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VENDREDI 15 DÉCEMBRE 10 H 00

Le lendemain au réveil, j'ai pris la résolution de parler à Mireille de ce qui s'était passé.

Le souvenir de la veille était tellement incroyable que j'aurais pu croire l'avoir rêvé.

Sauf que la brûlure à l'entrejambe n'avait rien de chimérique.

Guillaume n'avait pas dormi là.

À côté, les voisins étaient deux à nouveau et s'engueulaient déjà, elle disait:

– Mais si c'est pour me parler comme ça, il ne fallait pas revenir.

– Comment veux-tu que je te parle autrement? Tu vas peut-être m'expliquer qu'il ne s'est rien passé, et que rien n'a changé?

– Va te faire enculer, si c'est pour me traiter comme une putain, sors d'ici…

Et il avait à peine claqué la porte, elle se précipitait derrière lui, continuait la scène sur le palier, lui demandait de revenir en hurlant. Et il remontait.

Pendant que je buvais mon café, je me sentais endurcie, lucide et résolue. J'écoutais Bob chanter qu'il se sentait mal à nouveau, et qu'il se doutait bien qu’il n'était pas le seul dans ce cas.

La voisine sanglotait en arrière-plan:

– Mais tu ne peux pas pardonner?

Et rien de tout ça ne me faisait plus si peur. J'allais tout simplement attendre que ça passe, ce sale hiver et, un jour ou l'autre, toutes ces choses seraient derrière, simplement du passé.

J'allais raconter à Mireille ce qui s'était passé, faire les choses comme il faut, parce que je n'avais pas peur.

11h 05

J'ai appelé le bar de Mireille, je ne comptais pas le lui dire au téléphone, je passais juste un coup de fil comme ça, pour lui demander comment ça allait, ce qu'elle ferait dans l'après-midi. Elle était radieuse au téléphone, juste un peu fatiguée parce qu'elle n'avait pas beaucoup dormi, elle aurait tellement aimé me voir, mais elle travaillait toute la journée, on lui avait proposé de faire un extra carrément bien payé, et elle ne rentrerait que tard dans la nuit. Remettait ça le dimanche, on ne pourrait pas se voir avant le lundi.

C'est si peu de chose, une bonne résolution.

11 H 20

Les volets se sont soulevés aussi doucement qu'à l'habitude, mais dans ma poitrine je sentais mes organes se bousculer et vouloir sortir pour faire des bonds à l'extérieur.

Quand j'ai été face à lui je me suis entendue dire:

– J'ai ramené un tas de cigarettes.

En gardant un calme impeccable, seulement mes mains que je tenais serrées dans mon dos qui tressaillaient. Une voix assourdissante dedans qui me hurlait de repartir tout de suite, je n'avais qu'elle en tête, mais je n'ai pas fait un seul pas en arrière.

Un quart de seconde avant que je rentre, ses yeux ont accroché les miens, j'ai senti le truc qui avait été changé entre mes jambes plus vivant que jamais, qui en voulait encore.

Je me demandais si ça faisait ça à tout le monde, fouillais dans ma mémoire et certainement ça faisait pareil à tout le monde, mais ça ne me l'avait jamais fait à moi.

J'ai attendu que les volets se referment à quelques pas de lui, je savais très bien que je n'aurais jamais dû revenir.

Déclic quand ils sont arrivés au sol.

12 H 00

– T'es tellement extravagante, je me demandais vraiment si tu reviendrais.

Les premiers mots qu'il a dits, juste après qu'on a recommencé, par terre au pied des volets, alors qu'il était encore dedans. Il me recouvrait, tout son poids sur moi. Il me bouffait l'air et n'avait rien à faire là, mais je n'avais pas envie de bouger.

Il me détaillait, attentivement, se penchait sur mon cas avec patience et savoir-faire. Qu'est-ce que j'avais, qui lui échappait?

Je me questionnais en aparté, si j'avais mal ou pas, si sa langue m'écœurait, si j'aimais son odeur. Je m'ennuyais, globalement. Je restais sans réaction, fatiguée, étrangère à tout ça. Ça ne m'avait rien fait, je m'étais même ennuyée.

