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Il aura donc fallu une poignée de lingerie pour faire un strike.

Finies les soirées assis au pied du canapé à regarder mes sœurs en soupirant. Finis les cocktails de Fanny made in salle-de-garde qui vous retournent la bidoche et vous remémorent tout un tas d'histoires salaces. Finies les engueulades:

– Mais souviens-toi merde! C'est important! Il s'appelait Lilian ou Tristan???

– J'en sais rien. Il articulait mal ton gars.

– Mais t'est pas possible ça! Tu l'fais exprès ou quoi? Essaye de te rappeler!

– "Est-ce que je pourrais parler à Myriam, c'est Ltfrgzqan." Ca te va?

Et elle partait dans la cuisine.

– Tu seras gentille de pas claquer la porte du frigo… VLAM.

– … Et de lui donner l'adresse d'une bonne orthophoniste…

– Chmmchmpauv'con.

– Tiens on dirait que ça te ferait pas de mal non plus.

VLAM.

Finies les réconciliations devant mon fameux poulet au Boursin ("alors?… tu crois pas que t'es mieux ici avec nous plutôt qu'avec Ltfrgzqan dans un attrape-gogo sous vide?").

Finies les semaines au stabilo, fini le marché du samedi matin, finis les Gala qui traînent dans les toilettes ouverts aux pages de l'horoscope, finis les artistes de tout poil pour nous faire comprendre les chiffons de Boltanski, finies les nuits blanches, finis les polys qu'il fallait faire réciter à Fanny, fini le stress des jours de résultats, finis les regards noirs à la voisine du dessous, finies les chansons de Jeff Buckley, finis les dimanches à lire des B.D. allongés sur la moquette, finies les orgies de bonbons Haribo devant Sacrée soirée, fini le tube de dentifrice jamais rebouché qui sèche et qui me rend dingue.

Finie ma jeunesse.

On avait organisé un dîner pour fêter les examens de Fanny. Elle commençait à voir le bout du tunnel…

– Ouf! plus que dix ans… disait-elle en souriant. Autour de la table basse, il y avait son interne (sans alliance, le lâche), (futur golfeur à Marrakech, je maintiens), ses copines de l'hôpital dont la fameuse Laura avec laquelle mes sœurs m'avaient monté un nombre incalculable de plans plus foireux les uns que les autres sous prétexte qu'elle avait parlé de moi un jour avec des trémolos dans la voix (ah le coup où elles m'avaient donné rendez-vous chez la fameuse Laura pour un anniversaire surprise et que je me suis retrouvé seul toute une soirée avec cette furie à chercher ses lentilles dans sa moquette en poil de chèvre en garant mes fesses…).

Il y avait Marc (j'en profitais pour voir ce qu'était "un beau cul "… mouaif…).

Il y avait des amis de Myriam que je n'avais jamais vus.

Je me demandais où elle dénichait des étrangetés pareilles, des mecs tatoués de bas en haut et des filles montées sur des échasses pas croyables qui riaient pour n'importe quoi en secouant ce qui leur tenait lieu de chevelure.

Elles m'avaient dit:

– Amène des collègues si tu veux… C'est vrai, tu nous présentes jamais personne…

Et pour cause les filles… pensais-je plus tard en admirant la faune et la flore qui mangeaient mes cacahouètes vautrées sur le canapé Cinna que maman m'avait offert pour mon diplôme de comptable, et pour cause…

Il était déjà assez tard et nous étions tous bien cassés quand Myriam, partie chercher une bougie parfumée dans ma chambre, est revenue en glougloutant comme une dinde en chaleur avec le soutien-gorge de Sarah Briot entre le pouce et l'index.

Mes aïeux.

On peut dire que ça a été ma fête.

– Hé mais qu'est-ce que c'est que ça?! Attends Olivier, t'es au courant que y'a des accessoires de sex-shop dans ta chambre? De quoi donner la gaule à tous les mecs de Paris! Nous dis pas que t'es pas au courant!?

