel cheval monte-t-il?

– Un cheval pie.

– Où le voyez-vous?

Il y eut un moment de silence.

– Regardez, dit impérieusement Balsamo.

– Sur une grande route plantée d’arbres.

– Mais sur quelle route?

– Je ne sais, toutes les routes se ressemblent.

– Quoi! rien ne vous indique quelle est cette route, pas un poteau, pas une inscription, rien?

– Attendez, attendez: une voiture passe près de cet homme à cheval; elle le croise, venant vers moi.

– Quelle espèce de voiture?

– Une lourde voiture pleine d’abbés et de militaires.

– Une patache, murmura Richelieu.

– Cette voiture ne porte aucune inscription? demanda Balsamo.

– Si fait, répondit la voix.

– Lisez.

– Sur la voiture, je lis Versailles en lettres jaunes presque effacées.

– Quittez cette voiture, et suivez le courrier.

– Je ne le vois plus.

– Pourquoi ne le voyez-vous plus?

– Parce que la route tourne.

– Tournez la route et rejoignez-le.

– Oh! il court de toute la force de son cheval: il regarde à sa montre.

– Que voyez-vous en avant du cheval?

– Une longue avenue, des bâtiments superbes, une grande ville.

– Suivez toujours.

– Je le suis.

– Eh bien?

– Le courrier frappe toujours son cheval à coups redoublés; l’animal est trempé de sueur; ses fers font sur le pavé un bruit qui fait retourner tous les passants. Ah! le courrier entre dans une longue rue qui va en descendant. Il tourne à droite. Il ralentit le pas de son cheval. Il s’arrête à la porte d’un vaste hôtel.

– C’est ici qu’il faut le suivre avec attention, entendez-vous?

La voix poussa un soupir.

– Vous êtes fatiguée. Je comprends cela.

– Oh! brisée.

– Que cette fatigue disparaisse, je le veux.

– Ah!

– Eh bien?

– Merci.

– Êtes-vous fatiguée encore?

– Non.

– Voyez-vous toujours le courrier?

– Attendez… Oui, oui, il monte un grand escalier de pierre. Il est précédé par un valet en livrée bleu et or. Il traverse de grands salons pleins de dorures. Il arrive à un cabinet éclairé. Le laquais ouvre la porte et se retire.

– Que voyez-vous?

– Le courrier salue.

– Qui salue-t-il?

– Attendez… Il salue un homme assis à un bureau et qui tourne le dos à la porte.

– Comment est habillé cet homme?

– Oh! en grande toilette, et comme pour un bal.

– A-t-il quelque décoration?

– Il porte un grand ruban bleu en sautoir.

– Son visage?

– Je ne le vois pas… Ah!

– Quoi?

– Il se retourne.

– Quelle physionomie a-t-il?

– Le regard vif, des traits irréguliers, de belles dents.

– Quel âge?

– Cinquante à cinquante-huit ans.

– Le duc! souffla la comtesse au maréchal, c’est le duc.

Le maréchal fit de la tête un signe qui signifiait: «Oui, c’est lui… mais écoutez.»

– Ensuite? commanda Balsamo.

– Le courrier remet à l’homme au cordon bleu…

– Vous pouvez dire le duc: c’est un duc.

– Le courrier, reprit la voix obéissante, remet au duc une lettre qu’il tire d’un sac de cuir qu’il portait derrière son dos. Le duc la décachette et la lit avec attention.

– Après?

– Il prend une plume, une feuille de papier et écrit.

– Il écrit! murmura Richelieu. Diable! si l’on pouvait savoir ce qu’il écrit, ce serait beau, cela.

– Dites-moi ce qu’il écrit, ordonna Balsamo.

– Je ne puis.

– Parce que vous êtes trop loin. Entrez dans le cabinet. Y êtes-vous?

– Oui.

– Penchez-vous par-dessus son épaule.

– M’y voici.

– Lisez-vous maintenant?

– L’écriture est mauvaise, fine, hachée.

– Lisez, je le veux.

La comtesse et Richelieu retinrent leur haleine.

– Lisez, reprit Balsamo d’un ton plus impératif encore.

– «Ma sœur», dit la voix en tremblant et en hésitant.

– C’est la réponse, murmurèrent ensemble le duc de Richelieu et la comtesse.

– «Ma sœur, reprit la voix, rassurez-vous: la crise a eu lieu, c’est vrai; elle a été rude, c’est vrai encore; mais elle est passée. J’attends demain avec impatience; car demain, à mon tour, je compte prendre l’offensive, et tout me porte à espérer un succès décisif. Bien pour le parlement de Rouen, bien pour milord X…, bien pour le pétard.

«Demain, après mon travail avec le roi, j’ajouterai un post-scriptum à ma lettre, et vous l’enverrai par le même courrier.»

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