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Sa nuit avec Pauline, il lui fallait à présent la remiser au plus obscur de sa mémoire. Elle avait été trop merveilleuse – comme l’avaient été celle du Ritz et l’aurore de Newport ! – pour l’effacer mais il était impératif qu’il n’y en eût jamais de quatrième ! Pour cela, éviter Pauline ! Ce ne serait peut-être pas toujours facile mais sa paix intérieure à lui, a fortiori celle de Lisa, était à ce prix. Il découvrait d’ailleurs, non sans surprise, qu’il n’avait jamais autant aimé sa femme.

— Tu aurais pu y penser plus tôt, émit la voix intérieure qui se manifestait parfois et qu’en général il n’écoutait pas.

Cette fois, il accepta le dialogue :

— Facile à dire maintenant que le mal est fait ! Que voulais-tu que je fasse quand Pauline m’est apparue rayonnante dans le cadre de la porte ? Que je la renvoie à l’intérieur en tirant le verrou par-dessus le marché ?

— J’en admets la difficulté ! D’autant plus que, depuis que tu la savais à Paris, tu mourais d’envie de la reprendre !

— Là ! Tu vois bien…

— Tu aurais pu au moins t’abstenir de lui raconter que tu l’aimais !

— Mais je l’aimais… à cet instant-là !

— Et plus après ? Est-ce que tu te rends compte de ce que tu as fait avec ces deux petits mots que tu n’avais jamais murmurés à son oreille. Elle les a reçus dans son cœur et les a emportés avec elle comme un trésor, et elle est prête à tout balayer pour toi !

— Faut rien exagérer !

— Je n’exagère rien et tu le sais. Que t’a-t-elle confié après le dernier baiser ?

— Heu… qu’elle m’aimait !

— Et quoi ensuite ?

— À plus tard… à toujours !

— Que tu le veuilles ou non, tu es bel et bien, pour elle, son amant ! Ce qui signifie…

— Ça suffit ! Il n’est pas question que je recommence ! C’est trop compliqué de vivre un remords ! Et tu vas me répondre, moins que des regrets ! Mais je saurai me vaincre ! Et toi je t’ai assez entendu !

Ainsi conforté dans ses résolutions, Aldo descendit dans le hall, régla sa facture, demanda un taxi et se fit conduire à la gare. Il avait un train à 14 h 15 et il aurait pu déjeuner au Continental mais, de même qu’il avait évité le bar, de même il renonça au restaurant par crainte d’y rencontrer une ou plusieurs têtes connues. Il n’avait pas envie d’inventer encore Dieu sait quel mensonge ! Il se contenta donc, au buffet de la gare, d’un plat de lasagnes arrosé de valpolicella et d’un café. Après quoi il acheta un journal et s’en alla prendre le train qui, après quelques arrêts, le ramena à Venise… Il était 7 heures du soir et, par extraordinaire, aucun duo de « Chemises noires » n’arpentait les quais.

Plein de révérence pour cette notabilité de la ville, le chef de gare envoya récupérer les bagages à la consigne et arrêter un motoscaffo où il les fit déposer. Morosini n’ayant pas informé qu’il rentrait plus tôt que prévu, il était normal qu’aucune des embarcations du palais, pilotée par Zian, ne fût venue l’attendre. Et ce fut l’âme sereine, sûr d’être accueilli par des sourires, qu’Aldo réintégra ses pénates…

Pour y rencontrer la stupeur la plus totale en la personne de Guy Buteau qui traversait le vestibule, des papiers à la main, au moment où il y prenait pied.

— Aldo ? Mais d’où sortez-vous ?

— Du train évidemment ! D’où voulez-vous que ce soit ?

— Du quel ? Pas du Simplon-Orient-Express en tout cas ! Il n’y en a pas aujourd’hui ! Et hier vous n’étiez pas à l’arrivée !

— Qui vous a prévenu que j’y étais ?

— Mlle du Plan-Crépin nous a appris que vous veniez de partir quand nous avons téléphoné ! Mais ne restez pas dans ces courants d’air ! Il fait un froid de loup ici ! Venez dans votre bureau ! Ah ! Zaccharia ! Apportez vite une tasse de café bien chaud à votre maître !

— Alléluia ! On l’a retrouvé ! Merci, mon Dieu ! On se faisait un sang !…

— Mais enfin je ne vois pas pourquoi ?… Et, en passant : je préfère une fine à l’eau à votre café !

