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Troisième J our

Il voulut remonter à lui le couvre-lit, mais sa main le chercha en vain. Il ouvrit un œil et frotta sa barbe naissante. Lucas sentit sa propre haleine et se dit que la cigarette et l'alcool faisaient vraiment mauvais ménage. L'affichage du radio-réveil indiquait six heures vingt et une. À côté de lui, l'oreiller défoncé était solitaire. Il se leva et se dirigea vers le petit salon, nu comme un ver. Amy, enroulée dans le couvre-lit, croquait une pomme rouge arrachée à la corbeille de fruits.

– Je t'ai réveillé? demanda-t-elle.

– Indirectement, oui! Il Y a du café dans cet endroit?

– J'ai pris la liberté d'en commander au room service, je prends une douche et je me sauve.

– Si ça ne te dérange pas trop, répondit Lucas, j’aimerais mieux que tu rentres prendre ta douche chez toi, je suis très en retard!

Amy en resta interdite. Elle se dirigea aussitôt vers la chambre et récupéra ses affaires éparses. Elle s'habilla à la hâte, attrapa ses escarpins et s'engagea dans le petit corridor vers la porte palière. Lucas sortit la tête de la salle de bains.

– Tu ne prends plus de café?

– Non, je vais le prendre chez moi lui aussi, merci pour la pomme!

– Il n'y a pas de quoi, tu en veux une autre?

– Non, ça ira comme ça, j'ai été ravie, bonne journée.

Elle retira la chaînette de sécurité et tourna la poignée. Lucas s'approcha d'elle.

– Je peux te poser une question?

– Je t'écoute!

– Quelles sont tes fleurs préférées?

– Lucas, tu as beaucoup de goût, mais essentiellement du mauvais! Tes mains sont très habiles, j'ai vraiment passé une nuit d'enfer avec toi, mais restons-en là!

En sortant, elle se trouva nez à nez avec le garçon d'étage qui apportait le plateau du petit déjeuner. Lucas regarda Amy.

– Tu es certaine que tu ne veux pas de café, maintenant qu'il est arrivé?

– Certaine!

– Sois gentille, dis-moi pour les fleurs!

Amy inspira profondément, visiblement exaspérée.

– On ne demande pas ces choses-là à l'intéressée, ça brise tout le charme, tu ne sais pas ça à ton âge?

– Évidemment que je sais ça, répondit Lucas d'un ton de petit garçon boudeur, mais ce n'est pas toi l'intéressée!

Amy tourna les talons, manquant de peu bousculer le garçon qui attendait toujours à l'entrée de la suite. Les deux hommes immobiles entendirent la voix d'Amy hurler du fond du couloir: «Un cactus, et tu peux t'asseoir dessus!» Silencieux, ils la suivirent du regard. Une petite sonnette retentit: l'ascenseur était arrivé. Avant que les portes ne se referment, Amy ajouta: «Un dernier détail, Lucas, tu es tout nu!»

*

– Tu n'as pas fermé l'œil de la nuit.

– Je dors toujours très peu…

– Zofia, qu'est-ce qui te préoccupe?

– Rien!

– Une amie, ça sait entendre ce que l'autre ne dit pas.

– J'ai trop de travail, Mathilde, je ne sais même plus par où commencer. j'ai peur d'être débordée, de ne pas être à la hauteur de ce que l'on attend de moi.

– C'est bien la première fois que je te vois douter.

– Alors, nous devons être en train de devenir de vraies amies.

Zofia se dirigea vers le coin cuisine. Elle passa derrière le comptoir et remplit la bouilloire électrique. De son lit installé dans le salon, Mathilde pouvait voir le jour se lever sur la baie, sous un léger crachin d'aube. De bien tristes nuages opacifiaient le ciel.

– Je hais octobre, dit Mathilde.

– Qu'est-ce qu'il t'a fait?

– C'est le mois qui enterre l'été. Tout est mesquin à l'automne: les jours raccourcissent, le soleil n'est jamais au rendez-vous, les froids tardent à venir, on regarde nos pull-overs sans encore pouvoir les mettre. L'automne n'est qu'une saloperie de saison paresseuse, rien que de l'humidité, de la pluie et encore de la pluie.

