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A
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Elle pleure parce que, enfin, elle a rappelé Pierre. Elle s'est toujours débrouillée pour connaître son numéro de téléphone et plusieurs fois, ça lui est arrivé de composer les dix chiffres qui la séparaient de lui, d'entendre sa voix et de raccrocher précipitamment. Une fois même, elle l'a suivi pendant toute une journée parce qu'elle voulait savoir où il vivait et quelle était sa voiture, où il travaillait, comment il s'habillait et s'il avait l'air soucieux. Elle a suivi sa femme aussi. Elle avait été obligée de reconnaître qu'elle était jolie et gaie et qu'elle avait des enfants de lui.

Elle pleure parce que son coeur s'est remis à battre aujourd'hui alors qu'elle n'y croyait plus depuis longtemps: Elle a eu une vie plus dure que ce qu'elle aurait imaginé. Elle a surtout connu la solitude. Elle croyait que c'était trop tard maintenant pour sentir quelque chose, qu'elle avait mangé tout son pain blanc. Surtout depuis qu'Ils se sont excités un jour sur une prise de sang, un examen de routine passé par hasard parce qu'elle se sentait patraque. Tous, les petits docteurs et les grands professeurs, avaient un avis sur ce truc-là mais plus grand chose à dire quand il s'était agi de l'en sortir.

Elle pleure pour tellement de raisons qu'elle n'a pas envie d'y penser. C'est toute sa vie qui lui revient dans la figure. Alors, pour se protéger un peu, elle se dit qu'elle pleure pour le plaisir de pleurer et c'est tout.

Elle était déjà là quand je suis arrivé et elle m'a souri. Elle m'a dit c'est sûrement la première fois que je ne te fais pas attendre, tu vois il ne fallait pas désespérer et moi je lui ai répondu que je n'avais pas désespéré.

Nous ne nous sommes pas embrassés. Je lui ai dit tu n'as pas changé. C'est idiot comme remarque mais c'était ce que je pensais sauf que je la trouvais encore plus belle. Elle était très pâle et on voyait toutes ses petites veines bleues autour de ses yeux, sur ses paupières et sur ses tempes. Elle avait maigri et son visage était plus creux qu'avant. Elle avait l'air plus résignée alors que je me souviens de l'impression de vif-argent qu'elle donnait avant. Elle ne cessait de me regarder. Elle voulait que je lui parle, elle voulait que je me taise. Elle me souriait toujours. Elle voulait me revoir et moi je ne savais pas comment bouger mes mains ni si je pouvais fumer ou toucher son bras.

C'était une ville sinistre. Nous avons marché jusqu'au jardin public un peu plus loin.

Nous nous sommes raconté nos vies. C'était assez décousu. Nous gardions nos secrets. Elle cherchait ses mots. A un moment, elle m'a demandé la différence entre désarroi et désoeuvrement. Je ne savais plus. Elle a fait un geste pour me signifier que, de toute façon, c'était sans importance. Elle disait que tout cela l'avait rendue trop amère ou trop dure en tout cas trop différente de ce qu'elle était vraiment à l'origine.

Nous n'avons presque pas évoqué sa maladie sauf au moment où elle a parlé de ses enfants en disant que ce n'était pas une vie pour eux. Peu de temps avant, elle avait voulu leur faire cuire des nouilles et même ça, elle n'y était pas arrivée à cause de la casserole d'eau qui était trop lourde à soulever et que non vraiment, ça n'était plus une vie. Ils avaient eu plus que leur temps de chagrin à présent.

Elle m'a fait parler de ma femme et de mes enfants et de mon travail. Et même de Marcheron. Elle voulait tout savoir mais je voyais bien que la plupart du temps, elle ne m'écoutait pas.

Nous étions assis sur un banc écaillé en face d'une fontaine qui n'avait rien dû cracher depuis le jour de son inauguration. Tout était laid. Triste et laid. L'humidité commençait à tomber et nous nous tassions un peu sur nous-mêmes pour nous réchauffer.

Enfin elle s'est levée, il était temps pour elle d'y aller.

