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— D’accord ! Mais ne traîne pas trop longtemps : je n’ai pas non plus l’intention de rester six mois…

— De toute façon, il y a le téléphone ! Tu peux toujours m’appeler au Shepheard’s !

— Je sais ! consentit Aldo du ton exagérément patient du monsieur excédé. Va faire ton somme…

— Dans ce cas, ce n’est pas la peine : je dormirai dans le train et si tu veux, avant, je vais te montrer le grand temple d’Amon à Karnak !

Comment refuser ? Il était dégoulinant de bonne volonté tant il était heureux d’aller rejoindre sa belle… Il fallait seulement espérer que leurs relations ne tourneraient pas au drame, comme cela avait été le cas avec Alice Astor, l’Américaine qui se prenait pour une princesse égyptienne (3).

Il fallait tout de même lui reconnaître un goût très sûr. Ses coups de cœur ne s’adressaient jamais à des laiderons. Ça se terminait mal la plupart du temps mais, l’orage passé, Adalbert se retrouvait bien installé dans sa peau de célibataire riche, heureux de vivre et sans regrets ni remords. Évidemment, Aldo ne savait pas tout de sa vie puisque leur solide amitié remontait à une douzaine d’années, mais, des deux aventures sentimentales sérieuses dont il avait pu être le témoin, la première avait eu pour objet une voleuse internationale qui avait failli les envoyer chez leurs ancêtres tous les deux et la seconde une milliardaire américaine qui s’était crue victime d’un vol et avait expédié le pauvre Adalbert en prison. Celle dont il s’agissait maintenant se présentait mal puisqu’il était question de trahison, mais qui pouvait dire comment l’aventure finirait ? Que la belle eût des yeux transparents ne signifiait pas qu’un abîme de rouerie ne s’y cachât pas…

On alla donc arpenter le gigantesque Karnak, quelque cent hectares de ruines somptueuses où la grandeur des pharaons et la puissance d’Amon Râ se lisaient à livre ouvert. Surtout en ayant Adalbert pour guide. Aldo, ébloui, put mesurer la profondeur de sa science et son étonnante puissance d’évocation. Sous sa parole, tout reprenait vie. Il était dans son élément et s’y mouvait avec une aisance d’où la poésie n’était pas absente. Aussi, comme Adalbert s’étonnait qu’il n’ait pas soufflé mot depuis une heure :

— Tu t’ennuies ?

Il répondit, sincère :

— Oh, que non ! Au contraire ! Je ne te cache pas que tu me stupéfies ! Et je ne veux plus rien visiter de ce pays sans toi. Je regrette seulement que Lisa, Tante Amélie et Plan-Crépin ne soient pas avec nous.

Le narrateur rougit comme une belle cerise et se détourna en toussotant :

— Ça fait toujours plaisir à entendre ! commenta-t-il sobrement.

Le soir venu, on dîna rapidement puis Aldo accompagna son ami à la gare, inquiet sans trop savoir pourquoi :

— Téléphone-moi demain matin ! s’entendit-il demander. Ne serait-ce que pour dire si tu as fait bon voyage !

— Entendu !

Mais la journée du lendemain ne produisit pas le moindre coup de fil et la sourde inquiétude grandit sans qu’Aldo parvienne à la raisonner en se disant que, ayant retrouvé la précieuse Salima, Adalbert l’avait complètement oublié. Il n’en passa pas moins tout ce temps dans sa chambre ou dans le jardin avec, pour seul intermède, un verre pris au bar en compagnie du colonel Sargent qu’il aurait aimé connaître davantage parce qu’il se révélait vraiment sympathique… et parlait de l’armée des Indes en déployant autant de lyrisme qu’Adalbert envers ses temples, mais le couple s’embarquait en fin d’après-midi pour Assouan et, le soir venu, Aldo se retrouva désespérément solitaire en face du barman, qui lui apporta un soulagement inattendu.

Comme il lui demandait de faire appeler le Shepheard’s par téléphone, celui-ci lui répondit qu’il y avait des problèmes sur la ligne et que Le Caire était inaccessible depuis le début de la matinée :

— Cela arrive quelquefois, lui dit cet homme en manière de consolation. Nous faisons notre maximum pour maintenir l’ordre, mais il peut y avoir des incidents…

Il ne comprit pas pourquoi ce client élégant avait tout à coup l’air si content et lui laissait un pourboire royal, se demandant même si une altesse italienne – donc appartenant à un pays sur lequel régnait un type impossible – ne pouvait avoir de lien avec un clan rebelle quelconque… Et il se promit de le surveiller.

