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– Il faut que je vous aime bien, allez, la Chouette… vous me faites faire tout ce que vous voulez, dit Tortillard en s’avançant lentement.

La clarté blafarde, vacillante de la chandelle, éclairant vaguement ce sombre couloir, dessinait la noire silhouette du hideux enfant sur les murailles verdâtres, lézardées, ruisselantes d’humidité.

Au fond du passage, à travers une demi-obscurité, on voyait le cintre bas, écrasé, de l’entrée du caveau, sa porte épaisse, garnie de bandes de fer, et, se détachant dans l’ombre, le tartan rouge et le bonnet blanc de la Chouette.

Grâce à ses efforts et à ceux de Tortillard, la porte s’ouvrit, en grinçant, sur ses gonds rouillés.

Une bouffée de vapeur humide s’échappa de cet antre, obscur comme la nuit.

La lumière, posée à terre, jetait quelques lueurs sur les premières marches de l’escalier de pierre, dont les derniers degrés se perdaient complètement dans les ténèbres.

Un cri, ou plutôt un rugissement sauvage, sortit des profondeurs du caveau.

– Ah! voilà Fourline qui dit bonjour à sa maman, dit ironiquement la Chouette.

Et elle descendit quelques marches pour cacher son cabas dans quelque recoin.

– J’ai faim! cria le Maître d’école d’une voix frémissante de rage; on veut donc me faire mourir comme une bête enragée!

– Tu as faim, gros minet? dit la Chouette en éclatant de rire, eh bien!… suce mon pouce…

On entendit le bruit d’une chaîne qui se roidissait violemment…

Puis un soupir de rage muette, contenue.

– Prends garde! Prends garde! Tu vas te faire encore bobo à la jambe, comme à la ferme de Bouqueval. Pauvre bon papa! dit Tortillard.

– Il a raison, cet enfant; tiens-toi donc en repos, Fourline, reprit la vieille; l’anneau et la chaîne sont solides, vieux sans yeux, ça vient de chez le père Micou, qui ne vend que du bon. C’est ta faute aussi; pourquoi t’es-tu laissé ficeler pendant ton sommeil? On n’a eu ensuite qu’à te passer l’anneau et la chaîne à la gigue, et à te descendre ici… au frais… pour te conserver, vieux coquet.

– C’est dommage, il va moisir, dit Tortillard.

On entendit un nouveau bruit de chaîne.

– Eh! eh! Fourline qui sautille comme un hanneton attaché par la patte, dit la vieille. Il me semble le voir…

– Hanneton! vole! vole! vole!… Ton mari est le Maître d’école!… chantonna Tortillard.

Cette variante augmenta l’hilarité de la Chouette.

Ayant placé son cabas dans un trou formé par la dégradation de la muraille de l’escalier, elle dit en se relevant:

– Vois-tu, Fourline?…

– Il ne voit pas, dit Tortillard…

– Il a raison, cet enfant! Eh bien! entends-tu, Fourline, il ne fallait pas, en revenant de la ferme, être assez colas pour faire le bon chien… en m’empêchant de dévisager la Pégriotte avec mon vitriol. Par là-dessus, tu m’as parlé de ta muette qui devenait bégueule. J’ai vu que ta pâte de franc gueux s’aigrissait, qu’elle tournait à l’honnête… comme qui dirait au mouchard… que d’un jour à l’autre tu pourrais manger sur nous , vieux sans yeux… et alors…

– Alors le vieux sans yeux va manger sur toi, la Chouette, car il a faim! s’écria Tortillard en poussant brusquement et de toutes ses forces la vieille par le dos.

La Chouette tomba en avant, en poussant une imprécation terrible.

On l’entendit rouler au bas de l’escalier de pierre.

– Kis… kis… kis… à toi la Chouette, à toi… saute dessus… vieux, ajouta Tortillard.

Puis, saisissant le cabas sous la pierre où il avait vu la vieille le placer, il gravit précipitamment l’escalier en criant avec un éclat de rire féroce:

– Voilà une poussée qui vaut mieux que celle de tout à l’heure, hein, la Chouette? Cette fois tu ne me mordras pas jusqu’au sang. Ah! tu croyais que je n’avais pas de rancune… merci… je saigne encore.

– Je la tiens… oh!… je la tiens…, cria le Maître d’école du fond du caveau.

– Si tu la tiens, vieux, part à deux, dit Tortillard en ricanant.

Et il s’arrêta sur la dernière marche de l’escalier.

– Au secours! cria la Chouette d’une voix strangulée.

– Merci… Tortillard, reprit le Maître d’école, merci! Et on l’entendit pousser une aspiration de joie effrayante. Oh! je te pardonne le mal que tu m’as fait… et pour ta récompense… tu vas l’entendre chanter, la Chouette!!! écoute-la bien… l’oiseau de mort.

– Bravo!… me voilà aux premières loges, dit Tortillard en s’asseyant au haut de l’escalier.

VII Le caveau

Tortillard, assis sur la première marche de l’escalier, éleva sa lumière pour tâcher d’éclairer l’épouvantable scène qui allait se passer dans les profondeurs du caveau; mais les ténèbres étaient trop épaisses… une si faible clarté ne put les dissiper.

Le fils de Bras-Rouge ne distingua rien.

La lutte du Maître d’école et de la Chouette était sourde, acharnée, sans un mot, sans un cri.

Seulement de temps à autre on entendait l’aspiration bruyante ou le souffle étouffé qui accompagne toujours des efforts violents et contenus.

Tortillard, assis sur le degré de pierre, se mit alors à frapper des pieds avec cette cadence particulière aux spectateurs impatients de voir commencer le spectacle; puis il poussa ce cri familier aux habitués du paradis des théâtres du boulevard:

– Eh! la toile… la pièce… la musique!

– Oh! je te tiendrai comme je veux, murmura le Maître d’école au fond du caveau, et tu vas…

Un mouvement désespéré de la Chouette l’interrompit. Elle se débattait avec l’énergie que donne la crainte de la mort.

– Plus haut… on n’entend pas, cria Tortillard.

– Tu as beau me dévorer la main, je te tiendrai comme je le veux, reprit le Maître d’école.

Puis, ayant sans doute réussi à contenir la Chouette, il ajouta: – C’est cela… Maintenant, écoute…

– Tortillard, appelle ton père! cria la Chouette d’une voix haletante, épuisée. Au secours!… Au secours!…

– À la porte… la vieille! Elle empêche d’entendre, dit le petit boiteux en éclatant de rire; à bas la cabale!

Les cris de la Chouette ne pouvaient percer ces deux étages souterrains.

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