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1. J'ai su depuis, que c'était la Par-ell , en celtique, la haute pierre du feu, le grand autel des druides.

Nous écoutâmes avec attention. Nous étions assez habitués aux cris des loups et aux glapissements des renards pour être sûrs que c'était une autre voix, une voix humaine, peut-être. Dumont prit un bâton et ouvrit la porte doucement. Nous entendîmes alors des paroles qui n'avaient aucun sens, mais qui étaient bien des paroles dites d'une vieille voix de femme tout éperdue de colère et de peur. Nous cherchâmes à rejoindre ce fantôme qui fuyait à travers les fougères desséchées; mais il se perdit dans l'ombre et ne reparut pas.

– Voulez-vous parier, nous dit Dumont, que c'est une sorcière qui venait, à l'heure de la ci-devant messe de minuit, faire une conjuration sur la grosse pierre?

– Tu as raison, dit Émilien, les choses doivent se passer ici comme chez nous. On croit que ces pierres celtiques sont enchantées, qu'elles dansent à minuit et se déplacent pour livrer les trésors qu'elles renferment. Cette vieille venait invoquer le diable. Tu l'as mise en fureur et en fuite avec ton saint cantique. C'est bien fait, mais ne chante plus, mon petit père; il y a peut-être autour de nous d'autres sorciers esprits forts qui croiraient que tu es un prêtre déguisé et que tu dis la messe.

Le lendemain, nous trouvâmes près de notre porte une peau d'anguille contenant sept gros clous. C'est une offrande aux mauvais esprits, bien connue dans nos campagnes. La sorcière l'avait laissé tomber en entendant le noël de Dumont. Il fit de la peau d'anguille une bourse, et mit à profit les clous qui n'étaient pas une trouvaille à dédaigner. Quelques jours après, Dumont rencontra un des derniers carriers qui avaient travaillé autour de la Parelle, et qui lui avait vu louer la baraque. Il lui apprit que notre propriétaire avait trouvé de l'ouvrage à La Châtre pour le démolissage du clocher des Carmes.

– Ils étaient en retard de ce côté-là, ajouta ce carrier, on les a démolis partout; c'est de l'ouvrage pour nous quand on les rebâtira. Alors, nous retournerons casser vos grosses pierres de là-haut.

– Même la Parelle? lui demanda Dumont, qui voulait savoir à quoi s'en tenir sur les vertus de cette pierre.

– Oh! celle-là, non, répondit le carrier, elle est trop grosse, et puis elle a le diable dans le ventre. Vous avez bien vu, si vous avez pu monter dessus, ce qui n'est pas commode à un homme de votre âge (Dumont se faisait toujours plus vieux et plus cassé qu'il n'était), qu'elle est toute couverte de croix et de devises que les prêtres y ont fait tailler pour en chasser les esprits du temps passé? Eh bien, vous m'en croirez si vous voulez, mais, la nuit de Noël, toutes ces croix s'en vont et la pierre est aussi lisse que mon genou; elles ne reparaissent qu'au petit jour.

– Vous avez vu cela? dit Dumont sans marquer d'incrédulité.

– Non pas moi, dit le carrier, je n'y ai pas été voir à la mauvaise heure; mais mon père, qui n'avait crainte de rien, l'a vu comme je vous le dis.

– Alors, les sorciers ont beau jeu à la mauvaise heure?

– Depuis la République, ils n'y vont plus. La loi défend ça, parce qu'elle dit que ça fâche la Bonne Dame Raison, qui est la nouvelle Sainte Vierge. Mais, il y a encore quelques vieilles femmes qui viennent de loin, et en se cachant bien, pour chercher le trésor; elles auront beau flairer autour, allez! elles ne l'auront pas.

– Parce qu'il n'existe pas?

– Si fait! mais les esprits le gardent bien, et vous devez le savoir.

– Ma foi, non; ne voulant pas les fâcher, je n'approche jamais de la Parelle.

– Et bien vous faites! c'est une mauvaise pierre.

– Avez-vous demeuré auprès?

