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Lé-ou, désolée, mais courageuse, pour ne pas ajouter à la peine de son fiancé, faisait contre fortune bon cœur. Elle avait pris la main de son cher Kin-Fo: «Attendons», lui dit-elle d'une voix qui s'efforçait de cacher sa vive émotion.

Et le palanquin repartit avec la jeune femme pour sa maison de l'avenue de Cha-Coua, et les réjouissances furent suspendues, les tables desservies, les orchestres renvoyés, et les amis du désolé Kin-Fo se séparèrent, après lui avoir fait leurs compliments de condoléance.

C'est qu'il ne fallait pas se risquer à enfreindre cet impérieux décret d'interdiction!

Décidément, la mauvaise chance continuait à poursuivre Kin-Fo. Encore une occasion qui lui était donnée de mettre à profit les leçons de philosophie qu'il avait reçues de son ancien maître!

Kin-Fo était resté seul avec Craig et Fry dans cet appartement désert de l'hôtel du «Bonheur Céleste», dont le nom lui semblait maintenant un amer sarcasme. Le délai d'interdiction pouvait être prolongé suivant le bon plaisir du Fils du Ciel! Et lui qui avait compté retourner immédiatement à Shang-Haï, pour installer sa jeune femme en ce riche yamen, devenu le sien, et recommencer une nouvelle vie dans ces conditions nouvelles!…

Une heure après, un domestique entrait et lui remettait une lettre, qu'un messager venait d'apporter à l'instant.

Kin-Fo, dès qu'il eut reconnu l'écriture de l'adresse, ne put retenir un cri. La lettre était de Wang, et voici ce qu'elle contenait:

«Ami, je ne suis pas mort, mais, quand tu recevras cette lettre, j'aurai cessé de vivre!

«Je meurs parce que je n'ai pas le courage de tenir ma promesse; mais, sois tranquille, j'ai pourvu à tout.

«Lao-Shen, un chef des Taï-ping, mon ancien compagnon, a ta lettre! Il aura la main et le cœur plus fermes que moi pour accomplir l'horrible mission que tu m'avais fait accepter. A lui reviendra donc le capital assuré sur ta tête, que je lui ai délégué, et qu'il touchera, lorsque tu ne seras plus!…

«Adieu! Je te précède dans la mort! A bientôt, ami! Adieu!

«WANG!»

XVI DANS LEQUEL KIN-FO, TOUJOURS CÉLIBATAIRE, RECOMMENCE A COURIR DE PLUS BELLE

Telle était maintenant la situation faite à Kin-Fo, plus grave mille fois qu'elle ne l'avait jamais été!

Ainsi donc, Wang, malgré la parole donnée, avait senti sa volonté se paralyser, lorsqu'il s'était agi de frapper son ancien élève! Ainsi Wang ne savait rien du changement survenu dans la fortune de Kin-Fo, puisque sa lettre ne le disait pas! Ainsi Wang avait chargé un autre de tenir sa promesse, et quel autre! un Taï-ping redoutable entre tous, qui, lui, n'éprouverait aucun scrupule à accomplir un simple meurtre, dont on ne pourrait même le rendre responsable! La lettre de Kin-Fo ne lui assurait-elle pas l'impunité, et, la délégation de Wang, un capital de cinquante mille dollars!

«Ah! mais je commence à en avoir assez!» s'écria Kin-Fo dans un premier mouvement de colère.

Craig et Fry avaient pris connaissance de la missive de Wang.

«Votre lettre, demandèrent-ils à Kin-Fo, ne porte donc pas le 25 juin comme extrême date?

– Eh non! répondit-il. Wang devait et ne pouvait la dater que du jour de ma mort! Maintenant, ce Lao-Shen peut agir quand il lui plaira, sans être limité par le temps!

– Oh! firent Fry-Craig, il a intérêt à s'exécuter à bref délai.

– Pourquoi?…

– Afin que le capital assuré sur votre tête soit couvert par la police et ne lui échappe pas!»

L'argument était sans réplique.

«Soit, répondit Kin-Fo. Toujours est-il que je ne dois pas perdre une heure pour reprendre ma lettre, dussé-je la payer des cinquante mille dollars garantis à ce Lao-Shen!

– Juste, dit Craig.

– Vrai! ajouta Fry.

– Je partirai donc! On doit savoir où est maintenant ce chef Taï-ping! Il ne sera peut-être pas introuvable comme Wang!»

En parlant ainsi, Kin-Fo ne pouvait tenir en place. Il allait et venait. Cette série de coups de massue, qui s'abattaient sur lui, le mettaient dans un état de surexcitation peu ordinaire.

«Je pars! dit-il! je vais à la recherche de Lao-Shen! Quant à vous, messieurs, faites ce qu'il vous conviendra.

– Monsieur, répondit Fry-Craig, les intérêts de la Centenaire sont plus menacés qu'ils ne l'ont jamais été! Vous abandonner dans ces circonstances serait manquer à notre devoir. Nous ne vous quitterons pas!»

Il n'y avait pas une heure à perdre. Mais, avant tout, il s'agissait de savoir au juste ce que c'était que ce Lao-Shen, et en quel endroit précis il résidait. Or, sa notoriété était telle, que cela ne fut pas difficile.

En effet, cet ancien compagnon de Wang dans le mouvement insurrectionnel des Mang-Tchao, s'était retiré au nord de la Chine, au-delà de la Grande Muraille, vers la partie voisine du golfe de Léao-Tong, qui n'est qu'une annexe du golfe de Pé-Tché-Li. Si le gouvernement impérial n'avait pas encore traité avec lui, comme il l'avait déjà fait avec quelques autres chefs de rebelles qu'il n'avait pu réduire, il le laissait du moins opérer tranquillement sur ces territoires situés au-delà des frontières chinoises, où Lao-Shen, résigné à un rôle plus modeste, faisait le métier d'écumeur de grands chemins!

Ah! Wang avait bien choisi l'homme qu'il fallait! Celui-là serait sans scrupules et un coup de poignard de plus ou de moins n'était pas pour inquiéter sa conscience!

Kin-Fo et les deux agents obtinrent donc de très complets renseignements sur le Taï-ping, et apprirent qu'il avait été signalé dernièrement aux environs de Fou-Ning, petit port sur le golfe de Léao-Tong. C'est donc là qu'ils résolurent de se rendre sans plus tarder.

Tout d'abord, Lé-ou fut informée de ce qui venait de se passer. Ses angoisses redoublèrent! Des larmes noyèrent ses beaux yeux. Elle voulut dissuader Kin-Fo de partir! Ne courrait-il pas au-devant d'un inévitable danger? Ne valait-il pas mieux attendre, s'éloigner, quitter le Céleste Empire, au besoin, se réfugier dans quelque partie du monde où ce farouche Lao-Shen ne pourrait l'atteindre?

Mais Kin-Fo fit comprendre à la jeune femme que, de vivre sous cette incessante menace, à la merci d'un pareil coquin, à qui sa mort vaudrait une fortune il n'en pourrait supporter la perspective! Non! Il fallait en finir une fois pour toutes, Kin-Fo et ses fidèles acolytes partiraient le jour même, ils arriveraient jusqu'au Taï-ping, ils rachèteraient à prix d'or la déplorable lettre, et ils seraient de retour à Péking avant même que le décret d'interdiction eût été levé.

«Chère petite sœur, dit Kin-Fo, j'en suis à moins regretter, maintenant, que notre mariage ait été remis de quelques jours! S'il était fait, quelle situation pour vous!

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