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L’un, grand, vieux, tout chauve, portait un large chapeau, et sur son vaste habit noir mal coupé, un paletot de forme antique. Celui-là était un de ces savants modestes, comme il s’en rencontre dans les quartiers excentriques de Paris, un de ces guérisseurs dévoués à leur art, qui, trop souvent, meurent ignorés après d’immenses services rendus.

Il avait ce calme débonnaire de l’homme qui, ayant ausculté toutes les misères humaines, comprend tout. Mais une conscience troublée ne soutenait pas son regard perspicace, plus aigu que ses lancettes.

L’autre, jeune, frais, blond, jovial, trop bien mis, cachait ses mains blanches et frileuses sous des gants de daim fourrés. Son œil ne savait que caresser ou rire. Il devait s’éprendre de toutes ces panacées miraculeuses qui chaque mois sautent des laboratoires de la pharmacie à la quatrième page des journaux. Il avait dû écrire plus d’un article de « médecine à l’usage des gens du monde, » dans les feuilles de sport.

– Je vous demanderai, messieurs, leur dit le commissaire de police, de vouloir bien commencer votre expertise par l’examen de celle des victimes qui porte le costume militaire. Voici un sergent-major, requis pour une simple question d’identité, que je voudrais renvoyer le plus tôt possible à sa caserne.

Les deux médecins répondirent par un geste d’assentiment, et aidés par le père Absinthe et un autre agent, ils soulevèrent le cadavre et l’étendirent sur deux tables, préalablement mises bout à bout.

Il n’y avait pas eu à étudier l’attitude du corps, pour en tirer quelque éclaircissement, puisque le malheureux qui râlait encore à l’arrivée de la ronde avait été déplacé avant d’expirer.

– Approchez-vous, sergent, commanda le commissaire de police, et regardez bien cet homme.

C’est avec une très visible répugnance que le vieux troupier obéit.

– Quel est l’uniforme qu’il porte ? continua le commissaire.

– Celui du 53e de ligne, 2e bataillon, compagnie des voltigeurs.

– Le reconnaissez-vous ?

– Aucunement.

– Vous êtes sûr qu’il n’appartient pas à votre régiment ?

– Ça, je ne puis l’affirmer ; il y a au dépôt des conscrits que je n’ai jamais vus. Mais je suis prêt à affirmer qu’il n’a jamais fait partie du 2° bataillon, qui est le mien, de la compagnie des voltigeurs dont je suis le sergent-major.

Lecoq, resté à l’écart jusque-là, s’avança.

– Peut-être serait-il bon, dit-il, de voir le numéro matricule des effets de cet homme.

– L’idée est bonne, approuva le sergent.

– Voici toujours son képi, ajouta le jeune policier, il porte au fond le numéro 3, 129.

Ou suivit le conseil de Lecoq, et il fut reconnu que chacune des pièces de l’habillement de cet infortuné, était timbrée d’un numéro différent.

– Parbleu !… murmura le sergent, il en a de toutes les paroisses… C’est singulier tout de même !…

Invité à vérifier scrupuleusement ses assertions, le brave troupier redoubla d’application, rassemblant par un effort toutes ses facultés intellectuelles.

– Ma foi !… dit-il enfin, je parierais mes galons qu’il n’a jamais été militaire. Ce particulier doit être un pékin qui se sera déguisé comme cela par farce, à l’occasion du dimanche gras.

– À quoi reconnaissez-vous cela !…

– Dame !… je le sens mieux que je ne puis l’expliquer. Je le reconnais à ses cheveux, à ses ongles, à sa tenue, à un certain je ne sais quoi, enfin à tout et à rien … Et tenez, le pauvre diable ne savait seulement pas se chausser, il a lacé ses guêtres à l’envers.

Il n’y avait évidemment plus à hésiter après ce témoignage, qui venait confirmer la première observation de Lecoq.

– Cependant, insista le commissaire, si cet individu est un pékin, comment s’est-il procuré ces effets ? Peut-il les avoir empruntés à des hommes de votre compagnie ?

– À la grande rigueur, oui … mais il est difficile de l’imaginer.

– Est-il du moins possible de s’en assurer ?

– Oh !… très bien. Je n’ai qu’à courir à la caserne et à ordonner une revue d’habillement.