– Oui bien! Dans la baraque dont vous avez fait, m'a-t-on dit, une bonne maison, j'ai souventes fois dormi avec le vieux qui vous l'a louée; mais, comme je suis bon chrétien, je n'ai jamais été ennuyé par les fades. Savez-vous qu'il sera content, le père Breuillet, quand vous lui rendrez son bien si amendé? Il est capable d'y demeurer hiver comme été, puisque vous y avez mis une cheminée. Il ne s'en souciait pas, à cause du froid et des esprits qui l'ont bien molesté quelquefois; mais, si vous lui dites qu'il n'y en a point…, dame! vous serez le seul, car personne, même en plein jour, n'aime à passer par là. L'endroit est réputé très mauvais depuis le lit du ruisseau jusqu'à l'endroit appelé le bois de Bassoule, et, comme il y a l'autre ruisseau qui coule de l'autre côté, ça fait quasiment une lieue de terrain qu'on appelle l'île aux Fades.

Après avoir ainsi expliqué à Dumont la cause de la solitude dont nous jouissions, cet homme lui fit quelques questions sur son pays, sur ses deux enfants, sur le genre d'estropiaison de l'aîné. Dumont lui fit les réponses dont nous avions arrêté le programme, afin d'être d'accord ensemble en cas de recherches; mais il vit bien que nous étions en lieu sûr, car le carrier, sans aucune méfiance d'un pauvre homme comme lui, lui dit en le quittant:

– C'est un bonheur pour votre pauvre gars qu'il soit abîmé comme il est. J'en ai un qui est un homme superbe, et, depuis six mois, je le cache à la maison en le faisant passer pour malade; et le garçon s'ennuie de ne point sortir. Il était fiancé avec une fille qu'il ne peut plus aller voir. Que voulez-vous! quand ils me l'auront fait tuer ou mourir de froid et de misère, qui est-ce qui me cultivera mon bien?

– C'est juste, répondit Dumont; mais ne craignez-vous point les gendarmes?

– Quels gendarmes? il n'y en a plus.

– Mais les volontaires qui se mettent en chasse pour faire plaisir aux maires?

– Bah! bah! ils font semblant de chercher, ils n'oseraient trouver! Depuis que M. Millard de Crevant a fait couper la tête aux Bigut, on se le montre au doigt, et il craint le temps où les royalistes se revengeront . Il n'est plus si fier, il dit que tout va bien chez nous, que nous sommes tous bons patriotes, et on nous laisse tranquilles.

– Vous croyez donc que la République ne tiendra pas? En savez-vous quelques nouvelles?

– J'ai été aux forges de Crozon l'autre semaine; ils disent qu'on a fait périr la reine et beaucoup d'autres. Vous voyez bien que ça ne peut pas durer, et que les émigrés feront périr tous les jacobins.

– Eh bien, oui; mais les ennemis, qu'est-ce qu'ils feront à nous, bonnes gens, qui n'avons tué personne? ils nous ravageront comme loups dans un troupeau?

– Oh! alors, on se battra comme il faut! on défendra ce qu'on a!

Dumont eut envie de lui dire qu'il vaudrait mieux les empêcher d'arriver que de les attendre; mais il était sage de n'avoir pas d'opinion politique à mettre en circulation: il quitta le carrier et vint nous rendre compte de sa conversation avec lui.

La mort de la reine fut ce qui me frappa le plus dans la Révolution.

– Pourquoi faire mourir une femme? disais-je, quel mal peut-elle avoir fait? N'était-ce pas à elle d'obéir à son mari et de penser comme lui?

Émilien me répondait que c'est souvent le mari qui obéit à la femme.

– Quand la femme voit plus juste, disait-il, c'est un bien, et je crois que celui qui t'épousera aura raison de te consulter sur toute chose: mais on a toujours dit que la reine voulait attirer l'ennemi, ou emmener le roi. Elle lui a donc fait grand mal, et elle est peut-être la première cause des fureurs où la Révolution s'est jetée. Je déteste la facilité avec laquelle on fait tomber les têtes, et la peine de mort m'a toujours révolté; mais, puisque les hommes en sont encore là dans un siècle de philosophie et de lumières comme le nôtre, je trouve qu'une reine la mérite davantage qu'une pauvre servante que l'on met en jugement pour un mot dont elle ne sait pas la portée. La reine a bien su ce qu'elle faisait et ce qu'elle voulait. On a toujours dit qu'elle était fière et courageuse; elle a dû mourir bravement en se disant que c'est le sort des chefs de nation de jouer leur vie contre celle des peuples, et qu'elle a perdu la partie. Tu sais bien que, dans l'histoire, l'échafaud est une des prévisions qui se dressent en face du pouvoir absolu. Cela n'a jamais empêché les hommes d'y prétendre, et, en ce moment, dans aucun parti, personne ne s'arrête devant la mort.

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