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— Oh, si je sais, parce que j’en connais un autre ! Il t’a inoculé le virus, mon bon !

Adalbert ne fit aucun commentaire mais rougit comme une belle cerise, tandis que ses yeux se mettaient à briller. Ni lui ni Aldo ne maniaient le compliment facilement. Cela n’en donnait que plus de valeur à celui-là. Il toussota pour chasser l’émotion et conclut :

— Tu verras, il va te plaire !

— Là n’est pas la question. Ce serait plutôt : est-ce que, moi, je vais lui plaire ? Que tu te fasses héberger chez lui, à merveille ! Mais pour moi, c’est assez gênant de tomber chez quelqu’un qui ne me connaît ni d’Ève ni d’Adam !

— Bien sûr que si, il te connaît ! Je lui ai parlé de toi à plusieurs reprises. En outre, la maison est vaste, c’est l’homme le plus généreux de la terre… Et aussi le plus distrait. On arrive.

À la limite de la ville, la voiture venait de franchir un portail en pierre blanche où s’encastrait une splendide grille de fer forgé ouverte à double battant, à côté de laquelle un vieil Égyptien, assis sur un banc, sommeillait en maniant un chasse-mouches dont il se frappait une épaule après l’autre.

La voiture s’étant arrêtée près de lui, il ouvrit un œil cependant qu’Adalbert se dressait :

— C’est moi, Achour ! Le maître est là ?

Sans demander de plus amples explications, l’étrange cerbère sourit et fit signe de passer au moyen de son instrument puis referma ledit œil.

— C’est vraiment le gardien ? fit Aldo, suffoqué. N’importe qui peut passer ?

— Ne crois pas ça ! Si nous ne nous étions pas arrêtés, il aurait sonné ce qui ressemble à un tocsin avec une cloche dont la chaîne pend à son côté, qui aurait fait accourir avec un renfort de chiens.

— Mais tu as seulement dit : c’est moi. Et il s’en est contenté ?

— Eh oui ! Même s’il ne m’avait pas vu depuis dix ans, il me reconnaîtrait ! Regarde si c’est beau !

Couronnant un jardin en terrasses planté d’hibiscus rouges et d’une végétation luxuriante que la main du Seigneur semblait avoir semée négligemment, une belle maison arabe composée de bâtiments en arcatures supportées par des colonnettes s’ordonnait sur trois côtés d’un bassin où pleurait une fontaine. De grands palmiers ombrageaient les terrasses, d’où le nom de maison des Palmes qu’on lui donnait. L’endroit était charmant, sans la moindre lourdeur, et la vue sur le Nil magnifique.

— Tu as raison, approuva Aldo. C’est un havre de paix d’où l’on doit avoir du mal à s’éloigner…

— Pourtant, Henri n’y vit pas en permanence. Outre qu’il a retrouvé le goût des voyages, il possède une propriété à Khartoum, une villa à Monte-Carlo et une vieille bâtisse à Brive-la-Gaillarde !

— Voilà qui est inattendu !

— Pourquoi ? On est forcément né quelque part. Lui, c’est à Brive. Ah ! Voici Farid ! C’est le génie de la maison.

Un immense Égyptien en galabieh et turban blancs arrivait en effet d’un pas un rien solennel, suivi d’une demi-douzaine de serviteurs. Il n’était pas de la première jeunesse, comme l’attestait la courte barbe poivre et sel de son menton, mais sa peau brune était quasiment sans rides.

—  Salam aleikoum, Monsieur Adalbert !

—  Aleikoum salam, Rachid !

— Nous vous attendions.

— Ah bon ?

— L’hôtel a téléphoné. Puis-je me permettre de souhaiter la bienvenue à Votre Excellence ? ajouta-t-il en s’inclinant dans la direction d’Aldo qui remercia d’un sourire. Monsieur est dans son cabinet de travail. On portera vos bagages dès qu’ils seront arrivés.

— Qu’est-ce que je te disais ? triompha Adalbert, en allongeant une tape sur l’épaule de son ami. C’est un homme extraordinaire !

