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— Et vous la mesurez au nom ? Que je sois prince ne signifie rien : je pourrais être le dernier des crétins…

— Peut-être, mais vous n’êtes pas « que » prince. Vous êtes aussi…

Elle n’avait pas prononcé l’antienne trop connue qu’Aldo l’interrompit :

— Madame, dit-il sèchement, je suis ici en vacances et refuse catégoriquement de parler profession. Or, comme tout un chacun, vous venez d’arriver sur ce bateau et vous ignorez la position sociale de nos compagnons. Moi aussi d’ailleurs, à l’exception de l’ami avec qui je voyage. Et il se trouve qu’il est au moins aussi intéressant que moi puisqu’il est un archéologue français connu !

La Rinaldi prit alors une mine de petite fille grondée qui lui allait comme un gant à un tramway !

— Oh ! Vous êtes fâché ?

— On le serait à moins, Madame. Je me suis senti insulté pareillement aux autres.

— Mais je ne savais pas et…

— C’est ce que je vous reproche. Aussi ne vois-je aucune raison de recevoir des excuses particulières…

— Mais si, voyons ! Nous devrions même être déjà des amis. La princesse Shakiar m’avait invitée à dîner avec vous parce qu’elle aurait aimé que nous fassions connaissance. Ne sommes-nous pas compatriotes ?

— Éloignés ! Vous êtes napolitaine et moi vénitien. Le Nord et le Sud en quelque sorte. Ainsi, vous la connaissez ?

— Beaucoup ! Nous sommes de v… des amies de longue date et elle a été tellement déçue…

— À cause de ce dîner manqué ? J’en suis navré, mais l’invitation était un brin tardive. J’ai eu le regret de m’en excuser : je partais au moment où son message m’est parvenu.

— Vous ne pouvez savoir à quel point elle a déploré votre absence ! Juste quand elle avait le plus besoin de vous… de vos compétences, veux-je dire.

— Mes compétences ? Je croyais que le sujet en était épuisé depuis la veille.

— La veille, il ne s’était encore rien passé. Tandis que lorsque je suis arrivée chez elle, je l’ai trouvée bouleversée.

— Par quoi ?

— Mais le vol ! Elle vous a écrit…

— Pour m’inviter à dîner. Il n’a jamais été question de vol.

Sans trop savoir pourquoi, Aldo sentait un désagréable pressentiment s’insinuer en lui :

— Que lui a-t-on dérobé ?

En formulant la question, il savait ce qu’on allait lui répondre et ne fut qu’à peine surpris quand il entendit :

— Des perles aussi belles que vénérables ! Son plus précieux trésor…

— Plutôt celui de l’Égypte que le sien ! Les perles de Saladin, pour leur donner leur nom. Ainsi, elle a été cambriolée ?

— Dans la nuit même. C’est incroyable, non ?

— Ce qui est incroyable, c’est qu’elle n’en ait rien dit dans sa lettre ? Une très mondaine invitation, comme j’en reçois souvent, sans plus !

— Comprenez donc qu’elle voulait garder l’affaire secrète le plus longtemps possible.

— Elle n’a pas appelé la police ?

— Pour que le roi soit informé aussitôt ainsi que les journaux ? Cela aurait pu créer des troubles, puisqu’il s’agissait d’un joyau appartenant à la Couronne dont Sa Majesté avait fait un présent d’amour ! Et vous n’imaginez pas à quel point je suis heureuse que le hasard nous ait placés sur le même chemin. Dès que nous serons à Assouan…

Aldo ne voyait pas clairement où l’on voulait en venir, mais ce qui était certain, c’est que cette histoire avait une drôle d’odeur et que les deux « vieilles » amies – il avait noté qu’elle avait buté sur le mot ! – ne lui inspiraient pas plus confiance l’une que l’autre.

— Quand nous serons à Assouan, reprit-il en se levant, vous serez sans doute très prise…

— Je dois chanter à la fête que donne le gouverneur mais…

— … quant à moi, j’enverrai un mot à la princesse, lui disant combien je suis affligé de ce qui lui arrive et je crois que nos relations en resteront là.

Elle le regarda d’un air d’incrédulité peinée :

— Vous ne voulez pas l’aider à retrouver le joyau ?

— Je ne suis ni chercheur ni policier, Madame ! Si je devais voler au secours de quiconque se fait voler un bijou historique, je n’aurais plus qu’à fermer mon magasin !

— Ne me dites pas que vous ne pouvez lui consacrer un peu de votre temps ? Qu’allez-vous faire à Assouan ?