La voilà partie dans un show d'enfer, incontrôlable. Elle se dandine, mime un strip-tease, renifle la culotte, se retient à l'halogène et tombe à la renverse.

Incontrôlable.

Tous les autres sont morts de rire. Même le champion de golf.

– C'est bon. Ca suffit j'ai dit. Donne-moi ça.

– C'est pour qui? D'abord tu nous dis pour qui c'est… pas vrai les autres?

Et voilà tous ces connards en train de siffler avec leurs doigts, de se cogner les dents contre leurs verres et de dégueulasser mon salon surtout!

– En plus t'as vu les lobos qu'elle a!!! Attends mais c'est au moins du 95!!! hurle cette abrutie de Laura.

– On s'embête pas hein… m'a soufflé Fanny en faisant des trucs tordus avec sa bouche.

Je me suis levé. J'ai pris mes clefs et mon blouson et j'ai claqué la porte.

VLAM.

J'ai dormi à l'hôtel Ibis de la porte de Versailles. Non, je n'ai pas dormi. J'ai réfléchi.

J'ai passé une bonne partie de la nuit debout, le front appuyé contre la fenêtre à regarder le Parc des Expositions. Qu'est-ce que c'est moche.

Au matin, ma décision était prise. Je n'avais même pas la gueule de bois et je me suis tapé un petit-déjeuner grandiose.

Je suis allé aux Puces.

C'est très rare que je prenne du temps pour moi. J'étais comme un touriste à Paris. J'avais les mains dans les poches et je sentais bon l'after-shave Nina Ricci for Men distribué dans tous les hôtels Ibis du monde. J'aurais bien aimé que ma collègue de travail me surprenne au détour d'une allée:

– Oh Olivier!

– Oh Sarah!

– Oh Olivier, qu'est-ce que tu sens bon…

– Oh Sarah…

Je buvais le soleil devant une bière pression à la terrasse du Café des amis.

On était le 16 juin aux alentours de midi, il faisait beau et ma vie était belle.

J'ai acheté une cage à oiseaux tarabiscotée et pleine de chichis en fer.

Le gars qui m'a vendu ça m'a assuré qu'elle datait du XIXme siècle et qu'elle avait appartenu à une famille très cotée puisqu'on l'avait retrouvée dans un hôtel particulier, intacte et patati et patata et vous réglez comment?

J'avais envie de lui dire: te fatigue pas mon vieux, je m'en fous.

Quand je suis rentré, ça sentait le Monsieur Propre depuis le rez-de-chaussée.

L'appartement était nickel. Pas un grain de poussière. Avec même un bouquet sur la table de la cuisine et un petit mot: "On est au Jardin des Plantes, à ce soir. Bisous."

J'ai défait ma montre et je l'ai posée sur ma table de nuit. Le paquet Christian Dior était posé à côté comme si de rien n'était.

Aaahhh!!! mes chéries…

Pour le dîner, je vais vous faire un poulet au Boursin i-nou-bli-able!

Bon, d'abord choisir le vin… et mettre un tablier bien sûr.

Et pour le dessert, un gâteau de semoule avec beaucoup de rhum. Fanny adore ça.

Je ne dis pas qu'on s'est pris dans les bras en se serrant très fort, et en secouant la tête comme le font les Américains. Elles m'ont juste un peu souri en franchissant le seuil et j'ai vu dans leur visage toutes les petites fleurs du Jardin des Plantes.

Pour une fois, on n'était pas tellement pressé de débarrasser. Après la débauche de la veille personne n'avait l'intention de sortir et Mimi nous a servi un thé à la menthe sur la table de la cuisine.

– C'est quoi cette cage? a demandé Fanny.

– Je l'ai achetée aux Puces ce matin à un gars qui ne vend que des cages anciennes… Elle te plaît?

– Oui.

– Eh bien c'est pour vous.

– Ah bon! Merci. Mais en quel honneur? Parce qu'on est pleines de tact et de délicatesse a plaisanté Myriam en se dirigeant vers le balcon avec son paquet de Craven.

– En souvenir de moi. Vous n'aurez qu'à dire que l'oiseau s'est envolé…

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