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– C'est une réponse! Remarque, à voir ta tête, la question n’etalt pas urgente.

– Je suis fatiguée Mathilde!

– Viens t'asseoir sur mon lit!

Zofia obéit. Lorsqu'elle se laissa choir sur le matelas, Mathilde gémit.

– Je suis désolée, dit Zofia en se redressant. Alors ta journée?

– Passionnante! reprit Mathilde en grimaçant. J'ai ouvert le frigo, lancé une bonne vanne, tu connais mon humour, ça a fait exploser une tomate de rire et du coup j'ai passé le reste de l'après-midi à faire un shampooing au persil!

– Tu as beaucoup souffert aujourd'hui?

– Seulement pendant mon cours d'aérobic! Tu peux te rasseoir mais délicatement cette fois.

Mathilde regarda par la fenêtre et dit aussitôt à Zofia:

– Reste debout!

– Pourquoi? demanda Zofia, intriguée.

– Parce que tu vas te relever dans deux minutes, répondit Mathilde sans dévier son regard.

– Qu'est-ce qu'il y a?

– Je ne peux pas croire qu'il remette ça! ricana Mathilde.

Zofia écarquilla les yeux et recula d'un pas.

– Il est en bas?

– Qu'est-ce qu'il est craquant, si seulement c'était son jumeau, il y en aurait un pour moi! Il t'attend, assis sur le capot de sa voiture, avec des fleurs, allez, descends! dit Mathilde, déjà seule dans la pièce.

Zofia était sur le trottoir. Lucas se releva et tendit à mains jointes le nénuphar roux qui se tenait fierement planté dans son pot en terre cuite.

– Je ne sais toujours pas quelles sont vos préférées mais au moins, celle-ci vous pousse à me parler!

Zofia le dévisagea sans rien dire. Il avança vers elle.

– Je vous demande de me laisser au moins une chance de vous expliquer.

– Expliquer quoi? dit-elle. Il n'y a plus rien à expliquer.

Elle tourna le dos, rentra chez elle, s'arrêta au beau milieu du hall pour faire demi-tour, ressortit dans la rue, marcha jusqu'à lui sans prononcer un seul mot, s'empara du nénuphar et retourna dans la maison. La porte claqua derrière elle. Reine lui barra l'accès à l'escalier et confisqua la fleur d'eau.

– Je m'en occupe et toi je te donne trois minutes pour monter te préparer. Fais ta coquette et ta difficile, c'est très féminin, mais n'oublie pas que le contraire de tout c'est rien! Et rien, ce n'est pas grand-chose… allez, file!

Zofia voulut répliquer, mais Reine campa ses mains sur ses deux hanches et affirma d'un ton autoritaire:

– Il n'y a pas de «mais» qui tienne!

En entrant dans l'appartement Zofia se dirigea vers la penderie.

– Je ne sais pas pourquoi, mais dès que je l'ai vu j'ai pressenti un jambon purée en tête à tête avec Reine ce soir, dit Mathilde en admirant Lucas par la fenêtre.

– Ça va! répliqua Zofia, énervée.

– Très bien, et toi?

– Ne me cherche pas, Mathilde, ce n'est pas le moment.

– Là, ma vieille, j'ai l'impression que tu t'es trouvée toute seule!

Zofia décrocha son imperméable du portemanteau et se dirigea vers la porte sans répondre à son amie qui la rappela d'une voix franche:

– Les histoires d'amour finissent toujours par s'arranger!… Sauf pour moi.

– Arrête avec tes remarques, veux-tu, tu n'as même pas idée de quoi tu parles, répondit Zofia.

– Si tu avais connu mon ex, tu aurais eu une idée de ce qu'est l'enfer! Allez, passe une bonne soirée.

Reine avait posé le nénuphar sur un petit guéridon. Elle le regarda attentivement et murmura: «Après tout!» Jetant un œil à son reflet dans le miroir au-dessus de la cheminée, elle remit hâtivement en ordre ses cheveux argent et se dirigea d'un pas discret vers l'entrée. Elle glissa sa tête dans l'encadrement de la porte et murmura à Lucas qui faisait les cent pas sur le trottoir: «Elle arrive!» Elle rentra vite chez elle en entendant les pas de Zofia.

Zofia s'approcha de la berline mauve à laquelle Lucas était adossé.

– Pourquoi êtes-vous venu ici? Qu'est-ce que vous voulez?

– Une deuxième chance!

– On n'a jamais une seconde chance de faire une première bonne impression!

