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Mais M. l'abbé Jubal était pénétré de l'utilité de Coquempot, et, comme il ne pouvait entrer dans mes raisons, il me donna un mauvais point. L'année scolaire s'acheva sans incident notable. Fontanet se mit à élever des chenilles dans son pupitre. Alors j'en élevai aussi par amour-propre, bien qu'elles me fissent horreur. Fontanet haïssait Coquempot, cette haine nous réunit. Au seul nom de Coquempot, nous échangions sur nos bancs des regards d'intelligence et des grimaces expressives. Cela nous vengeait. Fontanet me confia que, si l'on faisait encore du Coquempot en huitième, il s'engageait comme mousse sur un grand navire. Cette résolution me plut et je promis à Fontanet de m'engager avec lui. Nous nous jurâmes amitié.

Le jour de la distribution des prix, nous étions méconnaissables, Fontanet et moi. Cela tenait, sans doute, à ce que nous étions peignés. Nos vestes neuves, nos pantalons blancs, la tente de coutil, l'affluence des parents, l'estrade ornée de drapeaux, tout cela m'inspirait l'émotion des grands spectacles. Les livres et les couronnes formaient un amas éclatant dans lequel je cherchais anxieusement à deviner ma part, et je frissonnais sur mon banc.

Mais Fontanet, plus sage, n'interrogeait pas la destinée. Il gardait un calme admirable, tournant dans tous les sens sa petite tête de furet, il remarquait les nez difformes des pères et les chapeaux ridicules des mères, avec une présence d'esprit dont j'étais incapable.

La musique éclata. Le directeur, ayant sur sa soutane le petit manteau de cérémonie, parut sur l'estrade au côté d'un général en grand uniforme et à la tête des professeurs.

Je les reconnus tous. Ils prirent place, selon leur rang, derrière le général: d'abord le sous-directeur, puis les professeurs des hautes classes; puis M. Schuwer, professeur de solfège; M. Trouillon, professeur d'écriture, et le sergent Morin, professeur de gymnastique. M. l'abbé Jubal parut le dernier et s'assit tout au fond sur un pauvre petit tabouret qui, faute de place, ne posait que de trois pieds sur l'estrade et crevait la toile avec le quatrième. Encore M. l'abbé Jubal ne put il garder longtemps cette humble place. Des nouveaux venus le refoulèrent dans un coin où il disparut sous un drapeau. On mit une table sur lui et ce fut tout. Fontanet s'amusa beaucoup de cette suppression.

Pour moi, j'étais confondu qu'on laissât ainsi dans un coin, comme une canne ou un parapluie, une personne qui excellait dans les fleurs et la poésie et représentait Dieu sur la terre.

VIII LA CASQUETTE DE FONTANET

Chaque samedi, on nous menait à la confesse. Si quelqu'un peut me dire pourquoi, il me fera plaisir. Cette pratique m'inspirait beaucoup de respect et d'ennui. Je ne crois pas que M. l'aumônier prît un véritable intérêt à entendre mes péchés; mais il m'était certainement désagréable de les lui dire. La première difficulté était de les trouver. Vous me croirez peut-être si je vous déclare qu'à dix ans je ne possédais pas les qualités psychiques et les méthodes d'analyse qui m'eussent permis d'explorer rationnellement ma conscience interne.

Pourtant, il fallait avoir des péchés; car, point de péchés, point de confession. On m'avait donné, il est vrai, un petit livre qui les contenait tous. Je n'avais qu'à choisir. Mais le choix même était difficile. Il y en avait là tant et de si obscurs sur le larcin, la simonie, la prévarication, la fornication et la concupiscence! Je trouvais dans ce petit livre:

«Je m'accuse d'avoir désespéré. – Je m'accuse d'avoir entendu de mauvaises conversations.» Cela encore ne laissait pas de m'embarrasser beaucoup.

C'est pourquoi je m'en tenais d'ordinaire au chapitre des distractions. Distractions à l'office, distractions pendant les repas, distractions dans «les assemblées», j'avouais tout, et le vide déplorable de ma conscience m'inspirait une grande honte.

J'étais humilié de n'avoir pas de péchés.

