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A
A

Tu es mon Bachert,

Je t'aime

Lucas.

Zofia se recroquevilla lentement sur le tapis de feuilles en serrant la lettre dans ses doigts. Elle releva la tête et regarda le ciel voilé de chagrin.

Au milieu du parc, le nom de Lucas résonna comme jamais la Terre ne l'avait entendu résonner; les mains tendues au plus haut vers le ciel, Zofia déchirait le silence et son appel interrompait le cours du monde.

– Pourquoi m'as-tu abandonnée? murmura-t-elle.

– N'exagérons rien tout de même! répondit la voix de Michaël qui apparut sous l'arche du petit pont.

– Parrain?

– Pourquoi pleures-tu, Zofia?

– J'ai besoin de toi, dit-elle en courant vers lui.

– Je suis venu te chercher, Zofia, il faut que tu rentres avec moi maintenant, c'est fini.

Il lui tendit la main, mais elle recula.

– Je ne rentre pas. Mon paradis n'est plus chez nous.

Michaël avança vers elle et la prit sous son bras.

– Tu veux renoncer à tout ce que ton Père t'a donné?

– À quoi servait de me donner un cœur si c'était pour le laisser vide, parrain?

Il se mit face à elle et posa ses deux mains sur ses épaules; il la regarda attentivement et sourit, plein de compassion.

– Qu'as-tu fait, Zofia?

Elle plongea ses yeux dans les siens, ses lèvres serrées de tristesse, elle soutint son regard et lui dit:

– J'ai aimé.

Alors la voix de son parrain se fit feutrée, son regard devint évanescent et la lumière du jour traversa son visage au fur et à mesure qu'il disparaissait.

– Aide-moi, supplia-t-elle.

– C'est une alliance…

Mais elle n'entendit jamais la fin de sa phrase, il avait disparu, elle ne l'entendrait plus.

– … sacrée, acheva-t-elle en s'éloignant seule dans l'allée.

*

Michaël sortit de l'ascenseur, passa devant l'hôtesse, qu'il salua d'un geste impatient, et avança d'un pas pressé dans le corridor. Il frappa à la porte du grand bureau et entra sans attendre.

– Houston, nous avons un problème!

La porte se referma derrière lui.

Quelques minutes plus tard, la voix tonitruante de Monsieur fit trembler les murs de la demeure. Michaël ressortit peu après, faisant signe à tous ceux qu'il croisait dans les couloirs que tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes et que chacun pouvait retourner à son poste de travail. Il se faufila derrière le comptoir de la réceptionniste et regarda nerveusement par la fenêtre.

Dans son immense bureau, Monsieur fixait de son œil rageur la cloison du fond, il ouvrit le tiroir à sa main droite, fit coulisser le compartiment secret et déverrouilla brutalement la sécurité du contacteur.

D'un coup de poing franc, il appuya sur le bouton-poussoir. La cloison coulissa lentement sur ses rails et s'ouvrit sur le bureau de Président; les deux tables n'en formaient désormais plus qu'une seule démesurée où chacun se tenait à une extrémité, l'un face à l'autre.

– Je peux faire quelque chose pour toi? demanda Président en posant son jeu de cartes.

– Je ne peux pas croire que tu aies osé!

– Osé quoi? susurra Satan.

– Tricher!

– Parce que c'est moi qui ai triché le premier? répliqua Président d'un ton arrogant.

– Comment as-tu pu attenter au destin de nos envoyés? Tu n'as donc plus de limites?

– Mais c'est quand même le monde à l'envers, j'aurai vraiment tout entendu! railla Satan. C'est toi qui as triché le premier, mon vieux!

– Moi j'ai triché?

– Parfaitement!

– Et en quoi ai-je triché?

– Ne prends pas cet air angélique avec moi!

– Mais qu'est-ce que j'ai fait? demanda Dieu.

– Tu as recommencé! dit Lucifer.

– Quoi?

– DES HUMAINS!

Dieu toussa et caressa la pointe de son menton en dévisageant son adversaire.

– Tu vas arrêter immédiatement de les pourchasser!

– Et sinon quoi?

– Sinon c'est moi qui vais te poursuivre!

– Ah oui? Essaie, juste pour voir! Je m'amuse déjà! À ton avis, les avocats résident chez toi ou chez moi? répondit Président en appuyant sur le bouton dans son tiroir.

La cloison se referma lentement. Dieu attendit qu'elle soit à mi-course, il inspira profondément et Satan entendit sa voix lui crier de l'autre bout de la pièce:

– Nous ALLONS ÊTRE GRANDS-PÈRES!

La cloison s'immobilisa aussitôt. Dieu vit la tête effarée de Satan qui s'était penché pour le voir à nouveau.

– Qu'est-ce que tu viens de dire?

– Tu m'as très bien entendu!

– Garçon ou fille? demanda Satan d'une petite voix inquiète.

– Je n'ai pas encore décidé!

Satan se leva d'un bond.

– Attends, j'arrive! Cette fois-ci il faut vraiment qu'on parle!

Président fit le tour du bureau, franchit la séparation et vint s'asseoir à côté de Monsieur, à l'autre extrémité de la table… s'ensuivit une longue conversation qui dura… dura… dura jusqu'au soir…

Puis il y eut un matin, et…

… Une Éternité

Une fine brise soufflait sur Central Park…

Un amas de feuilles se mit à virevolter, tourbillonnant autour d'un banc qui bordait l'allée piétonne. Dieu et Satan s'étaient assis sur le dossier. Ils les virent arriver de loin. Lucas tenait la main de Zofia dans la sienne. De sa main libre, chacun guidait la poussette à deux berceaux. Ils passèrent devant eux sans les voir.

Lucifer soupira d'émotion.

– Tu peux me dire ce que tu veux, mais la petite est la plus réussie des deux! dit-il.

Dieu se retourna pour le toiser d'un œil goguenard.

– Je croyais qu'on avait dit qu'on ne parlerait pas des enfants?

Ils se levèrent ensemble et remontèrent l'allée côte à côte.

– D'accord, dit Lucifer, dans un monde totalement parfait ou imparfait nous nous serions ennuyés, oublions ça! Mais maintenant que nous sommes seul à seul, tu peux me le dire! Tu as commencé à tricher le quatrième ou le cinquième jour?

– Mais pourquoi veux-tu que j'aie triché?… Dieu posa sa main sur l'épaule de Lucifer et sourit:

– … Et le hasard dans tout ça!

Il y eut un soir… et plein d'autres matins.

***
Sept jours pour une éternité… - pic_2.jpg
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