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J'aurais été incapable de dire pourquoi je devais me rendre chez Sonia aussi vite… J'ai frappé à sa porte, silence à l'intérieur, j'ai ouvert quand même. Elle était debout face à la porte, flingue à la main, bien en main, tenait Victor en joue, assis sur le lit. Ils devaient être en train de parler, se tenaient comme si ça faisait un moment qu'ils en étaient là.

Temps d'arrêt. Au juste, qu'est-ce que je faisais maintenant? Le canon du gun noir rutilant avait une présence bien palpable, s'imposait au centre de la pièce. Les choses se faisaient en fonction de lui, et j'ai été soulagée de sentir qu'il ne se dirigeait pas vers moi. Victor ne lui avait rien dit.

C'était surprenant de le voir dans cette pièce, en plein jour, ailleurs que dans le seul espace que je lui connaissais. Coup d'œil vers lui, très vite, et tout s'est remis en place, je savais ce que j'étais venue faire là.

Alors, les choses se sont faites sans moi. La même sensation que monter sur scène pour la première fois, connaître suffisamment son rôle pour s'en tirer quand même, mais sans y être.

Je me suis tournée vers Sonia, puisque c'était la seule personne que j'étais censée connaître, et j'ai dit sans me forcer pour prendre l'air paniqué:

– Je sais pas ce qui t'arrive, mais ça tombe mal, parce qu'elle a besoin de toi tout de suite.

Et le désignant du menton:

– C'est un client?

– Louise, je te présente Victor. J'en connais une qui va être contente de le voir.

Elle ne le quittait pas des yeux, prenait un plaisir évident à le haïr tout son soûl. Je cherchais quoi dire, j'ai haussé les épaules:

– Va falloir qu'on le laisse là, on peut pas l'emmener. Je crois que c'est urgent, y a un problème, elle vient juste d'appeler. Elle a dit que t'avais un truc à prendre. Est-ce que t'as un deuxième flingue? Je m'occupe de lui, qu'il bouge pas, tu te prépares et tu te dépêches parce que je crois bien qu'il y a grosse urgence… On l'attachera lui, il peut bien attendre qu'elle passe le chercher.

À l'instant où j'ai prétendu qu'il y avait urgence du côté de la Reine-Mère, Sonia s'est désintéressée de Victor, elle m'a fait signe de la rejoindre en grommelant:

– J'ai pas d'autre gun, prends celui-là. Et s'il bouge, t'hésites pas, souviens-toi bien de qui il s'agit, de toute façon on n'a peut-être pas de temps à perdre à l'attacher si ça speede… D'abord, prends ça, je me prépare et on…

Elle est restée les yeux sur lui, a attendu que je sois à côté d'elle pour me glisser le flingue dans la main, qu'il ne quitte pas sa direction, j'ai pris sa place, elle a fini sa première phrase:

– … verra ce qu'on fait de lui. Sinon…

Mais pas la deuxième, parce que j'ai tiré, un geste d'automate, je me suis tournée tout entière vers elle, le buste, les jambes, la tête, tout entière, levé le bras, tendu, et j'ai tiré dans sa figure. J'ai vu ses yeux, pas le temps de comprendre ce que je foutais, trou à la place du nez. Elle n'est pas tombée tout de suite, le temps de bien me regarder, en se demandant ce qui m'avait pris. A fait quelques pas dans ma direction, sa figure ne ressemblait plus à grand-chose. Je suis restée tout à fait immobile, j'aurais pu rester comme ça très longtemps, à me demander si je l'avais vraiment fait, et même où est-ce que j'étais. Je me souviens de ça, d'un moment de vrai décalage, débranchement et apesanteur. Il m'a fallu faire un réel effort de concentration pour remettre les choses en place, du moment où j'avais frappé à la porte, jusqu'au moment où j'avais tiré.

Victor s'est précipité sur elle, au moment où elle s'effondrait, l'a poussée pour qu'elle tombe sur le lit, que ça ne fasse pas trop de bruit. Je n'avais pas encore bougé. Il m'a pris le gun des mains, a posé un oreiller sur sa tête et a tiré trois fois encore. Puis a soulevé l'oreiller pour s'assurer que dessous elle ne ressemblait plus à rien. Méticuleux, précis et efficace.

Il s'est redressé, a juré:

– Putain, ça a fait un boucan de la mort, pourvu qu'ils ne montent pas.

Il a jeté un œil sur la porte avec inquiétude, a poussé Sonia pour tirer les couvertures sous elle et l’en recouvrir. L'oreiller ne cachait plus sa tête, je la regardais fixement, dévisagée et uniformément rouge, sauf des dents plutôt rosés. Quatre balles dans la tête, elle pissait le sang.

Puis elle était sous les couvertures, et Victor à la porte écoutait pour voir si quelqu'un venait.

Il faisait les choses avec un grand sang-froid. Puis s’adressant à moi:

– Et tu sais où elle l'a mise?

– Derrière la grille de la clim, juste à côté du lit. J'avais la voix blanche, une toute petite voix monocorde, misérable et blanche.

Rassuré parce que personne ne montait, il est revenu vers le lit, a cherché la plaque des yeux, puis est tombé à genoux devant, l'a arrachée et en a extirpé le petit paquet carré.

Il l'a pris dans ses mains, a fermé les yeux en soufflant.

J'étais toujours au même endroit. Mais je n'étais pas encore revenue, pas encore vraiment là. Enfin, il s'est tourné vers moi:

– Tu as vu Mireille?

