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Elle en parle souvent avec sa copine Marie qui est grande et maigre à ce que j'ai pu comprendre. (Entre nous c'est idiot parce que je vois pas ce que sa copine peut lui répondre…)

A ce niveau-là de ma description, les abrutis pourraient se demander: mais qu'est-ce qu'il trouve à cette fille?

Ah, ah… je les arrête!!!

L'autre jour j'ai entendu Sarah Briot qui riait de bon coeur en racontant (à Marie peut-être?) qu'elle avait fini par refiler la balance à sa mère pour qu'elle lui fasse "de bons gâteaux le dimanche " et ça la mettait vraiment de bonne humeur de raconter ça.

D'autre part, Sarah Briot n'est pas vulgaire, elle est attirante. Tout en elle n'inspire que les caresses et ce n'est pas pareil non plus.

Alors fermez-la.

Une semaine avant la fête des mères, je flânais dans le rayon lingerie des Galeries Lafayette pendant ma pause déjeuner. Toutes les vendeuses, une rose rouge à la boutonnière, étaient sur les dents et guettaient les papas indécis.

J'avais calé ma serviette sous mon bras et je jouais à si-j'étais-marié-à-Sarah-Briot-qu'est-ce-que-je-lui-achèterais?…

Lou, Passionnata, Simone Pérèle, Lejaby, Aubade, la tête me tournait.

Certains trucs, je les trouvais trop coquins (c'était la fête des mères quand même), d'autres, je n'aimais pas la couleur ou pas la vendeuse (le fond de teint je veux bien mais quand même, il y a des limites).

Sans parler de tous les modèles que je ne comprenais pas.

Je me voyais mal en train de dégrafer ces tout petits boutons-pression microscopiques dans le feu de l'action et je n'arrivais pas à comprendre le mode d'emploi des porte-jarretelles (pour bien faire, est-ce qu'il faut les laisser ou les enlever?).

J'avais chaud.

Finalement; j'ai trouvé, pour la future mère de mes enfants, un ensemble slip et soutien-gorge en soie gris très pâle de chez Christian Dior. La classe.

– Quelle taille de soutien-gorge fait madâme? J'ai posé ma serviette entre mes pieds.

– A peu près ça… lui dis-je, incurvant mes mains quinze centimètres de ma poitrine.

– Vous n'avez aucune idée? dit la vendeuse un peu sèchement. Combien elle mesure?

– Ben, elle m'arrive à peu près là… répondis-je en montrant mon épaule.

– Je vois (moue consternée)… Ecoutez, je vais vous donner un 90 C, il est possible que ce soit trop grand mais la cliente pourra venir le changer sans problème. Vous gardez bien le ticket de caisse, hein?

– Merci. Très bien, fis-je sur le ton du type qui emmène ses gosses en forêt tous les dimanches sans oublier les gourdes et les k-ways.

– Et pour le slip? Je vous mets le modèle classique ou le tanga? Notez j'ai aussi le string mais je ne crois pas que ce soit ce que vous cherchez…

De quoi tu te mêles madame Micheline des Galeries Lafayette ?

On voit que tu ne connais pas LA Sarah Briot de chez Chopard… Minont. Celle qui laisse toujours voir un bout de son nombril et qui rentre dans le bureau des autres sans frapper.

Mais quand elle m'a montré le modèle, j'ai flanché. Non, ce n'était vraiment pas possible de mettre un truc comme ça. A la limite, c'était presque un instrument de torture. J'ai pris le tanga qui "… cette année a tout du brésilien mais moins échancré sur les hanches, comme vous pouvez le voir vous-même. Je vous fais un paquet-cadeau monsieur?"

Un tanga quoi.

Ouf.

J'ai fourré le petit paquet rose entre deux dossiers et mon plan de Paris et je suis retourné devant l'écran de mon ordinateur. Tu parles d'une pause.

Au moins quand il y aura les gosses, on trouvera des trucs plus faciles à choisir. Il faudra que je leur dise: "Non, les enfants, pas un gaufrier… voyons…"

C'est Mercier, mon collègue de l'exportation, qui m'a dit un jour:

– Elle te plaît bien, hein?