– En effet, approuva le commissaire, le moyen est bon.

Mais Lecoq venait d’en imaginer un aussi concluant et plus prompt.

– Un mot, sergent, dit-il. Est-ce que les régiments ne vendent pas de temps à autre, aux enchères publiques, les effets hors de service ?

– Si… tous les ans une fois au moins, après l’inspection.

– Et ne fait-on pas une remarque aux vêtements ainsi vendus ?

– Pardonnez-moi.

– Alors, voyez donc si l’uniforme de ce malheureux ne présente pas des traces de cette remarque.

Le sous-officier retourna le collet de la capote, visita la ceinture du pantalon, et dit :

– Vous avez raison … ce sont des effets réformés.

L’œil du jeune policier brilla, mais ce ne fut qu’un éclair.

– Il faut donc, observa-t-il, que ce pauvre diable ait acheté ce costume. Où ?… Au Temple nécessairement, chez un de ces richissimes marchands qui font en gros le commerce des effets militaires. Ils ne sont que cinq ou six, j’irai de l’un à l’autre, et celui qui a vendu cet uniforme reconnaîtra certainement sa marchandise à quelque signe….

– Et cela nous mènera loin, grommela Gévrol.

Loin ou non, l’incident était vidé. Le sergent-major à sa grande satisfaction, reçut l’autorisation de se retirer, non sans avoir été prévenu, toutefois, que très probablement le juge d’instruction aurait besoin de sa déposition.

Le moment était venu de fouiller le faux soldat, et le commissaire de police, qui se chargea en personne de cette opération, espérait bien qu’elle donnerait pour résultat une manifestation quelconque de l’identité de cet inconnu.

Il opérait, et dictait en même temps à un agent son procès-verbal, c’est-à-dire la description minutieuse de tous les objets qu’il rencontrait.

C’était : Dans la poche droite du pantalon : du tabac à fumer, une pipe de bruyère et des allumettes.

Dans la poche gauche : un porte-monnaie de cuir très crasseux, en forme de portefeuille, renfermant sept francs soixante centimes, et un mouchoir de poche en toile, assez propre, mais sans marque.

Et rien autre !…

Le commissaire se désolait, lorsque, tournant et retournant le porte-monnaie, il découvrit un compartiment qui lui avait échappé, par cette raison qu’il était dissimulé sous un repli du cuir.

Dans ce compartiment était un papier soigneusement plié. Il le déplia et lut à haute voix ce billet :

« Mon cher Gustave,

« Demain, dimanche soir, ne manque pas de venir au bal de l’Arc-en-Ciel, selon nos conventions. Si tu n’as plus d’argent, passe chez moi, j’en laisse à mon concierge qui te le remettra.

« Sois là-bas à huit heures. Si je n’y suis pas déjà, je ne tarderai pas à paraître.

« Tout va bien,

« LACHENEUR. »

Hélas !… qu’apprenait-elle, cette lettre ! Que le mort s’appelait Gustave ; qu’il était en relations avec Lacheneur, lequel lui avançait de l’argent pour une certaine chose, et que de plus ils s’étaient rencontrés à l’Arc-en-Ciel quelques heures avant le meurtre.

C’était peu, bien peu !… C’était quelque chose, cependant ; c’était un indice, et dans ces ténèbres absolues, il suffit parfois, pour se guider, de la plus chétive lueur.

– Lacheneur !… grommela Gévrol, le pauvre diable prononçait ce nom dans son agonie…

– Précisément, insista le père Absinthe, et même il voulait se venger de lui … Il l’accusait de l’avoir attiré dans un piège … Le malheur est que le dernier hoquet lui a coupé la parole…

Lecoq se taisait. Le commissaire de police lui avait tendu la lettre, et il l’étudiait avec une incroyable intensité d’attention.

Le papier était ordinaire, l’encre bleue. Dans un des angles était un timbre à demi-effacé ne laissant distinguer que ce nom : Beaumarchais.

C’était assez pour Lecoq.

– Cette lettre, pensa-t-il, a certainement été écrite dans un café du boulevard Beaumarchais … Lequel ? je le saurai, car c’est ce Lacheneur qu’il faut retrouver.

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