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Les pistolets

Mais François ne devait pas rester!

Un coup de téléphone de l'hôpital les avertit, le lendemain, que l'état de M. Skinner donnait des inquiétudes. Bob et Miss Mary partirent immédiatement.

— Je t'appellerai, dit Bob. Ne bouge pas.

François regarda, du haut du perron, la voiture s'éloigner, et remonta tristement dans sa chambre. Ce premier séjour en Angleterre était complètement raté. Et que se passerait-il si le pauvre M. Skinner… Evidemment, le déplacement que ses ravisseurs lui avaient infligé avait aggravé son état. Si, par malheur, il venait à mourir, que deviendrait Bob? Quel appui trouverait-il auprès de Miss Mary, qui avait si manifestement aidé les ennemis de son fiancé?

François en revenait toujours à la même conclusion: c'était lâche de partir au moment où Bob se trouvait dans les pires difficultés. Mais comment lui venir en aide? Et pas moyen de reculer ce départ. Quand on doit s'occuper d'un blessé peut-être en danger de mort, on n'a pas besoin d'avoir dans les jambes un étranger encombrant. Il était de trop, désormais. Il était importun. Et il se sentait de plus en plus mal à l'aise. Attendre un avion? Et pourquoi ne pas prendre le bateau, le plus tôt possible? N'était-ce pas la solution la plus élégante, celle qui lui laisserait l'initiative? Au lieu d'être reconduit à l'aérogare, comme un indésirable, il s'en irait de son propre gré, à l'heure choisie, en garçon réfléchi, qui sait prendre ses responsabilités. Allons! Il n'y avait plus à hésiter.

Il descendit au bureau pour téléphoner, mais, à l'instant même où il fermait la porte, la sonnerie retentit. Seconde d'émotion! C'était sûrement l'hôpital! Quelle nouvelle allait-il apprendre? Il décrocha le cœur serré. Ce n'était pas Bob, mais l'inspecteur Morrisson.

— Je suis seul, expliqua François. Miss Mary et Bob sont à l'hôpital. Il paraît que l'état de M. Skinner est inquiétant.

— Je suis au courant, dit Morrisson. Ecoutez… J'ai affaire dans votre quartier; alors, inutile que vous veniez à mon bureau, c'est moi qui passerai. J'ai des photos à vous montrer et quelques papiers à vous faire signer. Je serai chez vous dans une demi-heure.

— L'enquête avance?

— Heu… Comme ci, comme ça… A tout à l'heure.

François reposa l'appareil et chercha dans l'annuaire le numéro de la gare Victoria. Il obtint facilement le renseignement. Il y avait un train pour Douvres à 15 heures et un bateau à 17 heures. Miss Mary n'aurait pas besoin de le conduire à la gare. Il prendrait un taxi.

Il essaya, mais en vain, de fermer sa valise. Au départ, c'était sa mère qui l'avait remplie, avec un soin si ingénieux qu'elle avait réussi à y ranger toutes sortes de choses que François n'arrivait plus à y faire tenir. Rageusement, il pesa dessus de toutes ses forces et réussit enfin à la boucler. Ensuite, désœuvré, le cœur lourd, il se promena dans le jardin, attendant le coup de téléphone de Bob. Quand il entendit la sonnerie, il bondit dans le bureau.

— Allô… C'est toi, vieux Bob? Alors?

— Tu sais, ce n'est pas brillant.

La voix était découragée et l'émotion la faisait trembler.

— Que pense le chirurgien?

— Oh! L'opération a réussi… Les opérations réussissent toujours. C'est après que ça se gâte. Je vois bien que personne n'est rassuré… On crâne, comme ça… On me rassure…, mais je ne suis pas dupe. Mary a eu un long entretien avec le chirurgien. Moi, bien entendu, j'étais exclu. Elle aussi, elle entre dans leur jeu et fait semblant d'avoir confiance. Malgré tout, elle m'a dit qu'il avait perdu beaucoup de sang…

— Mais la balle a pu être extraite?

— Oui. C'est même Morrisson qui l'a. Tu penses, il était là aux premières. Le sang, ça attire les vautours!

— Tu l'as vu, Morrisson?

— Il sort d'ici. Il voulait me montrer d'autres photos, des trucs à lui dont je me moque complètement… Je l'ai envoyé promener. Il va sûrement te harceler, toi aussi.

— Tu restes à l'hôpital?

