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Attacher par le dégoût, plaire par l’horrible, c’est un procédé qui malheureusement répond à un instinct humain, mais à l’instinct le plus bas, le moins avouable, le plus universel, le plus bestial. Les foules qui courent à la guillotine, ou qui se pressent à la morgue, sont-elles le public qu’il faille séduire, encourager, maintenir dans le culte des épouvantes et des purulences?

La chasteté, la candeur, l’amour dans ses héroïsmes, la haine dans ses hypocrisies, la vérité de la vie, après tout, ne se montrent pas sans vernis, coûtent plus de travail, exigent plus d’observation et profitent davantage au lecteur. Je ne prétends pas restreindre le domaine de l’écrivain. Tout, jusqu’à l’épiderme, lui appartient: arracher la peau, ce n’est plus de l’observation, c’est de la chirurgie; et si une fois par hasard un écorché peut être indispensable à la démonstration psychologique, l’écorché mis en système n’est plus que de la folie et de la dépravation.

Je disais que toutes ces imaginations malsaines étaient des imaginations pauvres ou paresseuses. Je n’ai besoin que de citer les procédés pour le prouver. Elles vivent d’imitation. Madame Bovary, Fanny, L’Affaire Clémenceau, ont l’empreinte d’un talent original et personnel; aussi ces trois livres supérieurs sont-ils restés les types que l’on imite, que l’on parodie, que l’on allonge en les faisant grimacer. Combiner l’élément judiciaire avec l’élément pornographique, voilà tout le fonds de la science. Mystère et hystérie! voilà la devise.

Il y a un piège, d’ailleurs, dans ces deux mots: les tribunaux sont un lieu commun de péripéties variées et faciles, et, à une époque d’énervement, comme on n’a plus le secret de la passion, on la remplace par des spasmes maladifs; c’est aussi bruyant, et c’est plus commode.

Ceci expliqué, je dois avouer le motif spécial de ma colère. Ma curiosité a glissé ces jours-ci dans une flaque de boue et de sang qui s’appelle Thérèse Raquin, et dont l’auteur, M. Zola, passe pour un jeune homme de talent. Je sais, du moins, qu’il vise avec ardeur à la renommée. Enthousiaste des crudités, il a publié déjà La Confession de Claude qui était l’idylle d’un étudiant et d’une prostituée; il voit la femme comme M. Manet la peint, couleur de boue avec des maquillages roses. Intolérant pour la critique, il l’exerce lui-même avec intolérance, et à l’âge où l’on ne sait encore que suivre son désir, il intitule ses prétendues études littéraires: Mes Haines !

Je ne sais si M. Zola a la force d’écrire un livre fin, délicat, substantiel et décent. Il faut de la volonté, de l’esprit, des idées et du style pour renoncer aux violences; mais je puis déjà indiquer à l’auteur de Thérèse Raquin une conversion.

M. Jules Claretie avait écrit, lui aussi, son livre de frénésie amoureuse et assassine; mais il s’est dégoûté du genre après son propre succès, et il a demandé à l’histoire des tragédies plus vraies, des passions plus héroïques et non moins terribles. On meurt beaucoup dans ses Derniers Montagnards, mais avec un cri d’espérance et d’amour pour la liberté! La rage n’y est pas ménagée mais celle-là rend doux et tolérant!

Quant à Thérèse Raquin, c’est le résidu de toutes les horreurs publiées précédemment. On y a égoutté tout le sang et toutes les infamies: c’est le baquet de la mère Bancal.

Le sujet est simple, d’ailleurs, le remords physique de deux amants qui tuent le mari pour être plus libres de le tromper, mais qui, ce mari tué (il s’appelait Camille), n’osent plus s’étreindre, car voici, selon l’auteur, le supplice délicat qui les attend: «Ils poussèrent un cri et se pressèrent davantage afin de ne pas laisser entre leur chair de place pour le noyé. Et ils sentaient toujours des lambeaux de Camille qui s’écrasaient ignoblement entre eux, glaçant leur peau par endroits, tandis que le reste de leur corps brûlait.»