Aldo le crut volontiers quand, franchissant le seuil du « cabinet de travail » à la suite de Farid, après une succession de pièces au sol miroitant sous des tapis précieux et meublées avec élégance, il pénétra dans un incroyable capharnaüm. Des livres, des plans, des revues scientifiques souvent anciennes, il y en avait partout. En piles de préférence, autour d’un divan dont les rouleaux de papyrus occupaient déjà les trois quarts. On ne voyait rien, ou presque, du vaste bureau surchargé de papiers et de livres ouverts ponctués ici et là de pots de terre antiques d’où surgissaient des plumes – d’oie, à l’ancienne mode ! –, des crayons de couleur et des pinceaux. Pourtant, aucune odeur de poussière ne se dégageait de ce fatras où se remarquaient quelques beaux livres sortis d’une triple bibliothèque, débordante elle aussi.

Sur un gros pouf de cuir rouge posé à même le sol, un homme était assis. Vêtu d’une galabieh blanche mais sans turban pour cacher des cheveux blancs rejetés en arrière, il montrait un visage strié de rides qu’une énorme paire de lunettes ne parvenait pas à enlaidir parce que l’ossature en était parfaite. À l’entrée des deux hommes, il lisait à haute voix un papyrus dont le texte pouvait surprendre, d’autant plus qu’il était rédigé en hiéroglyphes :

« Je ne te laisserai pas passer

dit le verrou de la porte

si tu ne me dis pas mon nom »

« Ton nom est Aiguille de la balance

de la salle de la Vérité et de la Justice »

« Je ne te laisserai pas passer

dit le battant droit de la porte

si tu ne me dis pas mon nom »

« Ton nom est Défenseur de la Justice »

« Je ne te laisserai pas passer

dit le battant gauche de la porte

si tu ne me dis pas mon nom »

« Ton nom est Défenseur de la Justice du cœur »

« Je ne te laisserai pas passer

dit le seuil de la porte

si tu ne me dis pas mon nom »

« Ton nom est Pilastre de la terre »

« Je ne t’ouvrirai pas dit la serrure

si tu ne me dis pas mon nom »

« Ton nom est Corps enfanté par la Mère »

« Je ne te laisserai pas introduire la clef

dit le trou de la serrure

si tu ne me dit pas mon nom »

« Ton nom est : Œil du Crocodile de Sebek

Seigneur du Bakau… »

— Je ne connaissais pas ce texte, s’étonna Adalbert. D’où le sortez-vous ?

— C’est une formule magique destinée à provoquer l’ouverture d’une porte sur le chemin initiatique du défunt. Elle devrait émaner du  Livre des morts, bien que je ne l’y aie jamais vue. Je l’ai dénichée chez ce vieux voleur de Youssouf Haim. Tu la connaissais, toi ?

— Non, je m’en souviendrais, mais au fond cela ne nous apprend rien sur l’importance primordiale du nom dans l’ancienne Égypte. Quiconque n’a pas de nom n’existe pas. C’est pourquoi, à la mort d’un pharaon, son successeur, s’il n’était pas d’accord avec lui, se dépêchait de faire effacer son cartouche de tous les bâtiments…

Aldo n’en croyait pas ses oreilles et songeait sérieusement à se retirer sur la pointe des pieds, quand Henri Lassalle reprit soudain contact avec la terre :

— Adalbert ! Mon petit ! Mais quelle joie inattendue de te voir débarquer aujourd’hui ! Viens, que je t’embrasse !

Dans cette perspective, il s’était levé, ce qui permit à leur témoin muet de constater qu’il avait une grosse demi-tête en moins que le « petit », mais l’accolade fut brève. Presque aussitôt, Adalbert fut repoussé :

— Et tu ne m’as pas encore présenté ton ami, malappris que tu es ? De toute façon, il y a longtemps que je vous connais, prince. On ne peut pas parler plus de dix minutes avec ce garçon sans qu’il mentionne votre nom. Et naturellement, je ne devrais pas ignorer grand-chose de vos aventures communes, si ma mémoire ne me jouait pas des tours ! L’âge, que voulez-vous ? Mais je suis extraordinairement heureux de vous accueillir ! C’est une vraie chance que cet hôtel de malheur soit bourré !

Aldo s’était demandé un instant si l’on n’allait pas l’embrasser aussi, mais on se contenta d’une solide poignée de mains. Quant au plaisir qu’éprouvait Lassalle à le voir chez lui, il était écrit dans le chaleureux sourire qui illuminait ses yeux noisette.

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