On était chez Mario en train de compter nos tickets-restaurant et ce crétin voulait me la jouer copains de régiment et vas-y dis-moi tout que je te tape dans les côtes.

– Tu me diras, t'as bon goût hein! Je n'avais pas envie de lui parler. Mais alors pas du tout.

– Il paraît qu'elle est bonne, hein… (gros clin d'oeil) J'en secouais la tête de désapprobation.

– C'est Dujoignot qui me l'a dit…

– Dujoignot est sorti avec elle! J'étais perdu dans mes comptes.

– Nan mais il a appris des trucs par Movard, parce que Movard il l'a eue lui, et je peux te dire que…

Le voilà qui secoue ses doigts dans l'air comme pour les essorer en faisant le petit O de cOnnerie avec sa bouche.

– … Ouais une chaude hein…, la Briot, ça on peut dire qu'elle a pas froid aux yeux hein… Des trucs, je pourrais même pas te les raconter…

– Ne raconte pas. C'est qui ce Movard?

– Il était au service publicité mais il est parti avant ton arrivée. On était une structure trop petite pour lui alors tu vois…

– Je vois.

Pauvre Mercier. Il ne s'en remet pas. Il doit penser à tout un tas de positions sexuelles.

Pauvre Mercier. Tu sais que mes sœurs t'appellent Merdechié et qu'elles pouffent encore en pensant à ta Ford Taurus.

Pauvre Mercier qui a essayé de baratiner Myriam alors qu'il a une chevalière en or avec ses initiales en surimpression.

Pauvre Mercier. Qui espère encore après les filles intelligentes et qui va à ses premiers rendez-vous avec son portable dans une housse en plastique accroché à la ceinture et son autoradio sous le bras.

Pauvre Mercier. Si tu savais comment mes sœurs parlent de toi… quand elles en parlent.

On ne peut jamais prévoir. Ni comment les choses vont se dérouler, ni pourquoi des trucs tout simples prennent soudain des proportions démentes. Là, par exemple, ma vie a changé d'un coup à cause de cent cinquante grammes de soie grise.

Depuis cinq ans et bientôt huit mois j'habite avec mes sœurs un appartement de 110 m2 près du métro Convention.

Au début, j'habitais juste avec ma soeur Fanny. C'elle qui a quatre ans de moins que moi et qui est étudiante en médecine à la fac de Paris V. C'était une idée de nos parents pour faire des économies et pour être sûr que la petite ne serait pas perdue dans Paris, elle qui n'a connu que Tulle, son lycée, ses cafés et ses mobylettes bricolées.

Je m'entends bien avec Fanny parce qu'elle ne parle pas beaucoup. Et qu'elle est toujours d'accord pour tout.

Par exemple si c'est sa semaine de cuisiner et si je rapporte, disons une sole, parce que j'en ai eu envie, elle n'est pas du genre à gémir que je lui perturbe tous ses plans. Elle s'adapte.

Ce n'est pas exactement pareil avec Myriam.

Myriam, c'est l'aînée. On a même pas un an de différence mais vous nous verrez, vous ne pourriez même pas imaginer qu'on est frère et soeur. Elle parle tout le temps. Je pense même qu'elle est un peu siphonnée mais c'est normal, c'est l'Artiste de la famille…

Après les Beaux-Arts, elle a fait de la photo, des collages avec du chanvre et de la paille de fer, des clips avec des taches de peinture sur les objectifs, des trucs avec son corps, de la création d'espace avec Loulou de La Rochette (?), des manifs, de la sculpture, de la danse et j'en oublie.

Pour l'instant elle peint des trucs que j'ai du mal à comprendre même en plissant vachement les yeux mais d'après Myriam, j'ai LA case artistique en moins et je ne sais pas voir ce qui est beau.

Bon.

La dernière fois qu'on s'est engueulé c'est quand on est allé ensemble à l'exposition Boltanski (mais quelle idée aussi de m'emmener voir ça… franchement. Tu crois pas que j'avais l'air d'un con en train d'essayer de comprendre le sens de la visite?).

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