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– Est-il crâne, le Squelette!… disait l’un, quelle sorbonne!

– Le diable en personne ne le ferait pas caner…

– Voilà un homme!…

– Si tous les pègres avaient ce front-là… c’est eux qui jugeraient et qui feraient guillotiner les pantes

– Ça serait juste… chacun son tour…

– Oui… mais on ne s’entend pas…

– C’est égal… il rend un fameux service à la pègre… en voyant qu’on les refroidit… les mangeurs ne mangeront plus…

– C’est sûr.

– Et puisque le Squelette est si sûr d’être fauché, ça ne lui coûte rien… de tuer le mangeur.

– Moi, je trouve que c’est rude! dit Frank, tuer ce jeune homme…

– De quoi! De quoi! reprit le Squelette d’une voix courroucée, on n’a pas le droit de buter un traître?

– Oui, au fait, c’est un traître; tant pis pour lui, dit Frank, après un moment de réflexion.

Ces derniers mots et la garantie du Gros-Boiteux calmèrent la défiance que Frank avait un moment soulevée chez les détenus.

Le Squelette seul persévéra dans sa méfiance.

– Ah çà! et comment faire avec le gardien? Dis donc, Mort-d’avance, car c’est aussi bien ton nom que Squelette, reprit Nicolas en ricanant.

– Eh bien! on l’occupera d’un côté, le gardien.

– Non, on le retiendra de force.

– Oui…

– Non.

– Silence dans la pègre!!! dit le Squelette.

On fit le plus profond silence.

– Écoutez-moi bien, reprit le prévôt de sa voix enrouée; il n’y a pas moyen de faire le coup pendant que le gardien sera dans le chauffoir ou dans le préau. Je n’ai pas de couteau; il y aura quelques cris étouffés; le mangeur se débattra.

– Alors, comment…

– Voilà comment: Pique-Vinaigre nous a promis de nous conter aujourd’hui, après dîner, son histoire de Gringalet et Coupe-en-Deux. Voilà la pluie, nous nous retirerons tous ici, et le mangeur viendra se mettre là-bas dans le coin, à la place où il se met toujours… Nous donnerons quelques sous à Pique-Vinaigre pour qu’il commence son histoire… C’est l’heure du dîner de la geôle… Le gardien nous verra tranquillement occupés à écouter les fariboles de Gringalet et de Coupe-en-Deux, il ne se défiera pas, ira faire un tour à la cantine… Dès qu’il aura quitté la cour… nous avons un quart d’heure à nous, le mangeur est refroidi avant que le gardien soit revenu… Je m’en charge… J’en ai étourdi de plus roides que lui… Mais je ne veux pas qu’on m’aide…

– Minute, s’écria Cardillac, et l’huissier qui vient toujours blaguer ici avec nous… à l’heure du dîner?… S’il entre dans le chauffoir pour écouter Pique-Vinaigre, et qu’il voie refroidir Germain, il est capable de crier au secours… Ça n’est pas un homme culotté, l’huissier; c’est un pistolier, il faut s’en défier.

– C’est vrai, dit le Squelette.

– Il y a un huissier ici! s’écria Frank, victime, on le sait, de l’abus de confiance de maître Boulard; il y a un huissier ici! reprit-il avec étonnement. Et comment s’appelle-t-il?

– Boulard, dit Cardillac.

– C’est mon homme! s’écria Frank en serrant les poings; c’est lui qui m’a volé ma masse…

– L’huissier? demanda le prévôt.

– Oui… sept cent vingt francs qu’il a touchés pour moi.

– Tu le connais?… Il t’a vu? demanda le Squelette.

– Je crois bien que je l’ai vu… pour mon malheur… Sans lui, je ne serais pas ici…

Ces regrets sonnèrent mal aux oreilles du Squelette; il attacha longuement ses yeux louches sur Frank, qui répondait à quelques questions de ses camarades, puis, se penchant vers le Gros-Boiteux, il lui dit tout bas:

– Voilà un cadet qui est capable d’avertir les gardiens de notre coup.

– Non, j’en réponds, il ne dénoncera personne… mais c’est encore frileux pour le vice… et il serait capable de vouloir défendre Germain… Vaudrait mieux l’éloigner du préau.

– Suffit, dit le Squelette, et il reprit tout haut: Dis donc, Frank, est-ce que tu ne le rouleras pas ce brigand d’huissier?

– Laissez faire… qu’il vienne, son compte est bon.

– Il va venir, prépare-toi.

– Je suis tout prêt; il portera mes marques.

– Ça fera une batterie, on renverra l’huissier à sa pistole et Frank au cachot, dit tout bas le Squelette au Gros-Boiteux, nous serons débarrassés de tous deux.

– Quelle sorbonne!… Ce Squelette est-il roué! dit le bandit avec admiration. Puis il reprit tout haut:

– Ah çà! préviendra-t-on Pique-Vinaigre qu’on s’aidera de son conte pour engourdir le gardien et escarper le mangeur?

– Non; Pique-Vinaigre est trop mollasse et trop poltron; s’il savait ça, il ne voudrait pas conter; mais, le coup fait, il prendra son parti.

La cloche du dîner sonna.

– À la pâtée, les chiens! dit le Squelette; Pique-Vinaigre et Germain vont rentrer au préau. Attention, les amis, on m’appelle Mort-d’avance, mais le mangeur aussi est mort d’avance.

VIII Le conteur

Le nouveau détenu dont nous avons parlé, qui portait un bonnet de coton et une blouse grise, avait attentivement écouté et énergiquement approuvé le complot qui menaçait la vie de Germain… Cet homme, aux formes athlétiques, sortit du chauffoir avec les autres prisonniers sans avoir été remarqué et se mêla bientôt aux différents groupes qui se pressaient dans la cour autour des distributeurs d’aliments, qui portaient la viande cuite dans des bassines de cuivre et le pain dans de grands paniers.

Chaque détenu recevait un morceau de bœuf bouilli désossé qui avait servi à faire la soupe grasse du matin, trempée avec la moitié d’un pain supérieur en qualité au pain des soldats [40].

Les prisonniers qui possédaient quelque argent pouvaient acheter du vin à la cantine, et y aller boire, en termes de prison, la gobette.

Ceux enfin qui, comme Nicolas, avaient reçu des vivres du dehors improvisaient un festin auquel ils invitaient d’autres détenus. Les convives du fils du supplicié furent le Squelette, Barbillon, et, sur l’observation de celui-ci, Pique-Vinaigre, afin de le bien disposer à conter.

Le jambonneau, les œufs durs, le fromage et le pain blanc dus à la libéralité forcée de Micou le receleur furent étalés sur un des bancs du chauffoir, et le Squelette s’apprêta à faire honneur à ce repas, sans s’inquiéter du meurtre qu’il allait froidement commettre.

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