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– Quand vous vous expliquerez plus clairement, je vous entendrai. Raillez tant qu’il vous plaira, ma reconnaissance pour le service que vous m’avez rendu n’en subsistera pas moins, dit Germain tristement.

– Tenez, pardon, monsieur Germain, répondit le Chourineur en devenant sérieux, vous n’aimez pas à me voir rire de cela, n’en parlons plus. Il faut que je me rabiboche avec vous, et que je vous force peut-être bien à me tendre encore la main.

– Je n’en doute pas; car, malgré le crime dont on vous accuse et dont vous vous accusez vous-même, tout en vous annonce le courage, la franchise. Je suis sûr que vous êtes injustement soupçonné… de graves apparences peut-être vous compromettent… mais voilà tout…

– Oh! quant à cela, vous vous trompez, monsieur Germain, dit le Chourineur, si sérieusement cette fois, et avec un tel accent de sincérité, que Germain dut le croire. Foi d’homme, aussi vrai que j’ai un protecteur (le Chourineur ôta son bonnet), qui est pour moi ce que le bon Dieu est pour les bons prêtres, j’ai volé la nuit en enfonçant un volet, j’ai été arrêté sur le fait, et encore nanti de tout ce que je venais d’emporter…

– Mais le besoin… la faim… vous poussaient donc à cette extrémité?

– La faim?… J’avais cent vingt francs à moi quand on m’a arrêté… le restant d’un billet de mille francs… sans compter que le protecteur dont je vous parle, et qui, par exemple, ne sait pas que je suis ici, ne me laissera jamais manquer de rien. Mais puisque je vous ai parlé de mon protecteur, vous devez croire que ça devient sérieux, parce que, voyez-vous, celui-là, c’est à se mettre à genoux devant. Ainsi, tenez… la grêle de coups de poing dont j’ai tambouriné le Squelette, c’est une manière à lui que j’ai copiée d’après nature. L’idée du vol… c’est à cause de lui qu’elle m’est venue. Enfin si vous êtes là au lieu d’être étranglé par le Squelette, c’est encore grâce lui.

– Mais ce protecteur?

– Est aussi le vôtre.

– Le mien?

– Oui, M. Rodolphe vous protège. Quand je dis monsieur, c’est monseigneur… que je devrais dire… car c’est au moins un prince… mais j’ai l’habitude de l’appeler M. Rodolphe, et il me le permet.

– Vous vous trompez, dit Germain de plus en plus surpris, je ne connais pas de prince.

– Oui, mais il vous connaît, lui. Vous ne vous en doutez pas? C’est possible, c’est sa manière. Il sait qu’il y a un brave homme dans la peine, crac, le brave homme est soulagé; et ni vu ni connu, je t’embrouille; le bonheur lui tombe des nues comme une tuile sur la tête. Aussi, patience, un jour ou l’autre vous recevrez votre tuile.

– En vérité, ce que vous me dites me confond.

– Vous en apprendrez bien d’autres! Pour en revenir à mon protecteur, il y a quelque temps, après un service qu’il prétendait que je lui avais rendu, il me procure une position superbe; je n’ai pas besoin de vous dire laquelle, ce serait trop long; enfin il m’envoie à Marseille pour m’embarquer et aller rejoindre en Algérie ma superbe position. Je pars de Paris, content comme un gueux; bon! mais bientôt ça change. Une supposition: mettons que je sois parti par un beau soleil, n’est-ce pas? Eh bien! le lendemain, voilà le temps qui se couvre, le surlendemain il devient tout gris, et ainsi de suite, de plus en plus sombre à mesure que je m’éloignais, jusqu’à ce qu’enfin il devienne noir comme le diable. Comprenez-vous?

– Pas absolument.

– Eh bien! voyons, avez-vous eu un chien?

– Quelle singulière question?

– Avez-vous eu un chien qui vous aimât bien et qui se soit perdu?

– Non.

– Alors je vous dirai tout uniment qu’une fois loin de M. Rodolphe, j’étais inquiet, abruti, effaré, comme un chien qui aurait perdu son maître. C’était bête, mais les chiens aussi sont bêtes, ce qui ne les empêche pas d’être attachés et de se souvenir au moins autant des bons morceaux que des coups de bâton qu’on leur donne; et M. Rodolphe m’avait donné mieux que des bons morceaux, car, voyez-vous, pour moi M. Rodolphe c’est tout. D’un méchant vaurien, brutal, sauvage et tapageur, il a fait une espèce d’honnête homme, en me disant seulement deux mots… Mais ces deux mots-là, voyez-vous, c’est comme de la magie…

– Et ces mots, quels sont-ils? Que vous a-t-il dit?