— Evidemment. Comme il est question de transfusion, je me suis offert. On est du même groupe, papa et moi… Qu'est-ce qu'on pourrait lui donner de meilleur que mon sang à moi, hein?… Après tout, c'est le sien, en plus jeune! Le toubib est d'accord. Il a fallu parlementer, mais quand je veux quelque chose… Parce que, tu comprends, il y a aussi l'effet moral. Quand papa me verra allongé à côté de lui… s'il me voit (la voix se cassa), il s'accrochera… Il se rendra compte que lui et moi, c'est les doigts de la main, malgré nos querelles… Il sera bien obligé de tenir le coup…, pour moi, pour moi tout seul.

François entendit Bob couper brutalement la communication. Bob ne voulait pas pleurer au téléphone; c'était quelqu'un de bien, Bob! Et, bizarrement, c'était François qui se sentait en faute, qui avait l'impression d'avoir manqué à son devoir.

— Je peux entrer?

François sursauta. C'était l'inspecteur Morrisson.

— Vous voyez, dit François, je parlais avec Bob. La situation n'est pas brillante.

L'inspecteur entra, enleva son imperméable et posa sur le bureau une serviette rebondie.

— Je sais, dit-il. La journée va être critique. Mais le chirurgien conserve bon espoir et je le connais. S'il est optimiste, c'est que Skinner va s'en tirer.

— C'est bien vrai?

— Puisque je vous le dis… Il pourra se vanter de revenir de loin. Il a reçu un morceau de plomb qui aurait pu le foudroyer. Regardez ça.

Il retira de sa poche une petite boîte maintenue fermée par un élastique, et, avec beaucoup de précautions, l'ouvrit. Sur un lit d'ouate légèrement rougi, il y avait une masse brune, un cône arrondi, gros comme une petite bille.

— La balle, dit Morrisson.

— Mais…, c'est très gros! s'étonna François.

— Vous avez raison d'être surpris, approuva l'inspecteur. J'ai vu bien des projectiles, mais celui-ci est particulièrement curieux. D'abord, le calibre est inusité. Et en outre, la forme n'est pas courante. Peut-être s'est-on servi d'une arme étrangère. Le «labo» nous renseignera.

«Une arme étrangère…, ou plutôt une arme ancienne!», pensa François.

Et ce fut comme un voile qui se déchirait… Le pistolet de duel!.. Le coup de feu tiré, du haut du perron, par Bob… François écarta aussitôt cette idée absurde.

L'inspecteur prit dans sa serviette un paquet de photographies.

— J'aimerais que vous y jetiez un coup d'œil. Peut-être ce Laslo Carolyi s'y trouve-t-il?

François, distraitement, examina une série de visages également inquiétants. Il ne pouvait s'empêcher de songer à cette balle et se refusait désespérément aux déductions qui, malgré lui, s'amorçaient; car le coup de pistolet avait été tiré sur un cambrioleur…, et c'était M. Skinner qui avait été blessé. Il n'avait tout de même pas essayé de se cambrioler lui-même!

— Regardez bien celui-ci. C'est un sujet hongrois.

Encore un barbu, avec des cheveux de hippy, mais ce n'était pas l'homme roux.

— Non, dit François. Je ne reconnais personne.

Morrisson parut très déçu.

— J'en aurai peut-être bientôt d'autres à vous montrer.

__ C'est que…, je pars aujourd'hui… Il m'est

difficile de rester ici dans les circonstances actuelles.

— Oui, admit l'inspecteur, oui… Je comprends. Eh bien, tant pis. Je vais seulement vous demander de lire le résumé des événements dont vous avez été le témoin et, si vous êtes d'accord, de signer. Ce n'est qu'une formalité.

Il tendit à François deux feuillets dactylographiés. François les parcourut. C'est à peine si le sens des mots parvenait à son esprit. Une seule question brûlante, dramatique, le hantait. «M. Skinner n'a-t-il pas essayé de se cambrioler lui-même»? Déjà, il ne doutait plus: la balle avait bien été tirée par le pistolet de duel. Il se rappelait la forme et la grosseur des projectiles que Bob lui avait montrés. Impossible d'hésiter. Bob avait tiré au hasard et atteint l'ombre qui fuyait… et cette ombre, c'était M. Skinner. Donc… Ce «donc» était semblable à un écran qui cachait quelque chose d'horrible et François n'avait pas le courage de l'écarter.

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