– Je suis venue te voir ce matin…

– Je me demande un peu comment ça se serait passé, si t'étais pas arrivée. Félicitations, t'as fait ça putain de bien… Tu voudras une part sur la vente?

Je me suis mise à regarder à droite, à gauche, en bas, sans bouger la tête. Je ne savais pas bien à quoi cette mimique correspondait, c'est simplement ce que je faisais. Regarder partout à toute vitesse, sauf lui.

Est-ce que je ne venais pas de faire tout comme il fallait, pour que ça continue comme avant?

Alors pourquoi est-ce que tout ne se passe pas comme il faut? Pourquoi est-ce qu'il ne vient pas contre moi?

J'ai expliqué, sans arrêter de bouger les yeux et pas la tête, comme une débile qui se prendrait pour une grosse mouche:

– Tu ne peux pas m'en vouloir vraiment de ne pas t'avoir dit hier que je connaissais bien Sonia et que je pouvais sûrement…

– C'était putain d'important pour moi. Et tu le savais bien. Tu pouvais pas me faire ça. Ce que t'as fait.

Alors je l'ai regardé, pour vérifier ce que j'entendais, le ton de la décision bien prise, et je l'ai vu comme je l'entendais: très loin, tout à fait hostile. Étranger.

– Me laisse pas, je t'en supplie, me laisse pas…

Une fois qu'ils étaient sortis, ces putains de mots ne m'ont plus quittée, je me suis mise à répéter ça, et je ne m'arrêtais plus.

Il m'a laissée faire longtemps, je l'ennuyais prodigieusement.

Finalement, il est venu contre moi. Et je me jetais sur lui et il n'était pas là. Je pouvais bien sentir ça, parce que je me souvenais bien de ce que ça faisait quand il me collait contre lui et me voulait vraiment.

Il a répété une nouvelle fois, et ça avait l'air de le rendre triste, lui aussi, mais il était trop tard:

– Tu ne pouvais pas me faire ça.

Puis il m'a conduite vers la salle de bains, me prenant par la taille, m'a mise devant l'évier. Se tenant derrière moi, il me regardait dans la glace. Il m'a prise par les hanches, embrassée dans le cou, gardant les yeux rivés aux miens dans le reflet du miroir. J'avais les mains crispées sur le bord du lavabo, je disais que je le voulais et il est venu dedans, gardé son pantalon, juste baissé sa braguette, mon futé à moi était baissé aux chevilles, m'empêchait de me mettre exactement comme je voulais, je bougeais mécaniquement, et ça l'a fait encore, démarré, et je le sentais qui me revenait, m'empoignait avec plus de force, et me cherchait, me trouvait, me faisait le truc, effaçait tout, et ses mains agrippaient mes cheveux et il venait plus loin. Ça n'a pas duré très longtemps, je l'ai senti se répandre dedans et il est resté collé contre moi, ses ongles s'enfonçaient dans mes hanches, comme s'il cherchait à me casser.

On ne parlait pas, on est restés tout l'après-midi dans cette salle de bains à le faire sur le carrelage, contre la baignoire, contre le mur, à buter l'un contre l'autre, à se chercher de partout et à le faire encore et je savais que Sonia était à côté, petit à petit je réalisais bien tout ce qui s'était passé. Et on est restés des heures à grimper aux murs, à se cogner aux carrelages, à s'empoigner dans tous les sens. Et ça me faisait du bien, et je lui mangeais les doigts, et je le sentais partout. Je ne voulais que lui, lui seul m'était réel.

Il a fini par parler, me caressait les cheveux, il a dit:

– On va y aller maintenant… Tu fais couler un bain? Ça nous fera du bien, après on y va. O.K.?

Il est passé à côté, j'ai fait couler de l'eau, ça m'a pris du temps pour qu'elle soit chaude comme il fallait. J'étais sonnée, pas vraiment là. Je me sentais bien, en même temps que complètement assommée.

Je me suis assise au bord de la baignoire.

Sonia, inerte, sa tête criblée de balles, son corps sans résistance quand il l'avait recouverte.

Mais ça valait la peine. C'était ce qu'il fallait faire.

Parce que tant que tu es avec moi, tous ces gens tellement loin, ça ne me fait pas peur, parce que tant que tu es avec moi…

Et j'ai seulement compris qu'il n'était plus à côté.

Je l'ai appelé doucement:

– Victor?

Parce que peut-être j'imaginais de sales trucs et je me faisais des idées. Et j'ai appelé plus fort:

– Victor?

Mais je savais bien qu'il n'était plus là, il était parti tout de suite en sortant de la salle de bains et s'était dépêché dans les escaliers de service, dépêché dans la rue pour être sûr de me semer.

22 H 55

Je suis restée dans la salle de bains, assise au bord de la baignoire. Je me tenais droite et immobile, mes mains serraient l'émail, convulsivement.

J'attendais, parce que j'espérais qu'il ferait demi-tour et reviendrait me chercher. Confusément, sans même l'admettre. Il allait changer d'avis. Et revenir. J'attendais là parce que je ne voulais pas comprendre. Ni rien admettre.

Quand on a frappé à la porte de la chambre, j'ai d'abord cru que c'était lui, c'est l'idée qui m'est venue et je me suis secouée, redressée, mise en émoi.

Sauf qu'il ne frapperait pas. Aucune raison pour ça.

On a frappé à la porte une seconde fois et je suis vraiment revenue, les choses dégringolaient et me reconnectaient avec de la pensée, rien que de la sale pensée bien brusquée par la peur. Je me suis levée, cœur cognant et voix mal assurée:

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