Il touchait mes cheveux, les écartait pour bien m’avoir les yeux. Y fouillait comme chez lui. Gestes d’intimité déplacés, gestes de protection grotesques, de tendresse affectée.

Il s'est retiré, relevé. Le truc chaud s'est répandu entre mes jambes. J'ai senti le vide, aussitôt mon ventre a fait savoir qu'il voulait remettre ça, tout de suite. J'étais prise en traître par mes propres émotions.

Je me suis mise debout à mon tour et je ne savais plus bien quoi dire. Lui nous a servi de généreuses doses de whisky, m'a tendu le verre:

– Cul sec?

Il a vidé le sien avant que je ne porte le mien à mes lèvres, j'ai suivi le mouvement, il a rempli nos deux verres à nouveau, est allé s'asseoir à la table de la cuisine. J'ai commencé à établir le lien entre son sourire et sa bouche sur moi, sa façon de s'asseoir, de se tenir et sa façon de bouger dans moi et de m'empoigner sans ménagement. J'ai commencé à avoir envie de lui, à comprendre ce que ça faisait. Irrationnelle dedans. J'ai repensé au moment où il affolait le mouvement, où les choses devenaient sérieuses et s'enflammaient durement. Envie sourde, il me semblait qu'il y avait quelque chose là-dedans, qui m'avait échappé jusqu'alors, quelque chose de crucial, de pas encore tilté.

Il a demandé:

– Je peux te poser une ou deux questions sur toi et le sexe?

– Non.

Et je me sentais finalement détendue avec lui, familière, vite, d'une façon qui m'était inconnue. Alors il s'est mis à parler d'autres choses, il bavardait vraiment bien, mais ça n'était pas exactement ce qui m'intéressait chez lui

J'avais vidé mon deuxième verre, il l'a aussitôt rempli, aussi généreusement que les deux premiers, en expliquant:

– Je te mets la dose parce que j'aimerais bien te voir raide, voir si tu te détends.

– Comment tu présenteras la chose à Mireille quand elle rentrera et que je serai ivre morte à poil dans son salon?

– On verra ça en temps voulu… Ça t'arrive d'oublier Mireille quand tu es avec moi?

II avait cette façon de dire les choses, qui les rendaient juste drôles, légères.

Je l'observais, je sentais ce que ça me faisait, je m'étonnais, et je l'observais encore. L'envie n'arrêtait pas de grandir, de faire du moindre geste un prétexte pour se déployer, sa voix, ses yeux, ses mains, comment ses épaules étaient faites, comment il se penchait en avant, comment il tirait sur le biz et l'écartait aussitôt vivement parce qu'il s'était brûlé la lèvre en tirant sur le filtre en carton, sa façon de lever les yeux sur moi, de se taire et de se passer la main sur la nuque. Quoi qu'il fasse, ça me venait au ventre, quoi qu'il fasse je trouvais ça bien, et ça me donnait envie de le faire, encore.

Quand on a recommencé, je me suis mise à le chercher, sa langue n'avait plus rien d'un organe visqueux, je ne pensais plus à autre chose. Je n'étais plus tout à fait là, mais j'y étais justement tout entière. Sidérée que quelque chose me fasse un bien pareil.

16 H 00

Guillaume était à la maison quand je suis rentrée. La complainte intérieure qui le suppliait de rester et ne pouvait envisager les jours sans lui s'était éteinte.

Les voisins ont remis ça, elle criait:

– Mais comment t'as pu me faire ça?

Et lui, placide:

– Pareil que toi quand tu l'as fait.

Elle, en larmes:

– Je t'ai attendu toute la nuit, je veux pas que tu me fasses du mal.

Et lui, mordant:

– Je voulais pas te faire de mal, je voulais juste coucher avec elle.

Et ça ne m'a pas noué la gorge, ni fait résonner le foyer d'infection.

Tout ce qui se passait à plus de cinq centimètres de Victor était vague et inoffensif, dénué de substance. Si futile, tout le reste!

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