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— Le drame ? Narre-moi cela ! fit Adalbert négligemment.

À sa manière précise et sans mots inutiles, Aldo restitua l’assassinat d’El-Kouari, comment il avait tenté de le secourir, le sachet de daim noir récupéré dans sa chaussette. Tout en parlant, il observait son ami dont l’attention visiblement flottante – Salima oblige ! – commençait à se fixer. Pour s’en assurer, il suspendit son récit au moment où il allait recueillir les dernières paroles du mourant. Aussitôt Adalbert réagit :

— Alors, qu’est-ce qu’il t’a dit ?

— Ce n’était pas facile à comprendre parce qu’il n’avait plus qu’un souffle et j’avoue que j’ai cru un instant qu’il délirait, mais quand il a mentionné Assouan… et aussi une Reine Inconnue… Qu’est-ce qu’il te prend ?

Adalbert s’était dressé tel un diable de sa boîte et son regard avait doublé de volume sous le choc de l’émotion :

— Répète un peu ce que tu viens de dire !

— Assouan… une Reine Inconnue ? Après j’ai découvert que l’Anneau pouvait être atlante. Cela rappelait tellement le bouquin de Pierre Benoit que j’ai…

— Rien du tout ! Tu n’as pas idée de ce que représentent ces trois mots. Il a ajouté autre chose ?

— Deux autres mots : Sanctuaire et Ibrahim…

— Et qu’est-ce qu’il y avait dans le sachet ?

— Un Anneau d’orichalque – d’après Guy Buteau ! – incrusté de figures géométriques en turquoises.

Cette fois, Adalbert était bouleversé :

— Nom de Dieu ! Et qu’en as-tu fait ?

— Je l’ai gardé, évidemment, puisque ce malheureux me l’avait donné.

— Et où est-il ?

— Dans l’une de mes chaussettes. J’emploie le même système que ce pauvre type… Mais qu’as-tu ? Tu deviens fou, ma parole !

Adalbert, en effet, se penchait et l’empoignait aux deux bras pour l’obliger à se lever :

— Allez, rapplique ! Tu vas me montrer ça là-haut et dare-dare !

Il semblait en proie à un délire sacré qui décuplait ses forces au point qu’Aldo avait l’impression de ne plus rien peser entre ses mains.

Le grand hall fut traversé à la vitesse de l’éclair, l’ascenseur pris d’assaut et, quelques secondes plus tard, Aldo se retrouvait assis sur le lit d’Adalbert en train de se déchausser sous son œil devenu flamboyant…

— Tiens ! souffla-t-il, après quoi il se mit à la recherche de la flasque de cognac qu’Adalbert conservait auprès de lui en manière de précaution et s’en adjugea une rasade, tandis que l’égyptologue installé dans son fauteuil faisait miroiter la bague au soleil.

Sire Galaad tombant sur le Saint Graal devait avoir cette mine-là !

— Incroyable ! Miraculeux ! Et que ce soit toi qui l’aies, c’est vraiment fabuleux ! Le proverbe a raison qui dit qu’aux innocents…

— Et pourquoi pas aux demeurés ? gronda Aldo qui commençait à en avoir assez.

D’un geste vif, il récupéra l’Anneau, le glissa dans sa poche et se rassit :

— Je serais heureux si tu me faisais partager ton enthousiasme ! fit-il sèchement. Puisque tu sembles le savoir, explique-moi ce qu’est au juste cet Anneau ?

— La plus fantastique protection que puisse posséder un chercheur de trésors, celle qui permet de violer impunément n’importe quel sanctuaire. Celui qui a protégé Howard Carter quand il a ouvert la tombe de Tout-Ank-Amon. Il est le seul resté vivant après son incroyable découverte !

— On n’a pas un brin exagéré là-dessus ? Les journalistes… toi-même, il y a quelques années…

— Lord Carnarvon, le bailleur de fonds qui était tombé en syncope dans la tombe, n’a été ramené au Continental que pour y mourir. Sa sœur lady Burghclere – elle l’a même écrit dans ses mémoires – et son fils, lord Porchester, ont témoigné que ses dernières paroles avant le silence éternel ont été : « J’ai entendu l’appel de Tout-Ank-Amon, je vais le suivre… » Tu en veux d’autres ? Le Canadien Lafleur venu aider Carter a succombé quelques semaines après Carnarvon, l’Anglais Arthur Mace qui a abattu le mur de la chambre mortuaire y est passé aussi. L’Américain George Jay Gould, vieil ami de Carnarvon venu lui rendre un dernier hommage, prie Carter de lui faire visiter la tombe et, saisi d’une fièvre violente, meurt le lendemain. Le Dr White, en proie à des malaises chaque fois qu’il pénétrait dans la chambre du pharaon, fait une dépression nerveuse et se pend. Je peux citer Alfred Lucas et Douglas Derty. Tu en veux encore ?

