Là cherche à me soustraire à sa digestion conquérante se change vite en indigestion enchantée perceptible remue-ménage de la flache au tuf de son bidon l'estomac lourd remonte à l'insuffle des lèvres pareilles à un débouche-chiottes à l'invincible ventouse me démène inutile émotion infernale de la mulsion monstre avant-coureuse du dégueulis entre dans la bouche broyée chuintement du vomi rêche dans la bouche en liquéfaction vers le boyau tenant à peine liquide coule en l'intestin précaire muscles du corps impotents à se bander avale coco avale mes débats plus forfait estomac à l'épreuve abandon paix superbe lèvres jointes dégorge plus forte medley subjectif de son menu en tornades inlassables.
Le livre a été ouvert au hasard, p.180. Cela continue ainsi jusqu'à la fin! Au début on trouve encore des phrases, en épaisses broussailles parmi lesquelles on s'efforce de progresser. Qui, sauf cas de perversion mentale, peut s'infliger le supplice de lire deux cent cinquante pages de cette dégoulinade verbale ininterrompue? On a beau se raisonner, se forcer, penser que la littérature est parfois ardue, rien à faire. Tout sonne faux, depuis le début et la citation d'Anna Freud, les personnages genre rock underground, l'incipit. Ce pensum pour jobards en quête des signes extérieurs de génie n'est qu'une interminable démonstration du postulat de départ: attention, là c'est du littéraire, du saignant, du brutal, du sans concessions. Le plus navrant, dans ce cas, c'est que le présumé inouïsme de la chose (pour écrire comme Alphonse Allais) est en réalité prévisible point par point. Écrire, pour Mehdi Belhaj Kacem, c'est s'employer à faire signe qu'on est un grand écrivain, audacieux, moderne (c'est-à-dire à faire tout ce que l'écrivain populaire ne fait pas): absence de ponctuation, autocommentaire permanent, scatologie omniprésente (le grand écrivain est celui qui transcende les fonctions basses dans un lyrisme échevelé). Tout a une fonction très précise, dans cette fabrication. Le sexe, le vomi, le caca, c'est pour montrer qu'on ne triche pas, qu'on baigne dans le réel (mais qu'on en fait de la poésie). La syntaxe dépourvue de liens et de pauses, c'est pour montrer, de même, qu'on ne s'arrête pas à des vétilles et à des petitesses de réflexion, on ne coupe pas, on est en ligne directe avec l'inspiration, l'inconscient, tout le bazar. Bref, le bon vieux schéma de la littérature à l'épate.
Bien entendu, personne n'a pu lire ça. En revanche, ça s'est vendu. Le phénomène n'est pas si mystérieux qu'il en a l'air: en littérature on vend aussi de l'image. Un roman qui a pour sujet un musicien de rock devenu épave, roman intitulé Cancer, écrit à dix-sept ans, par un individu qui fait un regard mauvais sur une photo floue en quatrième de couverture, genre attention je ne rigole pas, un tel roman a tout pour plaire aux Inrockuptibles, engendrer de la copie, créer une légende. Peu importe, après tant de valeur ajoutée symbolique, qu'on le lise ou pas.
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Le système qui consiste à faire passer un produit pour de la littérature de qualité engendre une esthétique. Cela fonctionne sur un système de reconnaissance, de défamiliarisation limitée, de surprise prévisible. Plusieurs facteurs permettent au lecteur de se repérer. D'abord, le produit, quel qu'en soit le genre, doit s'appeler roman. Il semble acquis, dans les maisons d'édition, que la littérature, c'est le roman, c'est-à-dire une petite histoire, de préférence sentimentale, sans ambition excessive, dans laquelle s'agitent quelques leurres appelés «personnages». Dans ses Leçons américaines, Calvino dit que «la littérature ne peut vivre que si on lui assigne des objectifs démesurés». S'il a raison, elle agonise.
En second lieu, cette littérature «de qualité», qui fait les «coups» et les prix, adopte fréquemment des formes de représentation plus ou moins dérivées du réalisme qui triomphe dans la littérature de grande consommation, sous la forme flasque de la psychologie d'alcôve. Le même roman de divorces et d'adultères, à peu près, dont se régalaient déjà les petits-bourgeois de la Belle Époque. Les problèmes de couples inondent les librairies. Dan Franck a fait un malheur, il y a quelques années, avec La Sépara tion. On demande du jardin secret. Le roman exotique ou historique, autre réalisme abâtardi, exploite les inépuisables ressources offertes par l'Inde, l'Egypte ancienne, la marine à voile ou le Sud des États-Unis. Dans les deux cas, le réalisme se confond avec le folklore, collectif ou individuel. La personne, l'espace, le temps y sont considérés comme des réserves d'exotisme à exploiter. Le monde réel est un vaste parc d'attractions. Ce réalisme donne comme loi naturelle le mythe selon lequel un individu (ou une société) est un contenu, un fonds dans lequel il suffit à la littérature de puiser. Sartre appelait cela avec mépris «les corps simples de la psychologie». Le réalisme n'est pas réaliste. Le résultat est parfois distrayant, parfois navrant. Littérairement, cela donne quelque chose comme un éditorial de Elle ou un article de fond de Marie-Claire, plus le courrier du cœur et éventuellement l'article culturel: «Un week-end à Athènes», mais en deux cent cinquante pages. Catherine Rihoit, par exemple, fournit ce genre de copie. Dans l'un de ses romans à l'intrigue sentimentale pourtant dépourvue d'excessive complexité, l'auteur parvenait même à s'emmêler dans ses personnages. Aucune importance: Catherine Rihoit ne lit visiblement pas ses livres, ni Gallimard son éditeur, ni les journalistes qui en parlent. Dans ce domaine, la quintessence de la niaiserie s'incarne en la figure de Madeleine Chapsal. Voir La Maison de jade, ou La Femme en moi, prototypes du crétinisme de la confidence.