– Ce soir, ça m'arrangerait beaucoup de vous prouver que c'est faux.

– Pourquoi?

– Parce que.

– C'est un peu court comme réponse!

– Parce que je suis retoumé à Sausalito cet après midi, dit Lucas.

Zofia le regarda, c'était la première fois qu'elle le devinait fragile.

– Je ne voulais pas que la nuit tombe, reprit-il. Non, c'est plus compliqué que cela. Ne «pas vouloir» a toujours fait partie de moi, ce qui était étrange tout à l'heure c'était de connaître le contraire, pour une fois j'ai voulu!

– Voulu quoi?

– Vous voir, vous entendre, vous parler!

– Et puis quoi d'autre encore! Que je trouve une raison de vous croire?

– Laissez-moi vous emmener, ne refusez pas ce dîner.

– Je n'ai plus faim, dit-elle en baissant les yeux.

– Vous n'avez jamais eu faim! Il n'y a pas que moi qui n'ai pas tout dit…

Lucas ouvrit la portière de la voiture et sourit.

– … Je sais qui vous êtes.

Zofia le dévisagea et monta à bord.

Mathilde lâcha le pan du rideau qui glissa lentement sur le carreau. Au même moment, un voilage retombait sur une fenêtre du rez-de-chaussée.

La voiture disparut au bout de la rue déserte. Sous une fine pluie d'automne, ils roulaient sans rien se dire, Lucas conduisait à petite allure, Zofia regardait au-dehors, cherchant dans le ciel des réponses aux questions qu'elle se posait.

– Depuis quand savez-vous? demanda-t-elle.

– Quelques jours, répondit Lucas, gêné, en se frottant le menton.

– De mieux en mieux! Et pendant tout ce temps-là vous n'avez rien dit!

– Vous non plus, vous n'avez rien dit.

– Moi je ne sais pas mentir!

– Et moi, je ne suis pas programmé pour dire la vérité!

– Alors comment ne pas penser que vous avez tout manigancé, que vous me manipulez depuis le début?

– Parce que ce serait vous sous-estimer. Et puis ça pourrait bien être l'inverse, tous les contraires existent! La situation actuelle semble me donner raison.

– Quelle situation?

– Toute cette douceur, envahissante et étrangère. Vous, moi, dans cette voiture sans savoir où aller.

– Que voulez-vous faire? demanda Zofia, le regard absent tourné vers les piétons qui défilaient sur les trottoirs humides.

– Je n'en sais absolument rien. Rester auprès de vous.

– Arrêtez ça!

Lucas pila et la voiture glissa sur l'asphalte mouillé pour achever sa course au pied d'un feu.

– Vous m'avez manqué toute la nuit, et toute la journée. Je suis reparti marcher jusqu'à Sausalito, en mal de vous, mais là-bas aussi vous me manquiez; vous me manquiez et c'était doux.

– Vous ignorez le sens de ces mots.

– Je ne connaissais que leur antonyme.

– Arrête de me faire la cour!

– Je rêvais que nous nous tutoyions enfin!

Zofia ne répondit pas. Le feu passa à l'orange puis au vert, puis à l'orange puis au rouge. Les essuie-glaces chassaient la pluie, cadençant le silence.

– Et puis, je ne vous fais pas la cour! dit Lucas.

– Je n'ai pas dit que vous la faisiez mal, répondit Zofia en hochant franchement la tête, j'ai dit que tu la faisais, c'est différent!

– Et je peux continuer? demanda Lucas.

– Nous sommes assaillis d'appels de phares.

– Ils n'ont qu'à attendre, c'est rouge!

– Oui, pour la troisième fois!

– Je ne comprends pas ce qui m'arrive, je ne comprends plus grand-chose d'ailleurs, mais je sais que je me sens bien près de vous et que ces mots-là non plus ne font pas partie de mon vocabulaire.

– C'est un peu tôt pour dire des choses pareilles.

– Parce qu'en plus il y a des moments pour dire la vérité?

– Oui, il y en a!

– Alors là j'ai vraiment besoin d'être aidé; être sincère, c'est encore plus compliqué que je ne le pensais!

– Oui, c'est difficile d'être honnête, Lucas, bien plus que vous ne l'imaginez, et c'est souvent ingrat et injuste, mais ne pas l'être c'est voir et prétendre être aveugle. Tout ça est tellement compliqué à vous expliquer. Nous sommes très différents l'un de l'autre, vraiment trop différents..

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