– Et c'est moi qui suis supposée avoir mal dormi!

La bouilloire se mit à trembloter. Un déclic interrompit le frémissement de l'eau. Zofia souleva le couvercle d'une boîte en fer, prit un sachet d'Earl Grey, versa le liquide fumant dans une grande tasse et laissa le thé infuser. Elle composa le petit déjeuner de Mathilde sur un plateau, ramassa le journal que Reine avait glissé sous la porte comme chaque matin et le lui apporta. Elle aida son amie à se redresser, remit les oreillers en place et se dirigea vers sa chambre. Mathilde souleva la fenêtre à guillotine. La moiteur de l'arrière-saison s'infiltra jusque dans sa jambe, réveillant une douleur lancinante, elle grimaça.

– J'ai revu l'homme au nénuphar hier soir! cria Zofia depuis la salle de bains.

– Vous ne vous quittez plus! répliqua Mathilde, criant tout aussi fort.

– Tu parles! Il dînait juste dans le même restaurant que moi.

– Avec qui?

– Une blonde.

– Quel genre?

– Blonde!

– Mais encore?

– Genre cours après moi tu n'auras pas de mal à me rattraper, j'ai des talons hauts!

– Vous vous êtes parlé?

– Vaguement. Il a bafouillé qu'elle était journaliste et qu'il accordait une interview.

Zofia entra sous sa douche. Elle tourna les vieux robinets grinçants et gratifia d'un coup sec le pommeau qui toussa par deux fois: l'eau ruissela sur son visage et son corps. Mathilde ouvrit le San Francisco Chronicle, une photo attira son attention.

– Il n'a pas menti! cria-t-elle.

Zofia, qui shampouinait abondamment ses cheveux, ouvrit l'œil. Du revers de la main, elle tenta de chasser le savon qui la piquait et provoqua l'effet contraire.

– Sauf qu'elle est plutôt châtain…, renchérit Mathilde, et plutôt pas mal!

Le bruit de la douche cessa, Zofia apparut aussitôt dans le salon. Une serviette-éponge l'habillait à la taille et sa chevelure était coiffée de mousse.

– Qu'est-ce que tu racontes?

Mathilde contempla son amie.

– Tu as vraiment de beaux seins!

– Les saints sont toujours beaux, sinon ce ne seraient pas des saints!

– C'est ce que j'essaie de dire aux miens tous les matins devant la glace.

– De quoi tu parles exactement, Mathilde?

– De tes pommes! J'adorerais que les miennes soient aussi fières.

Zofia cacha sa poitrine avec son avant-bras.

– De quoi parlais-tu, avant?

– Probablement de ce qui t'a fait sortir de la douche sans te rincer! dit-elle en agitant le journal.

– Comment l'article pourrait-il être déjà publié?

– Appareils numériques et Internet! Tu donnes une interview, quelques heures plus tard tu es sur la première page du journal et le lendemain tu sers à emballer le poisson!

Zofia voulut prendre le quotidien des mains de Mathilde, elle s'y opposa.

– N'y touche pas! Tu es trempée.

Mathilde se mit à lire à voix haute les premières lignes de l'article qui titrait sur deux colonnes «LA VRAIE ASCENSION DU GROUPE A amp;H»: un véritable panégyrique d'Ed Heurt où la journaliste encensait en trente lignes la carrière de celui qui avait incontestablement contribué au formidable essor économique de la région. Le texte concluait que la petite société des années 1950, devenue un gigantesque groupe, reposait aujourd'hui entièrement sur ses épaules.

Zofia finit par s'emparer du feuillet et acheva la lecture de la chronique chapeautée d'une petite photo en couleurs. Elle était signée Amy Stephen. Zofia replia le papier et ne put refréner un sourire.

– Elle est blonde! dit-elle.

– Vous allez vous revoir?

– J'ai accepté un déjeuner.

– Quand?

– Mardi.

– À quelle heure, mardi?.

Lucas devait passer la chercher vers midi, répondit Zofia. Mathilde pointa alors du doigt la porte de la salle de bains en hochant la tête.

– Dans deux heures donc!

– On est mardi? demanda Zofia en ramassant à la hâte ses affaires.

– C'est ce qui est écrit dans le journal!

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