Si, dans ce que l'on donne pour de la littérature plus novatrice, cette forme de représentation subit quelques distorsions, il apparaît néanmoins comme obligatoire que le récit, aussi fictif soit-il, paraisse plus ou moins «vécu», et donne ainsi une garantie d'authenticité. Il y a d'infinies variantes de la garantie d'authenticité: la confession sincère et brutale; le souvenir de famille; la sensation finement observée; la peinture des gens authentiques; le corps, le viscéral. Ainsi, le lecteur sait où il est, et peut se convaincre que l'auteur parle vrai. En outre, l'effacement contemporain des frontières entre roman et autobiographie, qui a donné naissance à des genres hybrides tels que l'«autofiction», favorise l'équivoque, et l'identification émotionnelle du récit à la personne de l'écrivain. Il est dès lors plus facile d'écouler le produit, quelle que soit sa qualité, en mettant en scène habilement l'auteur, en créant quelque scandale.
Une grande partie de la littérature d'aujourd'hui peut se ranger dans la catégorie «document humain». N'importe quoi est bon, suivant l'idéologie moderne de la transparence et de l'individualisme. Les confidences de M. Untel sont intéressantes par nature, parce que Untel est intéressant dans sa particularité. C'est l'idéologie des jeux télévisés, de la publicité, des reality show, de Loft story et des ouvrages d'Annie Ernaux. La plupart du temps, dans tous ces genres, le résultat est accablant, et sert pour l'essentiel à se rencogner dans le confort de la médiocrité, dans un narcissisme à petit feu, qui n'a pas même l'excuse de la démesure. Pour engendrer autre chose, la confession exige une stature humaine dont ceux qui la pratiquent sont fréquemment privés. Reste cette excuse de la médiocrité: la sincérité.
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Pour créer la surprise et alimenter la copie journalistique, le texte doit en outre présenter une apparence d'audace, dans le fond comme dans la forme, qui fournira le bonus symbolique, la garantie littéraire. Sur le fond, l'audace consiste à faire toujours la même chose. Du témoignage, et aussi de la violence ou du sexe. Si possible les trois. À chaque fois, on promet du scandale, de la révélation, du hard, quelque chose d'inouï. Le succès d'Angot, de Despentes, de Houellebecq, de Darrieussecq, de Catherine Millet, etc., a été fabriqué de cette manière. Au fond, on ne fait plus guère lire qu'avec cela (ou bien avec des ragots, ou encore avec de l'antisémitisme). Le scénario est tellement immuable qu'on est à chaque fois étonné du cynisme des uns et de la candeur des autres. Invariablement, d'un côté, on fait miroiter quelque nouvel exemple de liberté sexuelle osant briser les derniers tabous, une audace d'écrivain illustrant la puissance dérangeante de la littérature, invariablement de l'autre côté on s'insurge contre une littérature de latrines, on vilipende d'imaginaires écoles du dégoûtant. On ne quitte pas le plan moral. Le débat, en réalité, est purement formel, il y a belle lurette que littérature et morale vivent sous le régime de la séparation. Certains continuent à se demander si l'on peut tout dire. Le «tout» s'avère n'être qu'un argument publicitaire, pour deux raisons: d'abord parce que toutes les limites ont été franchies depuis longtemps, la liste des exemples serait innombrable, Sade, Rebell, Apollinaire, Céline, etc. Ensuite et surtout parce que le «tout» en question, dont on fait si grand cas, s'avère à la lecture n'être qu'une anodine histoire de fesses dont il est aussi ridicule de s'extasier que de se gendarmer. Certains auteurs prétendus «sulfureux», ainsi que les critiques et les éditeurs qui entretiennent cette réputation, ont l'air de vivre il y a cinquante ans, ils se gargarisent d'audaces cacochymes, s'étonnent du courage qui consiste à briser des interdits pulvérisés depuis des lustres. Qu'on lise Le Boucher d'Alina Reyes, spécialiste de l'érotisme qualité française garantie. On tombera sur un morne alignement de figures obligées qui ne ferait plus rougir que des chaisières de Saint-Flour, mais qui pourrait à la rigueur susciter les prémices d'un raidissement chez un notaire tourangeau gavé au Viagra. Baise-moi, de Virginie Despentes, ne mérite ni l'excès d'honneur qu'il a recueilli, ni totale indignité. C'est juste un petit polar violent comme il s'en fabrique tous les jours. Quels «tabous» ont été brisés, quelles limites franchies?