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Chapitre 27

Ayant reçu l’ordre de chercher partout Lecoq, et de le ramener s’il le rencontrait, l’huissier de M. Segmuller s’était mis en campagne.

La commission ne lui déplaisait pas ; c’était une occasion de quitter son poste, un prétexte de légitime flânerie aux environs.

C’est à la Préfecture qu’il se rendit tout d’abord, par le plus long, bien entendu, par le quai. Mais à la Permanence, où il s’adressa, personne n’avait aperçu le jeune policier.

Il se rabattit alors sur les estaminets et les débits de boissons qui entourent le Palais de Justice et vivent de sa clientèle.

Commissionnaire consciencieux, il entra partout, et même ayant rencontré des connaissances, il se crut obligé à une politesse à 50 centimes la canette… Mais pas de Lecoq !

Il rentrait en hâte, un peu inquiet de la durée de son absence, quand une voiture qui arrivait à fond de train s’arrêta court devant la grille du Palais.

Machinalement, il regarda. O bonheur ! De cette voiture, il vit descendre Lecoq, suivi du père Absinthe et de la belle-fille de la veuve Chupin.

Du coup, il retrouva son aplomb, et c’est du ton le plus important qu’il transmit au jeune policier l’ordre de le suivre sans perdre une minute.

– Monsieur le juge vous a déjà demandé nombre de fois, disait-il, son impatience est extrême, il est d’une humeur massacrante, et vous pouvez vous attendre à avoir la tête lavée de la belle façon.

Lecoq souriait, tout en montant l’escalier. N’avait-il pas à présenter la plus victorieuse des justifications ? Même il se faisait une fête de l’agréable surprise du juge, et il lui semblait voir son visage irrité s’épanouir soudain.

Et cependant les embarras de l’huissier et son insistance devaient avoir le plus désastreux résultat.

Pressé comme il l’était, le jeune policier ne vit nul inconvénient à ouvrir sans frapper la porte du cabinet de M. Segmuller, et il eut l’inspiration fatale de pousser en avant la malheureuse dont le témoignage pouvait être si décisif.

La stupeur le cloua net sur place, quand il vit que le juge n’était pas seul, quand il reconnut en ce témoin qu’on interrogeait, l’homme du portrait, Polyte Chupin.

À l’instant, il comprit l’étendue de la faute, ses conséquences, et combien il importait d’empêcher toute communication, tout échange de pensées entre le mari et la femme.

Il bondit jusqu’à Toinon-la-Vertu, et la secouant rudement par le bras, il lui commanda de sortir à l’instant.

– Vous ne pouvez rester ici, lui criait-il, allons, venez !…

Mais la pauvre créature était tout éperdue, défaillante d’émotion, plus tremblante que la feuille. Hors son mari, elle était incapable de rien voir, de rien entendre. Retrouver ce misérable qu’elle adorait, quel ravissement ! Mais pourquoi reculait-il, pourquoi lui lançait-il des regards farouches ?

Elle voulait parler, s’expliquer … Elle se débattit donc un peu, oh ! bien peu, assez cependant pour recueillir la phrase de Polyte, qui entra dans son cerveau comme une balle.

Ce que voyant, le jeune policier la saisit par la taille, la souleva comme une plume, et l’emporta dans la galerie.

Cette scène n’avait pas duré une minute en tout, et M. Segmuller en était encore à formuler une observation, que déjà la porte était refermée et qu’il se retrouvait seul avec Polyte.

– Eh ! eh !… pensait Goguet, frétillant d’aise, voici du nouveau !…

Mais comme ses à-parte ne lui faisaient jamais négliger sa besogne de greffier, il se pencha à l’oreille du juge, pour demander :

– Dois-je inscrire ce qu’a dit en dernier lieu le témoin ?

– Certes ! répondit M. Segmuller, et mot pour mot, s’il vous plaît !

Il s’arrêta ; la porte s’ouvrait une fois encore et livrait passage à l’huissier qui, timidement et d’un air fort penaud, remit un billet et sortit.

Ce billot, écrit au crayon par Lecoq, sur une feuille arrachée à son calepin, disait au juge le nom de la femme, et lui donnait brièvement, mais clairement, les renseignements recueillis.

– Ce garçon-là pense à tout … murmura M. Segmuller.