— Non, c’est suffisant ! Mais enfin, d’autres archéologues ont ouvert des tombeaux et n’en sont pas morts ? Alors ?

— Il y aurait pas mal à dire sur le décès de certains d’entre eux. Il faut croire, cependant, que la sépulture de ce gamin couronné a été particulièrement « chargée » par les prêtres d’Amon. Il était revenu à leur culte après les délires inspirés de son prédécesseur et beau-père Akhenaton qui honorait un dieu unique. On lui devait bien ça !

— Revenons à Howard Carter ! Comment as-tu su qu’il possédait cette espèce de bouclier ? Il ne devait pas le chanter sur les toits ? Le monde le saurait ! Et il n’a pas dû te faire de confidences : un Français et un Anglais sont rarement bons amis ?

— Je ne l’ai même jamais vu. Je dois ce précieux renseignement à Théobald…

— Ton factotum ?

— Eh oui ! Quand nous sommes à Londres où je conserve mon petit appartement de Chelsea – je devrais dire « notre » puisque tu me fais la grâce de venir le partager de temps en temps et qu’on y a déjà fait pas mal de choses –, il faut bien que Théobald se distraie. Et l’affaire Tout-Ank-Amon l’ayant tourneboulé presque autant que moi, il s’est arrangé pour lier connaissance avec le valet d’Howard Carter, son homme de confiance, qui est l’équivalent de Théobald avec moi. C’est lui qui le lui a raconté un soir où il se sentait enclin aux confidences…

— Qu’est-ce que Théobald lui avait fait boire ?

— Mon meilleur bordeaux ! Un château-pétrus à tomber par terre.

— Rien que ça ? Tu ne lui as pas tanné la peau du dos ?

— Non. Ça en valait la peine ! Carter avait trouvé l’Anneau quelques années auparavant dans la tombe d’un Grand Prêtre nommé Jua, aux environs d’Assouan. La momie le portait au doigt et, dans sa main, pris dans les bandelettes, se cachait un petit rouleau de papyrus disant que le porteur de l’Anneau d’Atlantide aborderait sans crainte les demeures sacrées des dieux – et tu sais qu’un pharaon accédait automatiquement à la divinité. La carrière de Carter n’a fait que croître et embellir jusqu’au bouquet final : l’explosion Tout-Ank-Amon. Depuis, je rêve de m’approprier l’Anneau sans jamais trouver la faille par laquelle je pourrais glisser mes doigts agiles. Il faut croire que ton bonhomme assassiné a été plus malin… ou plus heureux que moi !

— Heureux ? Le mot me paraît mal choisi… mais la Reine Inconnue, quel rôle joue-t-elle dans cette histoire ?

— Légende ou réalité, on chuchote depuis longtemps qu’au moment du cataclysme qui a englouti l’Atlantide, régnait sur ce qui n’était qu’une colonie de terre ferme une femme d’une extraordinaire beauté, d’une vaste intelligence, douée comme la Cassandre troyenne de la faculté de prédire l’avenir. Ainsi avertie du désastre qui surviendrait et qui saperait son pouvoir – il faut mentionner qu’elle ne manquait pas d’ennemis –, elle avait secrètement fait creuser dans la montagne sa « demeure d’éternité » où elle avait accumulé ses trésors les plus précieux et, une nuit, elle s’y est enfermée avec ses proches et a fait s’écrouler sur eux un pan entier de montagne. Lui ont succédé les pharaons noirs, puis tous ceux que nous avons pu découvrir grâce à ce bon Champollion.

— Et elle n’a rien laissé derrière elle ? Pas même son nom ?

— Rien qu’une légende dont pratiquement tous les archéologues ont entendu parler un jour ou l’autre parce qu’elle a la vie dure. La tombe de la Reine Inconnue, c’est, dans le pays, quelque chose comme l’Eldorado. Un Eldorado inquiétant tout de même : celui qui réussirait à la trouver serait frappé des pires malédictions. Cependant on en rêve, sans en avoir jamais découvert aucune trace… Jusqu’à ce jour ! Redonne-moi l’Anneau, s’il te plaît.

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