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Et ces quelques paroles furent rapidement échangées: «C'est pour cette nuit.

– Pour cette nuit.

– Avant que la lune ne se lève?

– A la deuxième veille.

– Et nos compagnons?

– Ils sont prévenus.

– Trente-six heures de cercueil, j'en ai assez!

– J'en ai trop!

– Enfin, Lao-Shen l'a voulu!

– Silence!»

Au nom du célèbre Taï-ping, Craig-Fry, si maîtres d'eux-mêmes qu'ils fussent, n'avaient pu retenir un léger mouvement.

Soudain, les couvercles étaient retombés sur les boîtes oblongues. Un silence absolu régnait dans la cale de la Sam-Yep.

Fry et Craig, rampant sur les genoux, regagnèrent la partie de la coursive éclairée par le grand panneau, et remontèrent les entailles de l'épontille. Un instant après, ils s'arrêtaient à l'arrière du rouffle, là où personne ne pouvait les entendre.

«Morts qui parlent… dit Craig.

– Ne sont pas morts!» répondit Fry.

Un nom leur avait tout révélé, le nom de Lao-Shen!

Ainsi donc, des compagnons de ce redoutable Taï-ping s'étaient glissés à bord. Pouvait-on douter que ce fût avec la complicité du capitaine Yin, de son équipage, des chargeurs du port de Takou, qui avaient embarqué la funèbre cargaison? Non! Après avoir été débarqués du navire américain, qui les ramenait de San Francisco, les cercueils étaient restés dans un dock pendant deux nuits et deux jours. Une dizaine, une vingtaine, plus peut-être, de ces pirates affiliés à la bande de Lao-Shen, violant les cercueils, les avaient vidés de leurs cadavres, afin d'en prendre la place. Mais, pour tenter ce coup, sous l'inspiration de leur chef, ils avaient donc su que Kin-Fo allait s'embarquer sur la Sam-Yep? Or, comment avaient- ils pu l'apprendre?

Point absolument obscur, qu'il était inopportun, d'ailleurs, de vouloir éclaircir en ce moment.

Ce qui était certain, c'est que des Chinois de la pire espèce se trouvaient à bord de la jonque depuis le départ de Takou, c'est que le nom de Lao-Shen venait d'être prononcé par l'un d'eux, c'est que la vie de Kin-Fo était directement et prochainement menacée!

Cette nuit même, cette nuit du 28 an 29 juin, allait coûter deux cent mille dollars à la Centenaire, qui, cinquante- quatre heures plus tard, la police n'étant pas renouvelée, n'aurait plus rien eu à payer aux ayants droit de son ruineux client!

Ce serait ne pas connaître Fry et Craig que d'imaginer qu'ils perdirent la tête en ces graves conjonctures. Leur parti fut pris immédiatement: il fallait obliger Kin-Fo à quitter la jonque avant l'heure de la deuxième veille, et fuir avec lui.

Mais comment s'échapper? S'emparer de l'unique embarcation du bord? Impossible. C'était une lourde pirogue qui exigeait les efforts de tout l'équipage pour être hissée du pont et mise à la mer Or, le capitaine Yin et ses complices ne s'y seraient pas prêtés. Donc, nécessité d'agir autrement, quels que fussent les dangers à courir.

Il était alors sept heures du soir. Le capitaine, enfermé dans sa cabine, n'avait pas reparu. Il attendait évidemment l'heure convenue avec les compagnons de Lao-Shen.

«Pas un instant à perdre!» dirent Fry-Craig.

Non! pas un! Les deux agents n'auraient pas été plus menacés sur un brûlot, entraîné au large, mèche allumée.

La jonque semblait alors abandonnée à la dérive. Un seul matelot dormait à l'avant.

Craig et Fry poussèrent la porte du rouffle de l'arrière, et arrivèrent près de Kin-Fo.

Kin-Fo dormait. La pression d'une main l'éveilla.

«Que me veut-on?» dit-il.

En quelques mots, Kin-Fo fut mis au courant de la situation. Le courage et le sang-froid ne l'abandonnèrent pas.

«Jetons tous ces faux cadavres à la mer!» s'écria-t-il.

Une crâne idée, mais absolument inexécutable, étant donné la complicité du capitaine Yin et de ses passagers de la cale.

«Que faire alors? demanda-t-il.

– Revêtir ceci!» répondirent Fry-Craig.

Ce disant, ils ouvrirent un des colis embarqués à Tong-Tchéou et présentèrent à leur client un de ces merveilleux appareils nautiques, inventés par le capitaine Boyton. Le colis contenait encore trois autres appareils avec les différents ustensiles qui les complétaient et en faisaient des engins de sauvetage de premier ordre.

«Soit, dit Kin-Fo. Allez chercher Soun!»

Un instant après, Fry ramenait Soun, complètement hébété. Il fallut l'habiller. Il se laissa faire, machinalement, ne manifestant sa pensée que par des ai ai ya! à fendre l'âme!

A huit heures, Kin-Fo et ses compagnons étaient prêts. On eût dit quatre phoques des mers glaciales se disposant à faire un plongeon. Il faut dire, toutefois, que le phoque Soun n'eût donné qu'une idée peu avantageuse de la souplesse étonnante de ces mammifères marins, tant il était flasque et mollasse dans son vêtement insubmersible.

Déjà la nuit commençait à se faire vers l'est. La jonque flottait au milieu d'un absolu silence à la calme surface des eaux.

Craig et Fry poussèrent un des sabords qui fermaient les fenêtres du rouffle à l'arrière, et dont la baie s'ouvrait au- dessus du couronnement de la jonque. Soun, enlevé sans plus de façon, fut glissé à travers le sabord et lancé à la mer. Kin-Fo le suivit aussitôt, Puis, Craig et Fry, saisissant les apparaux qui leur étaient nécessaires, se précipitèrent à la suite.

Personne ne pouvait se douter que les passagers de la Sam-Yep venaient de quitter le bord!

XIX QUI NE FINIT BIEN, NI POUR LE CAPITAINE YIN COMMANDANT LA «SAM-YEP», NI POUR SON ÉQUIPAGE

Les appareils du capitaine Boyton consistent uniquement eu un vêtement de caoutchouc, comprenant le pantalon, la jaquette et la capote. Par la nature même de l'étoffe employée, ils sont donc imperméables. Mais, imperméables à l'eau, ils ne l'auraient pas été au froid, résultant d'une immersion prolongée. Aussi ces vêtements sont-ils faits de deux étoffes juxtaposées, entre lesquelles on peut insuffler une certaine quantité d'air.

Cet air sert donc à deux fins: 1° à maintenir l'appareil suspenseur à la surface de l'eau; 2° à empêcher par son interposition tout contact avec le milieu liquide, et conséquemment à garantir de tout refroidissement. Ainsi vêtu, un homme pourrait rester presque indéfiniment immergé.

Il va sans dire que l'étanchéité des joints de ces appareils était parfaite. Le pantalon, dont les pieds se terminaient par de pesantes semelles, s'agrafait au cercle d'une ceinture métallique, assez large pour laisser quelque jeu aux mouvements du corps. La jaquette, fixée à cette ceinture, se raccordait à un solide collier, sur lequel s'adaptait la capote. Celle-ci, entourant la tête, s'appliquait hermétiquement au front, aux joues, au menton, par un liséré élastique. De la figure, on ne voyait donc plus que le nez, les yeux et la bouche.

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