Comme tous ceux qui se sentent en faute, il se fâchait presque, pénétra en trombe dans son cabinet de travail où il fit sursauter Angelo Pisani, son secrétaire occupé à ranger des livres dans la bibliothèque.

— Don Aldo ? On vous a donc retrouvé ?

— Mais, sacrebleu, qu’est-ce que vous avez tous ? Et d’abord où êtes-vous allés pêcher que j’étais perdu… et que j’avais pris le Simplon ?

Il alla se jeter dans son fauteuil sur lequel il entreprit de mettre du désordre. En ronchonnant et en vouant Plan-Crépin aux tourments de l’enfer.

— Et où est Lisa ? clama-t-il en une sorte de point d’orgue.

Guy Buteau connaissait trop parfaitement son ancien élève pour être dupe de cette crise d’humeur. Il se mit à rire et servit lui-même le verre d’alcool.

— Et si vous vous calmiez, on pourrait peut-être s’expliquer ?

— D’accord ! Expliquez ! Moi qui voulais vous faire une surprise !…

— Eh bien, la surprise est faite ! fit Guy sur le mode lénifiant. Et maintenant j’explique : avant-hier, Lisa a reçu un télégramme du maître d’hôtel de son père. M. Kledermann a eu un accident et a été transporté en clinique. Elle a naturellement pris le téléphone pour annoncer qu’elle arriverait par le premier train et, ensuite, elle a appelé chez Mme de Sommières afin que l’on vous avertisse. Il était déjà tard et c’est alors que Mlle Marie-Angéline lui a appris que vous étiez parti pour Venise et il est logique qu’elle nous ait demandé de vous avertir afin que vous l’appeliez dès votre retour… hier soir !

— Miséricorde ! gémit Aldo, calmé mais vaguement inquiet. Qu’est-ce que je vais pouvoir lui raconter ?

— Mais… la vérité ! Elle ne doit pas être si terrible ? Ou alors vous avez été vous aussi victime d’un accident ? Grâce à Dieu, cela ne se voit pas. Vous avez l’air en pleine forme !

— Et pourtant ça en approche ! Hier matin, je ne me suis pas senti bien. Je n’avais pas dormi une minute dans ce fichu train et la nuit précédente pas davantage non plus à cause… oh, autant vous le dire tout de suite, j’ai eu des mots avec Vidal-Pellicorne et nous sommes brouillés.

— Allons bon ! commenta Guy avec un demi-sourire. On a l’habitude ! Ça s’arrangera…

— J’en suis moins sûr que vous ! Toujours est-il qu’après le tunnel je me suis senti comme une faiblesse. J’ai failli descendre à Stresa mais j’ai voulu tenir le coup et ça ne s’arrangeait pas. Comme vous ne m’attendiez pas, je n’ai pas eu le courage de me montrer à vous vert comme un concombre et avec des nausées. Je suis donc descendu à Milan en indiquant au chauffeur de faire mettre mes bagages à la consigne de Venise et d’en donner la clef à Bronzini, le chef de gare. Je suis descendu au Continental après une visite chez un pharmacien, j’ai passé une bonne nuit… et me voilà ! Rien de dramatique, comme vous voyez !…

Il éprouvait une sorte de bonheur à ne proférer aucun mensonge. Rien de plus roboratif, quand on se sent en faute, que la vérité ! Même un brin édulcorée. Mais maintenant :

— Occupons-nous de mon beau-père ! Voulez-vous joindre Zurich pendant que je me rafraîchis un peu, mon cher Guy ? Elle vous a donné le numéro de la clinique ?

— Non. Elle a dit d’appeler la résidence.

— Alors faites-le ! Les enfants sont à la maison, je suppose… bien qu’aucun vacarme ne signale leur présence !

— Non. Lisa les a emmenés ainsi que Trudi et Mademoiselle !

— Tout ce cirque auprès d’un grand malade ?

— Justement ! fit Guy avec dans la voix un rien de sévérité. Il faut comprendre : elle souhaitait qu’il puisse les embrasser une dernière fois… au cas où ! Vous savez comment elle est !

— Oui, murmura Aldo, assombri. Quelqu’un de très bien ! Appelez-la vite, mon cher Guy ! Ensuite nous verrons ce qu’il y a comme train pour Zurich !

— Ce soir ? Vous arriverez après minuit. Est-ce bien raisonnable ? Lisa doit elle aussi avoir besoin de dormir !

— Appelez toujours ! Comme il doit y avoir une attente…

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