– Il m’a dit que j’avais encore du cœur et de l’honneur, quoique j’aie été au bagne, non pour avoir volé… c’est vrai. Oh! ça, jamais… mais pour ce qui est pis… peut-être pour avoir tué… Oui, dit le Chourineur d’une voix sombre, oui, tué dans un moment de colère… parce que, autrefois, élevé comme une bête brute, ou plutôt comme un voyou sans père ni mère, abandonné sur le pavé de Paris, je ne connaissais ni Dieu ni diable, ni bien ni mal, ni fort ni faible. Quelquefois le sang me montait aux yeux… je voyais rouge… et si j’avais un couteau à la main, je chourinais, je chourinais, j’étais comme un vrai loup, quoi! Je ne pouvais pas fréquenter autre chose que des gueux et des bandits; je n’en mettais pas un crêpe à mon chapeau pour cela; fallait vivre dans la boue… je vivais rondement dans la boue… je ne m’apercevais pas seulement que j’y étais. Mais quand M. Rodolphe m’a eu dit que, puisque, malgré les mépris de tout le monde et la misère, au lieu de voler comme d’autres, j’avais préféré travailler tant que je pouvais et à quoi je pouvais, ça montrait que j’avais du cœur et de l’honneur… Tonnerre!… voyez-vous… ces deux mots-là, ça m’a fait le même effet que si on m’avait empoigné par la crinière pour m’enlever à mille pieds en l’air au-dessus de la vermine où je pataugeais, et me montrer dans quelle crapule je vivais. Comme de juste alors j’ai dit: «Merci! j’en ai assez; je sors d’en prendre.» Alors! le cœur m’a battu autrement que de colère, et je me suis juré d’avoir toujours de cet honneur dont parlait M. Rodolphe. Vous voyez, monsieur Germain, en me disant avec bonté que je n’étais pas si pire que je me croyais, M. Rodolphe m’a encouragé, et, grâce à lui, je suis devenu meilleur que je n’étais…

En entendant ce langage, Germain comprenait de moins en moins que le Chourineur eût commis le vol dont il s’accusait.

XII Délivrance

«Non, pensait Germain, c’est impossible, cet homme, qui s’exalte ainsi aux seuls mots d’honneur et de cœur, ne peut avoir commis ce vol dont il parle avec tant de cynisme.»

Le Chourineur continua sans remarquer l’étonnement de Germain.

– Finalement, ce qui fait que je suis à M. Rodolphe comme un chien est à son maître, c’est qu’il m’a relevé à mes propres yeux. Avant de le connaître, je n’avais rien ressenti qu’à la peau; mais lui, il m’a remué en dedans, et bien à fond, allez. Une fois loin de lui et de l’endroit qu’il habitait, je me suis trouvé comme un corps sans âme. À mesure que je m’éloignais, je me disais: «Il mène une si drôle de vie! Il se mêle à de si grandes canailles (j’en sais quelque chose), qu’il risque vingt fois sa peau par jour, et c’est dans une de ces circonstances-là que je pourrai faire le chien pour lui et défendre mon maître, car j’ai bonne gueule.» Mais, d’un autre côté, il m’avait dit: «Il faut, mon garçon, vous rendre utile aux autres, aller là où vous pouvez servir à quelque chose.» Moi, j’avais bien envie de lui répondre: «Pour moi il n’y a pas d’autres à servir que vous, monsieur Rodolphe.» Mais je n’osais pas. Il me disait: «Allez.» J’allais, et j’ai été tant que j’ai pu. Mais, tonnerre! quand il a fallu monter dans le sabot, quitter la France, et mettre la mer entre moi et M. Rodolphe, sans espoir de le revoir jamais… vrai, je n’en ai pas eu le courage. Il avait fait dire à son correspondant de me donner de l’argent gros comme moi quand je m’embarquerais. J’ai été trouver le monsieur. Je lui ai dit: «Impossible pour le quart d’heure, j’aime mieux le plancher des vaches. Donnez-moi de quoi faire ma route à pied, j’ai de bonnes jambes, je retourne à Paris, je ne peux pas y tenir. M. Rodolphe dira ce qu’il voudra, il se fâchera, il ne voudra plus me voir, possible. Mais je le verrai, moi; mais je saurai où il est, et s’il continue la vie qu’il mène, tôt ou tard, j’arriverai peut-être à temps pour me mettre entre un couteau et lui. Et puis enfin je ne peux pas m’en aller si loin de lui, moi! Je sens je ne sais quoi diable qui me tire du côté où il est.» Enfin on me donne de quoi faire ma route, j’arrive à Paris. Je ne boude devant guère de choses, mais une fois de retour, voilà la peur qui me galope. Qu’est-ce que je pourrai dire à M. Rodolphe pour m’excuser d’être revenu sans sa permission? Bah! après tout, il ne me mangera pas, il en sera ce qu’il en sera. Je m’en vas trouver son ami, un gros grand chauve, encore une crème, celui-là. Tonnerre! quand M. Murph est entré, j’ai dit: «Mon sort va se décider.» Je me suis senti le gosier sec, mon cœur battait la breloque. Je m’attendais à être bousculé drôlement. Ah bien! oui… le digne homme me reçoit, comme s’il m’avait quitté la veille; il me dit que M. Rodolphe, loin d’être fâché, veut me voir tout de suite. En effet, il me fait entrer chez mon protecteur. Tonnerre! quand je me suis retrouvé face à face avec lui, lui qui a une si bonne poigne, et un si bon cœur, lui qui est terrible comme un lion et doux comme un enfant, lui qui est un prince, et qui a mis une blouse comme moi, pour avoir la circonstance (que je bénis) de m’allonger une grêle de coups de poing où je n’ai vu que du feu, tenez, monsieur Germain, en pensant à tous ces agréments qu’il possède, je me suis senti bouleversé, j’ai pleuré comme une biche. Eh bien! au lieu d’en rire, car figurez-vous ma balle quand je pleurniche, M. Rodolphe me dit sérieusement:

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