Cette fois, c’était de l’indiscrétion pure, ce qu’Aldo détestait. Que cette femme possédât une voix céleste, il l’admettait, mais cela ne l’excusait pas d’être insupportable. Il fallait en finir :

— Si j’étais mal élevé, Madame, je vous répondrais que cela ne vous regarde pas…

— Oh ! ! !

— Mais comme je pense être un homme courtois, je dirai que, n’ayant jamais visité l’Égypte, je m’accorde le loisir de combler cette lacune en compagnie d’un ami qui est maître en la matière ! Un touriste, si vous voulez, mais un touriste offensé. Ce qui nous ramène au début de cette conversation : les excuses que vous devriez présenter à ceux que vous venez de traiter d’une manière inqualifiable !

— Des excuses ? Certainement pas !

— Acceptez au moins de chanter pour eux un soir ? Je me charge des excuses !

— Et quoi, encore ?

— Alors bonsoir, Madame !

Il s’inclina et sortit avant qu’elle n’ait eu le temps de réagir. Sur le pont supérieur, il rejoignit Adalbert, étendu plus qu’assis dans l’un des « transatlantiques », la tête renversée pour mieux admirer les étoiles vers lesquelles il envoyait régulièrement la fumée de son cigare :

— Que te voulait la prima donna ? Te mettre le grappin dessus ?

— En quelque sorte mais pas comme tu l’entends ! Figure-toi que c’est une grande amie de la princesse Shakiar, que nous aurions dû dîner ensemble chez elle au lendemain de ma visite… et juste après que l’on eut subtilisé dans la nuit les perles de Saladin !

— Quoi ?

— Ne me fais pas répéter ! Tu as parfaitement compris ! J’ajoute que la dame se rend à Assouan donner un concert chez le gouverneur ! Et maintenant, dis-moi ce que tu en penses ?

Adalbert émis un léger sifflement et réfléchit un instant avant de répondre :

— Que je n’aime pas ça et que tu n’aurais jamais dû mettre les pieds sur le territoire de ta princesse. D’ici à ce qu’on te mette le larcin sur le dos…

— Ce serait un peu gros !

— Ici, rien n’est trop gros ! Regarde les Pyramides ! Au fait, qu’est-ce qu’elle te racontait dans la lettre que je t’ai apportée du Caire ?

— Rien de passionnant… Qu’elle voulait me revoir dès mon retour parce qu’elle avait trouvé un moyen de nous mettre d’accord. Je t’avoue que, n’ayant nulle envie d’y retourner, je n’ai pas fait tellement attention…

— Eh bien, tu as peut-être eu tort. Cette affaire de vol donne un curieux éclairage à vos relations. Dans l’immédiat, elle est loin et on a d’autres urgences en vue…

— Quoi ?

— Aller dormir, par exemple.

Non seulement la Rinaldi ne montra aucun signe de repentir les rares fois où elle daigna se montrer, mais on eût dit qu’elle prenait un malin plaisir à empoisonner le joli voyage fluvial… On ne la voyait pas, cependant on l’entendait. Et pas dans ses meilleures prestations : elle ne chantait pas, elle vocalisait à longueur de journée en égrenant inlassablement des gammes à n’importe quelle heure. De préférence pendant la sieste, les repas et l’heure magique entre toutes du coucher du soleil où chacun des passagers eût apprécié de boire un verre sur le pont-terrasse en contemplant l’astre-dieu se fondre dans une fabuleuse débauche de nuances allant de l’or clair au pourpre profond, déclinant doucement vers les teintes d’améthyste et le velours sombre de la nuit. Après, on avait enfin la paix, la cantatrice redoutant pour ses cordes vocales la brume montant du fleuve avec le soir.

— Heureusement que la croisière ne dure que trois jours ! soupira Adalbert le second soir, alors que tous les passagers étaient au bord de l’exaspération. Et dire que l’on ne peut rien faire !

Ce ne fut pas faute d’essayer. Aldo, ayant eu l’insigne honneur d’être invité à lui rendre visite, tenta de l’amener poliment à la raison. On ne le reçut même pas. On se contenta de lui crier : « Vous m’avez demandé de chanter, je chante ! » Le joyeux commandant Fatah se lança lui aussi courageusement à l’assaut de la porte si hermétiquement close. Ce fut en vain : il s’entendit signifier l’ordre de laisser travailler en paix une artiste qui était l’invitée personnelle du roi Fouad !

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