Aldo, lui, passa une soirée détendue à fumer dans le jardin en écoutant l’orchestre de l’hôtel jouer des valses anglaises, regagna sa chambre et dormit sans problèmes. En se réveillant, il allait s’inquiéter du sort du téléphone quand, par la fenêtre ouverte, la voix d’Adalbert commandant son breakfast lui parvint et le précipita à son balcon. Aucun doute ! C’était lui ! À demi caché par les grandes ramures vertes d’un palmier mais parfaitement reconnaissable. Cinq minutes plus tard, il le rejoignait :

— Tu es déjà rentré ?

— Comme tu vois !

Le ton était morne et, sous les lunettes noires, la figure ne rayonnait pas de bonheur. Aldo s’assit de l’autre côté de la table en rotin sur laquelle un serviteur venait de déposer un plateau que l’archéologue contempla avec une sorte d’aversion et sans y toucher :

— Qu’est-il arrivé ? Tu n’as pas faim ?

— Non. Je ne sais pas pourquoi j’ai commandé ça !

— Parce que ta nature profonde te souffle que tu en as besoin. Bois au moins un peu de café ! conseilla-t-il en versant une tasse généreuse, puis il s’empara d’un toast et entreprit de le beurrer, ce qui lui évitait de regarder son ami.

— Vous vous êtes disputés ? hasarda-t-il.

— Ce serait difficile : elle s’est volatilisée !

— Comment ça, volatilisée ?

— Quand l’appartement de quelqu’un est bouclé et qu’on a rendu les clefs sans dire où faire suivre le courrier, je ne vois pas d’autre mot !

Machinalement, Adalbert prit la tartine enduite de marmelade et avala son café. Aldo respira plus librement :

— Ce n’est pas à moi de te demander si tu es allé au musée ?

— On ne l’y a pas vue depuis le jour où tu l’as rencontrée et, d’ailleurs, je me suis aperçu qu’on n’y savait pas grand-chose sur elle et moins encore sur sa famille. Personne n’a pu me donner la moindre trace. On dirait qu’elle s’est dissoute dans l’air comme le djinn des contes arabes !

Un ange passa pendant qu’Adalbert se versait une seconde tasse de café et s’occupait personnellement de se sustenter.

— C’est bizarre quand même, souffla Aldo. Il doit bien y avoir quelqu’un qui la connaisse dans ce pays ? Toi, par exemple, à l’époque où vous travailliez ensemble ? Elle ne t’a jamais rien dit ?

— C’était évasif, elle n’aimait pas parler d’elle. Orpheline élevée par son grand-père, c’est tout ce que j’ai pu savoir… Tiens, pendant que j’y pense, on m’a donné ça pour toi à l’hôtel.

Il sortit de sa veste une élégante enveloppe bleutée qu’Aldo identifia sans peine. Shakiar décidément le poursuivait. Il décacheta et lut rapidement les quelques lignes. La princesse était désolée qu’il eût manqué la soirée prévue en son honneur et comptait le revoir prochainement. Elle ajoutait qu’elle pensait avoir trouvé une solution susceptible de les satisfaire l’un et l’autre. La lettre lue, Aldo haussa les épaules et la fourra dans une de ses poches.

— N’importe quoi ! commenta-t-il et, comme Adalbert l’interrogeait du regard, il lui raconta son entrevue avec la princesse. Les perles de Saladin ! Tu t’imagines ? Un coup à me faire coincer à la première frontière et boucler en prison à vie ! Mais parlons plutôt de toi : que comptes-tu faire maintenant ?

— Que veux-tu que je fasse ? Ma trouvaille est réduite à néant et Salima s’est dissoute dans la nature. On va aller faire un tour et je te montrerai mon Égypte à moi, puis on prendra le chemin du retour ! Jusqu’à l’année prochaine, si Dieu le veut !

— En attendant, tu pourrais peut-être m’aider à débrouiller une histoire bizarre – et sanglante ! – dont j’ai été le témoin il y a environ un mois. Et je ne parviens pas à m’ôter de l’idée que l’invitation de Shakiar n’y est pas étrangère. Elle est arrivée si peu de temps après le drame…

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