Elle m'a dit j'ai une faveur à te demander, juste une. Je voudrais te sentir. Et comme je ne répondais pas, elle m'a avoué que pendant toutes ces années elle avait eu envie de me sentir et de respirer mon odeur. Je gardais mes mains bien au fond des poches de mon manteau parce que sinon je…

Elle est allée derrière mon dos et elle s'est penchée sur mes cheveux. Elle est restée comme ça un long moment et je me sentais terriblement mal. Ensuite avec son nez, elle est allée au creux de ma nuque et tout autour de ma tête, elle a pris son temps et puis elle est descendue le long de mon cou vers le col de ma chemise. Elle inspirait et gardait, elle aussi, ses mains dans son dos. Ensuite elle a desserré ma cravate et ouvert les deux premiers boutons de ma chemise et j'ai senti le bout de ses narines toute froides contre la naissance de mes clavicules, je… je…

J'ai eu un mouvement un peu brusque. Elle s'est relevée dans mon dos et elle a posé ses deux mains bien à plat sur mes épaules. Elle m'a dit je vais m'en aller. Je voudrais que tu ne bouges pas et que tu ne te retournes pas. Je t'en supplie. Je t'en supplie.

Je n'ai pas bougé. De toute façon je n'en avais pas envie parce que je ne voulais pas qu'elle me voie avec mes yeux gonflés et ma gueule toute tordue.

J'ai attendu assez longtemps et je suis reparti vers ma voiture.

Clic-Clac

Cinq mois et demi que j'ai envie de Sarah Briot, la responsable des ventes.

Est-ce que je ne devrais pas plutôt dire: cinq mois et demi que je suis amoureux de Sarah Briot, la responsable des ventes? Je ne sais pas.

Depuis tout ce temps, je ne peux pas penser à elle sans avoir une érection magnifique et comme c'est la première fois que ça m'arrive, je ne sais pas comment appeler ce sentiment.

Sarah Briot s'en doute. Non, elle n'a pas eu l'occasion de toucher mon pantalon ni de sentir quelque chose mais elle s'en doute.

Evidemment, elle ne sait pas que ça fera cinq mois et demi mardi parce qu'elle est moins attentive que moi aux chiffres (je suis expert-comptable, alors forcément…). Mais je sais qu'elle sait parce que c'est une maligne.

Elle parle aux hommes d'une façon qui me choquait avant et qui maintenant me désespère. Elle leur parle comme si elle avait des lunettes spéciales (du genre le rayon X de Superman) et qui lui permettent de voir exactement la taille du sexe de son interlocuteur.

La taille au repos j'entends. Alors évidemment, ça fait des drôles de rapports dans la boîte… Vous pouvez imaginer.

Elle vous serre la main, elle répond à vos questions, elle vous sourit, elle prend même un café avec vous dans un gobelet en plastique à la cafétéria et vous, comme un con, vous ne pensez qu'à serrer vos genoux ou à croiser vos jambes. C'est vraiment infernal.

Le pire, c'est qu'elle n'arrête pas de vous regarder dans les yeux pendant ce temps-là. Et dans les yeux uniquement.

Sarah Briot n'est pas belle. Elle est mignonne et ce n'est pas pareil.

Elle n'est pas très grande, elle est blonde mais pas besoin d'être un grand manitou pour voir que ce n'est pas sa vraie couleur, ce sont des mèches.

Comme toutes les filles, elle est souvent en pantalon et encore plus souvent en jeans. Ce qui est dommage.

Sarah Briot est un tout petit poil potelée. Je l'entends souvent parler de régime avec ses copines au téléphone (comme elle parle fort et que je suis dans le bureau d'à côté, j'entends tout).

Elle dit qu'elle a 4 kilos à perdre pour atteindre les 50. J'y pense tous les jours parce que je l'avais marqué sur mon sous-main pendant qu'elle parlait: "54!!!"

J'ai appris comme ça qu'elle avait déjà essayé la méthode Montignac et "… qu'(elle) regrettait ses cent balles", qu'elle avait détaché le cahier central du Biba du mois d'avril avec toutes les recettes spécial minceur d'Estelle Hallyday, qu'elle avait un poster géant dans sa cuisine minuscule qui indiquait toutes les calories de tous les aliments et qu'elle avait même acheté une petite balance de cuisine pour tout peser façon Weight Watchers…

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