Un jour, enfin, je songeai à la casquette de Fontanet; je tenais mon péché; j'étais sauvé!

À compter de ce jour, je me déchargeai chaque samedi, aux pieds de M. l'aumônier, du poids de la casquette de Fontanet.

Par la façon dont j'endommageais en elle le bien du prochain, cette casquette m'inspirait, chaque samedi, pendant quelques minutes, de vives inquiétudes sur le salut de mon âme. Je la remplissais de sable; je la jetais dans les arbres, d'où il fallait l'abattre à coups de pierres comme un fruit avant sa maturité; j'en faisais un chiffon pour effacer les figures à la craie sur le tableau noir; je la jetais par un soupirail dans des caves inaccessibles, et, lorsque au sortir de la classe l'ingénieux Fontanet parvenait à la retrouver, ce n'était plus qu'un lambeau sordide.

Mais une fée veillait sur sa destinée, car elle reparaissait le lendemain matin sur la tête de Fontanet avec l'aspect imprévu d'une casquette propre, honnête, presque élégante. Et cela tous les jours. Cette fée était la sœur aînée de Fontanet. À ce seul trait, on peut l'estimer bonne ménagère.

Plus d'une fois, tandis que je m'agenouillais au pied du sacré tribunal, la casquette de Fontanet plongeait, de mon fait, au fond du bassin de la cour d'honneur. Il y avait alors dans ma situation quelque chose de délicat.

Et quel sentiment m'animait contre cette casquette? La vengeance.

Fontanet me persécutait, à cause d'une gibecière de forme antique et bizarre que mon oncle, homme économe, m'avait donnée pour mon malheur. Elle était beaucoup trop grande pour moi et j'étais beaucoup trop petit pour elle. De plus, cette gibecière ne ressemblait pas à une gibecière, par la raison que ce n'en était pas une. C'était un vieux portefeuille, qui se tirait comme un accordéon et auquel le cordonnier de mon oncle avait mis une courroie.

Ce portefeuille m'était odieux, non sans raison. Mais je ne crois pas aujourd'hui qu'il fût assez laid pour mériter les indignités qu'on lui fit. Il était de maroquin rouge à large dentelle d'or, et portait au-dessus d'une serrure de cuivre une couronne et des armoiries lacérées. Une soie passée, qui avait été bleue, le tapissait intérieurement. S'il existait encore, avec quelle attention je l'examinerais! Car, à me rappeler la couronne, qui devait être une couronne royale, et l'écu, sur lequel on voyait encore (à moins que je ne l'aie rêvé) trois fleurs de lys mal effacées à coups de canif, je soupçonne aujourd'hui ce portefeuille d'avoir été, à l'origine, le portefeuille d'un ministre de Louis XVI.

Mais Fontanet, qui ne le considérait point dans son passé, ne pouvait me le voir au dos sans y jeter des boules de neige ou des marrons d'Inde, selon la saison, et des balles élastiques toute l'année.

Dans le fait, mes camarades, et Fontanet lui-même, n'avaient qu'un seul grief contre ma gibecière: son étrangeté. Elle n'était pas comme les autres; de là tous les maux qu'elle m'a causés. Les enfants ont un sentiment brutal de l'égalité. Ils ne souffrent rien de distinct ni d'original. C'est ce caractère que mon oncle n'avait pas assez observé quand il me fit son pernicieux présent. La gibecière de Fontanet était affreuse; ses deux frères aînés l'ayant traînée tour à tour sur les bancs du lycée, elle ne pouvait plus être salie; le cuir en était tout écorché et crevé; les boucles, disparues, étaient remplacées par des ficelles; mais, comme elle n'avait rien d'extraordinaire, Fontanet n'en éprouva jamais de désagrément. Et moi, quand j'entrais dans la cour de la pension, mon portefeuille au dos, j'étais immédiatement assourdi par des huées, entouré, bousculé, renversé à plat ventre. Fontanet appelait cela me faire faire la tortue, et il montait sur ma carapace. Il n'était pas bien lourd, mais j'étais humilié. Aussitôt remis debout, je sautais sur sa casquette.

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