A la fin, ne parvenant pas à écraser suffisamment le noyé dans leurs baisers, ils se mordent, se font horreur, et se tuent ensemble de désespoir de ne pouvoir se tuer réciproquement.

Si je disais à l’auteur que son idée est immorale, il bondirait, car la description du remords passe généralement pour un spectacle moralisateur; mais si le remords se bornait toujours à des impressions physiques, à des répugnances charnelles, il ne serait plus qu’une révolte du tempérament, et il ne serait pas le remords. Ce qui fait la puissance et le triomphe du bien, c’est que même la chair assouvie, la passion satisfaite, il s’éveille et brûle dans le cerveau. Une tempête sous un crâne est un spectacle sublime: une tempête dans les reins est un spectacle ignoble.

La première fois que Thérèse aperçoit l’homme qu’elle doit aimer, voici comment s’annonce la sympathie: «La nature sanguine de ce garçon, sa voix pleine, ses rires gras, les senteurs âcres et puissantes qui s’échappaient de lui troublaient la jeune femme et la jetaient dans une sorte d’angoisse nerveuse.»

O Roméo! ô Juliette! quel flair subtil et prompt aviez-vous pour vous aimer si vite? Thérèse est une femme qui a besoin d’un amant. D’un autre côté, Laurent, son complice, se décide à noyer le mari après une promenade où il subit la tentation suivante: «Il sifflait, il poussait du pied les cailloux, et par moments il regardait avec des yeux fauves les balancements des hanches de sa maîtresse.»

Comment ne pas assassiner ce pauvre Camille, cet être maladif et gluant, dont le nom rime avec camomille, après une telle excitation?

On jette le mari à l’eau. A partir de ce moment, Laurent fréquente la morgue jusqu’à ce que son noyé soit admis à l’exposition. L’auteur profite de l’occasion pour nous décrire les voluptés de la morgue et ses amateurs.

Laurent s’y délecte à voir les femmes assassinées. Un jour il s’éprend du cadavre d’une fille qui s’est pendue; il est vrai que le corps de celle-ci, «frais et gras, blanchissait avec des douceurs de teinte d’une grande délicatesse… Laurent la regarda longtemps, promenant ses regards sur la chair, absorbé dans une sorte de désir peureux.»

Les dames du monde vont à la morgue, paraît-il; une d’elles y tombe en contemplation devant le corps robuste d’un maçon. «La dame – dit l’auteur – l’examinait, le retournait, le pesait, s’absorbait dans le spectacle de cet homme. Elle leva un coin de sa voilette, regarda encore puis s’en alla.»

Quant aux gamins, «c’est à la morgue que les jeunes voyous ont leur première maîtresse.»

Comme ma lettre peut être lue après déjeuner, je passe sur la description de la jolie pourriture de Camille. On y sent grouiller les vers.

Une fois le noyé bien enterré, les amants se marient. C’est ici que commence leur supplice.

Je ne suis pas injuste et je reconnais que certaines parties de cette analyse des sensations de deux assassins sont bien observées. La nuit de ces noces hideuses est un tableau frappant. Je ne blâme pas systématiquement les notes criardes, les coups de pinceau violents et violets; je me plains qu’ils soient seuls et sans mélange; ce qui fait le tort de ce livre pouvait en être le mérite.

Mais la monotonie de l’ignoble est la pire des monotonies. Il semble, pour rester dans les comparaisons de ce livre, qu’on soit étendu sous le robinet d’un des lits de la morgue, et jusqu’à la dernière page, on sent couler, tomber goutte à goutte sur soi cette eau faite pour délayer des cadavres.

Les deux époux, de fureur en fureur, de dépravations en dépravations, en viennent à se battre, à vouloir se dénoncer. Thérèse se prostitue, et Laurent, «dont la chair est morte», regrette de ne pouvoir en faire autant.

Enfin, un jour, ces deux forçats de la morgue tombent épuisés, empoisonnés, l’un sur l’autre, devant le fauteuil de la vieille mère paralytique de Camille Raquin, qui jouit intérieurement de ce châtiment par lequel son fils est vengé.

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