Le sens de la scène qu’il n’avait fait qu’entrevoir éclatait maintenant à ses yeux.

Tout lui était expliqué !

Il n’en regrettait que plus amèrement cette rencontre fatale qui venait d’avoir lieu dans son cabinet. Mais à qui devait-il s’en prendre ? À lui, à lui seul, à son impatience, à son défaut de prévoyance quand, son huissier parti, il avait envoyé chercher Polyte Chupin.

Cependant, comme il ne pouvait se douter de l’influence énorme de cette circonstance sur l’instruction, il ne s’en alarma pas et ne songea qu’à tirer parti des documents précieux qui lui arrivaient.

– Poursuivons, dit-il à Polyte.

Le gredin eut un geste d’insouciant assentiment. Sa femme sortie, il n’avait plus bougé, indifférent en apparence à tout ce qui se passait.

– C’est votre femme que nous venons de voir ? demanda M. Segmuller.

– Oui.

– Elle voulait se jeter à votre cou, vous l’avez repoussée.

– Je ne l’ai pas repoussée, m’sieu.

– Vous l’avez tenue à distance, si vous aimez mieux, vous n’avez pas eu un regard pour votre enfant qu’elle vous tendait … pourquoi ?

– Ce n’était pas le moment de penser au sentiment.

– Vous mentez. Vous vouliez simplement la bien fixer pendant que vous lui dictiez sa déposition.

– Moi !… je lui ai dicté sa déposition ?…

– Sans cette supposition, les paroles que vous avez prononcées seraient inintelligibles.

– Quelles paroles ?…

Le juge se retourna vers son greffier.

– Goguet, dit-il, relisez au témoin sa dernière phrase.

Le greffier, de sa voix monotone, lut :

« J’en voudrais à la mort à qui dirait que je connais Lacheneur. »

– Eh bien !… insista M. Segmuller, qu’est-ce que cela signifie ?

– C’est bien facile à comprendre, m’sieu.

M. Segmuller s’était levé, enveloppant Polyte d’un de ces regards de juge, qui, selon l’expression d’un prévenu, « font grouiller la vérité dans les entrailles. »

– Assez de mensonges, interrompit-il. Vous commandiez le silence à votre femme, voilà le fait. À quoi bon ? et que peut-elle nous apprendre ? Pensez-vous donc que la police ne sait pas vos relations avec Lacheneur, vos entretiens, quand il vous attendait en voiture près des terrains vagues, les espérances de fortune que vous fondiez sur lui ?… Croyez-moi, décidez-vous à des aveux, pendant qu’il en est temps encore, ne vous engagez pas dans une voie au bout de laquelle est un péril sérieux. On est complice de plus d’une façon !

Il est certain que l’impudence de Polyte reçut un rude choc. Il parut confondu, et baissa la tête en balbutiant une réponse inintelligible.

Cependant il s’obstina à garder le silence, et le juge, qui venait d’employer inutilement son arme la plus forte, désespéra. Il sonna et donna l’ordre de reconduire le témoin en prison, après avoir pris des précautions, toutefois, pour qu’il ne pût revoir sa femme.

Polyte sorti, Lecoq parut. Il était désespéré, il s’arrachait les cheveux.

– Et dire, répétait-il, que je n’ai pas tiré de cette femme tout ce qu’elle savait, quand c’était si facile ! Mais je savais que vous m’attendiez, monsieur, je me dépêchais, j’ai cru bien faire…

– Rassurez-vous, ce malheur peut se réparer.

– Non, monsieur, non, nous ne saurons plus rien de cette malheureuse. Impossible de lui arracher un mot depuis qu’elle a vu son mari. Elle l’aime de la passion la plus folle, il a sur elle une influence toute-puissante. Il lui a commandé de se taire, elle se taira.

Le jeune policier n’avait que trop raison. M. Segmuller dut se l’avouer dès les premiers pas que Toinon-la-Vertu fit dans son cabinet.

La pauvre créature était écrasée de douleur. Il était aisé de reconnaître qu’elle eût donné sa vie pour reprendre les paroles qui lui étaient échappées dans sa mansarde. Le regard de Polyte l’avait glacée et remuait en son cœur les plus sinistres appréhensions. Ne concevant rien dont il ne pût être coupable, elle se demandait si son témoignage ne serait pas un arrêt de mort.

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